July 10, 2023
Public Auditions
♾️suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn
♾️s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law
____
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, audition par les rapporteures de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée Nationale, Sophia Chikirou et Mireille Clapot dans le cadre de l'élaboration du Rapport sur devoir de vigilance des entreprises, 7 juin 2023.
____
Ce résumé a été publié après la publication du rapport parlementaire, pour ne pas gêner l'élaboration de celui-ci.
► Résumé de l'audition : À la demande des députées, il n'y a pas eu de présentation ex cathedra mais plutôt une discussion à partir de questions posées par celles-ci.
La première demande faite par Sophia Chikirou a été de formuler une définition de ce qu'est la "Régulation", puisque j'ai été présentée au début de l'audition comme ayant eu un rôle déterminant dans l'élaboration du Droit de la Régulation.
J'ai donc expliqué à la fois la façon dont les régulations peuvent être d'origines techniques ou politiques (souvent un mixte des deux), la place corrélative de l'Etat, l'évolution de cela depuis 20 ans, la constance du Droit de la Régulation au-delà de la diversité des secteurs et des sensibilités politiques des Gouvernements successifs, et l'importance du projet Européen.
J'ai montré que le Droit de la Régulation est par nature Ex Ante, porte sur l'avenir qu'il construit, demeure pour maintenir un équilibre par nature instable, l'Autorité de régulation n'étant que l'indice du Droit de la Régulation et non pas sa source.
Puis j'ai montré que la Compliance, dont la Vigilance est la pointe avancée, est le prolongement du Droit de la Régulation, le Droit de la Compliance ayant la même logique Ex Ante, trouvant sa normativité dans les buts poursuivis. Mais elle déploie le Droit de la Régulation et en démultiplie l'ambition puisqu'elle charge les entreprises de concrétiser ses buts, qu'elles le veuillent (RSE) ou qu'elles ne le veuillent pas (par exemple Sapin 2) avec une portée naturellement extraterritoriale. En cela le Droit de la Compliance est tout à fait ancré, ancré dans le Droit de la Régulation, et constitue une sorte de Révolution, dont la loi de 2017, dite "loi Vigilance", est la plus perceptible manifestation.
C'est ainsi opérée le passage du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, lequel a transformé les Autorités de Régulation, qui construisent, surveillent et maintiennent en équilibre les structures des secteurs en Autorités de Supervision, car la Supervision porte techniquement sur les opérateurs (ce que font les contrôles mis en place par la Vigilance) et non sur les structures, lesquelles sont prises en charge par les opérateurs (par exemple dans les chaines de valeur).
Cela explique que techniquement le Droit de la Vigilance emprunte au Droit de la Régulation et de la Supervision bancaire, car le secteur bancaire gère les risques systèmiques par la solidité et la puissance des acteurs bancaires et les outils sont les mêmes.
On se rend compte aujourd'hui de cette logique systémique de la Vigilance mais cela était déjà visible dès 2016📎
La deuxième demande faite par Sophia Chikirou a porté sur le sens du projet de directive, notamment ses enjeux et son effectivité au regard de ces explications, apparaissant comme nouvelles et éclairantes.
J'ai montré que ce texte est effectivement important et doit être compris comme l'expression politique d'une Europe qui a une sorte de "plan". Ainsi la CS3D doit se comprendre comme le texte gémellaire de la CSRD. De la même façon la loi de 2017 doit se comprendre au regard de ce plan européen. Lequel doit embrasser le DMA et le DSA. Tout cela est du Droit de la Compliance, dont la Vigilance est, et dès la loi de 2017, la "pointe avancée".
Tout le sens, et c'est le même dans tous les textes, est dans les buts. Ce sont des buts systémiques, qui portent sur le futur : éviter dans le futur une catastrophique, faire en sorte par une action présente qu'elle n'arrive pas (but "négatif"), ou (si l'on est encore plus ambitieux) faire en sorte que quelque chose arrive (but "positif") : équilibre climatique, respect d'autrui, égalité effective, probité, dignité, comme principes de fonctionnement des systèmes.
Pour cela, et pragmatiquement puisqu'il s'agit d'obtenir de l'effectivité, l'on repère les organisations qui peuvent réaliser cela : les entreprises. Plus elles sont puissantes et plus cela est possible. La puissance des entreprises n'est pas seulement bienvenue : elle est nécessaire. Le Droit de la Compliance constitue donc, et les textes qui l'expriment, une alliance entre l'Etat et les entreprises, et non pas une défaite de l'Etat (puisqu'il est plus ambitieux que jamais), la puissance des entreprises étant recherchée et devant s'exprimer.
Plus précisément, il s'agit (trilogie essentielle en Droit de la Compliance) d'obtenir l'effectivité, l'efficacité et l'efficience des textes. J'ai expliqué la définition de ces trois notions et leur articulation en pratique, notamment sur le terrain probatoire.
La troisième demande faite par Mireille Clapot a porté sur la présentation faite par moi de la logique préventive du système de Compliance, de Vigilance et notamment dans la loi de 2017, mais elle observe que le centre du dispositif est bien la réparation du dommage et non la prévention.
Effectivement, j'ai donc développé cette question essentielle de l'Ex Ante et de l'Ex Post, pour montrer que les débats avaient lieu à juste titre car le fonctionnement du dispositif n'étaient pas encore fixés par la jurisprudence. Mais si le Droit de la Régulation est bien de l'Ex Ante, le Droit de la Compliance, puisqu'il est entré dans l'entreprise même et dans des supervision, est davantage dans un continuum entre l'avant et l'après : ainsi une notion-clé est la "durabilité" (dans le titre même de la directive) et sous la "responsabilité" ce que l'on demande à l'entreprise c'est avant tout de rendre des comptes de l'usage qu'elle a fait de sa puissance (accountability), mais de sauver le monde (puisqu'à l'impossible nul n'est tenu). Si le dommage est survenu, sa responsabilité est acquise, mais l'enjeu central est de prévenir la survenance d'un dommage systémique, autant que faire se peut, voire d'améliorer les systèmes.
La quatrième demande, faite par Sophia Chikirou a porté sur la mise en place par chaque Etat-membre d'une autorité de régulation.
J'ai souligné la différence entre une Autorité de Régulation et, ce dont il s'agit ici, d'une Autorité de Supervision, la mission dont il s'agit ici étant de superviser les entreprises en charge du devoir de vigilance.
Dans son état actuel le texte ne précise pas la forme juridique institutionnelle que devrait prendre l'organe en charge de cette supervision. La difficulté technique vient du fait qu'il ne s'agit pas d'un secteur et qu'il est difficile de construire un "régulateur sans secteur" ou un superviseur ayant grand pouvoir sur ce qui n'est pas un secteur, sauf à faire autant d'Autorités qu'il y a d'industries concernées, ce qui produirait une myriade d'institutions... C''est sans doute techniquement le sujet le plus difficile dans la transposition, l'exemple allemande pouvant aider le Législateur français.
La cinquième demande faite par les deux députées porte sur la façon dont les entreprises peuvent assumer de telles obligations engendrées par ces textes, certains affirmant que cela est impossible.
J'ai expliqué que pour ma part il faut raison garder et que ce sont les juges qui sont gardiens de cela. Les entreprises ne peuvent pas sauver le monde, mais ce n'est pas ce que les textes leur demande et ce serait méconnaitre l'esprit des textes que d'affirmer cela.
Les entreprises ne sont assujetties au devoir de vigilance qu'en raison de leur aptitude à agir (détecter, prévenir, éduquer, ajuster les comportements, etc.), c'est-à-dire parce qu'elles "sont en position", non pas parce qu'elles seraient déjà "coupables". C'est un contresens que de dire cela.
C'est une chance pour l'Etat d'avoir sous sa main des entités qui ont la puissance de porter ses ambitions et c'est aussi pour cela qu'il faut absolument que le Droit de la Compliance, dont la Vigilance fait partie, soit de portée extraterritoriale, pour qu'il n'y ait pas d'effet d'aubaine.
L'entreprise fait ensuite ce qu'elle peut. Elle doit donner à voir ce qu'elle fait, dire ce qu'elle fera, le dire aux personnes concernées et au juge qui sera éventuellement saisi, l'exprimer au regard des buts monumentaux (changer le futur...) négatifs et positifs qui donne sens à tout le système : tout cela mais pas plus que cela.
La sixième demande faite par Mireille Clapot a porté sur l'impact négatif que la loi de 2017, puis potentiellement la Directive, peuvent avoir sur des contrats, notamment internationaux, conclus par des entreprises français.
J'ai tout à fait souligné comme elle le caractère essentiel de cette analyse économique du Droit. C'est pour cela d'une part que dans les contrats les entreprises soient incitées à insérer des "clauses de compliance", dont les "clauses de vigilance" font partie (notion que j'ai proposée), que les juges interprètent et appliquent celles-ci en articulant Droit des contrats et Droit de la compliance, et que leur portée à la fois sur les tiers et sur d'autres territoires soient reconnues.
En effet le Droit de la Compliance, dont la Vigilance est la pointe avancée, est une façon d'humaniser l'économie et non de remettre en cause le principe de liberté qui doit continuer à animer celle-ci. Le contrat est un outil essentiel de détecter et de prévenir et les entreprises doivent pouvoir l'utiliser librement. J'ai développé sur ce point le rôle que le juge, y compris le juge de droit commun, va jouer.
____
► Voir dans mes travaux ceux qui peuvent présenter un intérêt au regard de cette discussion menée par les deux Rapporteures⤵️
🕴️M.-A. Frison-Roche, 🎤Le rôle du Juge dans le déploiement du Droit de la Régulation en Droit de la Compliance, et le document de travail sous-jacent : juin 2023.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧La vigilance, pièce d'un puzzle européen, mars 2023.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧Penser et manier la Vigilance par ses Buts Monumentaux de Compliance, mars 2023.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Contrat de compliance, clauses de compliance, mars 2022.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧L'invention de la vigilance : un terme nouveau pour une Responsabilité en Ex Ante, février 2021.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le Droit de la compliance, 2016.
____
►lire le rapport parlementaire
________
🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧Compliance Law, 2016.
Oct. 26, 2022
Public Auditions
♾️ suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn
♾️s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law
____
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Audition en qualité d'amica curiae par le Tribunal judiciaire de Paris, en formation de référé, sur le système de compliance et la place qu'y occupe le devoir de vigilance, 26 octobre 2022.
____
Cette audition a été faite en compagnie de deux autres amici curiae, pareillement désignés par le Tribunal : les professeurs Jean-Baptiste Racine et Bruno Deffains.
Cette audition a été demandée par et à l'initiative du Tribunal judiciaire de Paris à l'occasion d'un contentieux qui oppose des associations à l'entreprise TotalEnergie, les premières alléguant des manquements au devoir de vigilance de la part de la seconde, le Tribunal demandant à des personnalités hautement qualifiées de l'éclairer sur le système de compliance et ses implications.
_____
📝Lire l'article de compte-rendu d'audience publié le 27 octobre 2022 par Olivia Dufour. (Actu-juridique)
📝Lire l'article de compte-rendu de l'audience du 7 décembre 2022, représentant la présentation du Droit de la Compliance par MaFR publié le 7 décembre 2022 par Mathilde Golla (Les Echos)
📝Lire l'article sur le recours à l'amicus curiae, débutant par le recours fait dans cette affaire, publié le 8 décembre 2022 par Nicolas Cayrol (Recueil Dalloz)
________
Sept. 27, 2022
Public Auditions
♾️suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn
♾️s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law
____
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, audition par la Commission des Lois du Sénat sur la Proposition de Loi constitutionnelle relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, 27 septembre 2022.
____
► Lire le dossier législatif, notamment l'exposé des motifs de la proposition de loi.
____
►Résumé de la présentation avant la discussion : ma contribution à la discussion nourrie et très large établie entre les représentants du Sénat et les administratrices et mes collègues, Elisabeth Zoller, Stéphane Mouton et Sophie Paricard, a plutôt consisté à développer la dimension concrète et pratique du sujet et la considération que celle-ci a sur la rédaction d'un texte, s'il venait à l'idée du Législateur de s'en saisir.
En effet, il s'agit non pas tant d'établir un droit subjectif, dont la dimension constitutionnelle en tant que telle peut poser techniquement problème, mais d'assurer son effectivité. Ce terme-même d'effectivité est utilisé par la proposition de loi. Or, la notion d'effectivité est utilisée dans le Droit économique, qui vise les buts, le Droit de la Régulation et de la Compliance visant à obtenir dans une sorte de réussite croissante l'effectivité, l'efficacité et l'efficience des mécanismes juridiques. Mais ce souci de politique publique est difficile à intégrer dans le système juridique, et ce que fait le Droit de la Régulation et de la Compliance est difficile à concevoir au niveau constitutionnel, la notion d' "accès à un droit" étant sans doute un pléonasme par rapport à la notion de "droit à l'effectivité", lequel vise sans doute les différents sujets de droit qui, dans la chaîne concrète qui jalonne la façon dont une femme dispose de son corps, deviendrait débiteurs d'un tel "droit d'accès à un droit".
Une telle notion peut engendrer de nombreux contentieux car les potentiels débiteurs d'un tel droit subjectif, qui aurait valeur constitutionnelle, ont aussi des droits subjectifs à opposer, et c'est une grande agressivité juridictionnelle des uns et des autres, des uns contre les autres, qui peut être ainsi engendrée.
D'ailleurs, placer dans la Constitution un tel droit subjectif sous "De l'autorité judiciaire" est inapproprié car le droit à l'avortement est protégé également par le juge administratif, non seulement à travers le contrôle objectif des textes mais encore à travers le contentieux subjectif, les établissements publics étant fortement impliqués dans sa mise en oeuvre.
En outre, de la même façon que l'arrêt Dobbs v. Jackson est un arrêt systémique, visant le fédéralisme, qui en application de la conception par la Cour de celui-ci peut et va priver d'autres droits subjectifs de leur protection constitutionnelle fédérale, le premier à tomber étant sans doute le droit des personnes de même sexe à se marier, mais d'autres peuvent venir, le Constituant français devrait d'ores et déjà (puisqu'il vise l'avenir) soit :
Cela suppose alors que le Législateur intervenir par à-coup, dans une liste que le juge aura bien du mal à interpréter, sans doute une "liste fermée"..., mais surtout intervienne en Ex-Post, à chaque fois qu'il pense qu'une agression est davantage probable sur un droit que sur un autre (car c'est le raisonnement ici suivi, l'arrêt Dobbs, qui ne concerne pas l'Europe, étant considéré par le Législateur français comme un "signal" de danger sur ce droit-là...) : mais le Législateur d'une part doit intervenir sur l'avenir et non pas sur le passé (les lois "en réaction" ne sont pas de bonne méthode) et doit être abstraites car c'est au juge de décliner sur des situations et droits particuliers (cf. Carbonnier et "l'effet macédonier"). Or, le Conseil constitutionnel n'est pas placé pour faire cela. Quel juge en France pourrait le faire ?
Malgré la bonne intention du Législateur, et en retournant les techniques juridiques dans tous les sens, l'on ne voit pas "quoi faire"...
Mais, puisque l'enjeu n'est pas tant l'existence d'un droit, mais l'effectivité de celui-ci, et l'efficacité d'un système médical et social à le servir dans la "réalité" des choses, pourquoi ne pas se tourner vers le Droit économique, Droit concret et téléologique par excellence ?
Dès lors, si le Législateur devait intervenir pour protéger davantage à l'avenir l'effectivité du droit des femmes à disposer de leur corps, c'est peut-être sous une forme plus incitative, en s'appuyant sur les entreprises qui, comme l'ont fait les entreprises américaines en aidant les femmes à voyager jusqu'aux Etats protecteurs, en ne communiquant pas des informations aux autorités publiques des Etats non-protecteurs, aident concrètement à l'effectivité des droits subjectifs qui sont concrètement menacés, maintenant aux Etats-Unis, éventuellement demain en Europe et en France.
Cela s'appuie sur le Droit de la Compliance.
____
Voir aussi
💬Frison-Roche, M.-A, "La Cour suprême a déclenché la bombe de la sécession. Que faire ?", 5 juillet 2022
💬Frison-Roche, M.-A, Droit à l’avortement : « Le processus de sécession est dans la décision », 27 juin 2022
📧M.-A. Frison-Roche, Seuls les droits subjectifs techniques ne sont pas touchés par l'arrêt Dobbs: c'est sur eux qu'il faut construire une nouvelle théorie de l'entreprise, 29 juin 2022
Sept. 6, 2022
Public Auditions
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Europe, Compliance et Professions", intervention devant le bureau du Comité de Liaison des Institutions ordinaires (CLIO), 6 septembre 2022.
____
Cette présentation d'une quinzaine de minutes a ensuite donné lieu à un échange avec les membres du Bureau du CLIO.
____
► Résumé de la présentation : La perspective ici proposée est de partir non pas du schéma du marché concurrentiel, repris par le Droit de la concurrence, par rapport auxquels les professions et les ordres ont toujours dès le départ et définitivement statut d'exceptions, mais de partir - dans une vision paradoxalement moins juridique et plus concrète - de l'Europe telle qu'elle s'était construite à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qu'elle se construit de nouveau.
I. LE PROJET POLITIQUE DE L'EUROPE : À COTE DE L'EUROPE DE LA CONCURRENCE, L'EUROPE DE LA RÉGULATION
La Régulation n'est en rien l'exception (qui serait en outre logée au niveau des Etats-membre) du Droit de la concurrence (qui serait en outre logée au niveau du Droit de l'Union), la concurrence écrasant doublement la Régulation, en ce qu'elle serait le seul principe (le principe prévalant sur l'exception) et qu'elle serait au-dessus dans la hiérarchie des normes.
Cela n'est pas vrai.
Il faut donc partir de l'Europe.
L’Europe est une idée politique, construite avec des moyens juridiques. C'est ainsi que Monnet l'avait conçu et c'est de nouveau que la Commission européenne la conçoit (voir par exemple ce qu'en dit Thierry Breton).
Au sortir d'une catastrophe, il s'est agi de construire l'Europe, conçue comme une communauté d’êtres humains (valeurs communes, groupe social fluide).
Pour cela, il fallait trouver les bons instruments juridiques, pour (re)créer ces valeurs communes : faire que les échanges se réalisent avec des règles juridiques "positives" (CECA, collaborations pour faire des rails) et des règles juridiques « négatif » (abattre les frontières ; prohibition des comportements anticoncurrentiels et prohibition des aides d’Etat, prohibition qui n’existe nulle pas ailleurs).
Puis en premier lier la Commission européenne, la Cour de justice, voire les Etats-membres ont « oublié » la construction positive et on n’a gardé que la construction négative : le vide concurrentiel (qui a des mérites, notamment en ce qu'il exprime la liberté), dont tout devait sortir ; en second lieu, on a pris l’instrument pour le but.
C'est ainsi que le Droit de la concurrence, en tant qu'il est une branche du Droit économique, est entièrement guidé par sa finalité, mais il a pour objet la concurrence : la téléologie a pour objet une fin qui ne lui est pas extérieure, c’est une « tautologie ».
L’Europe a changé, par le choc des crises successives depuis 2008, avec la crise financière et bancaire ; depuis 2020 avec la crise sanitaire ; depuis 2022 avec la crise climatique qui s’annonce.
C'est une opportunité (la crise est aussi une opportunité, parce qu'elle prise les idées de départ, fait de la place pour d'autres).
La téléologie européenne n’est plus tautologie ; la concurrence y retrouve sa place. Le système demeure celui d'une économie libérale mais la DG Concurrence ne résume plus la Commission européenne : l’Europe – y compris la Commission européenne – n’a plus pour seule fin la concurrence. La crise étant un souci majeur, car l'Europe a compris qu'elle était mortelle, le Droit a pour finalité de permettre à l'Europe de survivre (notamment face à la Chine : elle a pour fin d’être « durable » : de ne pas disparaître.
Cela a pris notamment forme dans l'Union bancaire, qui a pour but simple d'exclure la disparition de l'Europe.
Mais cela vaut aussi pour l'Europe de la communication des personnes et des biens. Voir par exemple la proposition le 7 juillet 2022 d’aides d’Etat sur les transports pour faire une Europe des transports avec des infrastructures publiques.
Voir aussi la naissance de la « gouvernance-énergie », signant la fin de la suprématie l’esprit de la directive de 2016 sur « l’ouverture à la concurrence » comme seul principe, nouant l'énergie et l'environnement, prolongeant la Régulation par la Supervision, c'est-à-dire avant tout l'Industrie. Or, dans une perspective à ce point concrète, là où il y a de l'industrie il y a des personnes ayant des savoirs-faire : des professionnels.
La crise de 2020 accélère la naissance de l’Europe de la Santé ; à partir du vaccin.
La DG Connect exprime volonté de construire un écosystème numérique européen : Europe des données, à la fois marchand, industriel et protecteur des personnes (Digital Markets Act ; Digital Services Act ; Governance Data Act ; Chip Act), initialement construit par le Juge européen (jugement de la CJUE Google Spain 2014).
Dans chaque perspective, il y a la fixation par les Autorités politiques européenne d'un « but monumental », à la fois propre à un secteur mais aussi commun à tous, et tous se regroupent autour d’une volonté proprement européenne : la protection des êtres humains.
L'Avenir de l'Europe est ainsi dans l'émergence de l'Europe de la Régulation.
La question qui se pose alors est : comment atteindre ces Buts ainsi politiquement posés ?
Car la distance est grande entre la volonté exprimée et la concrétisation de ces buts (affaire de "plan" et de "transition").
II. POUR CONSTRUIRE L'EUROPE SOUVERAINE : l'ACTION DES PROFESSIONS, ENTITÉS EN POSITION D'ATTEINDRE LES BUTS MONUMENTAUX
L’Europe de la Régulation, ainsi constituée, est, surtout avec l'enjeu des données (économie de l'information, industrie des données, souveraineté européenne), entre les mains des entreprises et de l'industrie, laquelle ne se pense pas en-dehors des professionnels.
La CJUE appuie le mouvement.
Mais comment la mettre en œuvre :
Le politique (la Commission européenne, les gouvernements nationaux, etc.) va rechercher des alliances, le Droit de la Compliance prolongeant le Droit de la Régulation et mettant en alliance les Autorités publiques (dont l'État n'est qu'un exemple) et les "entités en position de le faire".
Pour les institutions européennes, ces "entités en position d'agir" sont :
L'Europe se construit ainsi actuellement et à l’avenir sur deux piliers : Concurrence d’une part et Régulation et Compliance d’autre part.
______
► pour aller plus loin ⤵️
March 8, 2022
Public Auditions
►Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Audition par la Section du Rapport et des Etudes du Conseil d'Etat pour la préparation du Rapport annuel sur Les réseaux sociaux, Conseil d'Etat, 8 mars 2022.
____
►Résumé de la présentation faite avant la discussion : Pour la partie reproductible de cette audition, consistant dans la présentation qui a pu être faite de la relation entre le Droit de la Compliance et le phénomène des réseaux sociaux, il a été repris l'idée générale d'un impératif de "réguler un espace sans ancrage" et l'apport que représente pour cela le Droit de la Compliance, dès l'instant qu'il n'est pas défini comme le fait de "se conformer" à l'ensemble de la réglementation applicable à l'agent mais comme la charge d'atteindre des "Buts Monumentaux", négatifs ou/et positifs, l'opérateurs ainsi chargé de cette obligation de moyens parce qu'il est en position de le faire, devant avoir la puissance pour y parvenir.
Se dégagent alors des notions nouvelles, comme la "Responsabilité Ex Ante" ou une notion de "Pouvoir" qui est commune aux opérateurs de droit privé et de droit public, leur nationalité venant également en second plan, le Droit de la Compliance étant naturellement a-territorial.
Cette définition substantielle du Droit de la Compliance qui met en première ligne les opérateurs requiert que ceux-ci soient supervisé (dans un continuum entre Régulation, Supervision, Compliance,) le Droit de la Compliance opérant un continuum du Droit de la Régulation en n'étant plus lié avec l'impératif d'un secteur. Les opérateurs cruciaux numériques sont ainsi "responsabilisés", grâce à une "responsabilité Ex Ante", et s'ils sont supervisés par des Autorités de supervision (dont le modèle historique est le superviseur bancaire, ici l'Arcom), c'est le juge qui a fait naitre cette nouvelle notion de "responsabilité Ex Ante, pilier du Droit de la Compliance, aujourd'hui délivré du territoire dans une jurisprudence à propos du Climat qu'il convient de concevoir plus largement.
Ainsi délivré du secteur et du territoire, le Droit de la Compliance peut affronter le mal des réseaux sociaux que sont la désinformation et l'atteinte des enfants, maux systémiques où peut se perdre la Démocratie, perspective face à laquelle l'Ex Post est inapproprié.
Le Droit de la Compliance est donc pleinement adéquat.
Il convient que le Juge continue sa mue en concevant lui-même non pas seulement dans un Ex Post plus rapide, mais dans un office Ex Ante, contrôlant des entreprises qui, elles-mêmes doivent avoir des fonctions des offices de gardiens (ici gardiens des limites concernant les contenus).
______
Voir ⤵️ la structure plus formelle de l'intervention, qui fut ensuite discutée
March 5, 2021
Public Auditions
♾️ suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn
♾️ s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law
____
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Appliquer la notion de "Raison d'être" à la profession du Notariat", audition par le Conseil supérieur du notariat (CSN), 5 mars 2021.
____
Résumé de l'intervention débutant l'audition : L'on peut prendre "raison d'être" dans son sens courant et dans son sens plus juridique. Dans son sens courant, il est bien difficile de déterminer ce qu'est une "raison d'être". Le plus souvent on ne le traduit pas, en anglais on dira purpose , c'est-à-dire ce qui caractérise l'être humain par rapport à la machine, comme le souligna Alain Supiot, tandis que la langue japonaise le traduit comme Ikigaï, ce qui va animer la personne. L'on sent bien que le souffle de l'esprit passe dans cette notion, qui anime la personne, la porte dans une action qui ne sera pas mécanique, qui va la dépasser elle-même, la fait tout à la fois se distinguer des autres et se rapprocher de ses alter ego....
Mais le Droit a transformé cette notion, si proche de l'éthique, voire de l'art, par laquelle l'individu est "transporté dans le temps par une action partagée avec quelque uns, en un "conception juridique". Cette expression de "raison d'être" est aujourd'hui estampillée par le Droit. A travers une vision renouvelée de l'Entreprise, désormais portée par la législation. En tant qu'une entreprise, selon une définition fortement développée par Alain Supiot est un "projet commun" qui vise une action commune concrétisant un projet conçu ensemble pour être réalisé dans le futur, l'organisation et les moyens n'étant que le reflet de cela. Dans cette définition de l'entreprise, centrée sur la "raison d'être", l'organisation, les moyens, les pouvoirs et les droits de chacun, les rouages internes et les intérêts extérieurs ne sont pas premiers, ils sont totalement imprégnés par cette "raison d'être". Dire la raison d'être, l'affirmer et savoir précisément ce qu'elle est dessine la régime applicable. C'est pourquoi la "raison d'être" a changé en 2019 le Droit des sociétés et le Droit financier.
Elle fût d'abord adoptée par le rapport que Nicole Notat et Dominique Senard remirent le 9 mars 2018 au Ministre de l'Economie et des Finances en réponse à la question posée par celui-ci : l'entreprise peut-elle contribuer à l'intérêt général ? Et la réponse tînt dans cette expression-là : pourquoi pas, si c'est la "raison d'être" de l'entreprise que de s'arracher à la seule préoccupation de se développer afin de devenir toujours plus riche, d'avoir aussi un projet qui inclut le souci d'autrui, d'un autrui qui n'ait pas pour seul souci l'appât du gain, d'avoir le souci d'un intérêt autre (les autres visant pour les auteurs de ce rapport "l'intérêt collectif" et non plus l'intérêt général), par exemple l'intérêt de la Terre, dont la temporalité excède celle de la vie humaine, si fortunée soit cette vie de l'actionnaire et si somptueuse soit la tombe de celui-ci.
La "raison d'être" est donc une notion juridique. A ce titre le Droit des sociétés a changé et l'on en rend les mandataires sociaux responsables : ils doivent montrer qu'ils ont pris en charge d'autres intérêts. L'article 1833 du Code civil a été modifié dans ce sens. Pour pouvoir remplir les nouvelles obligations qu'engendre l'évolution de leur mandat fiduciaire, cela justifie un élargissement de leur "pouvoir" car il est plus difficile encore de faire le bien d'autrui en plus de que rendre riche les associés. Si en plus il faut se soucier de l'environnement et de l'égalité entre les femmes et les hommes ... Les études pleuvent non seulement sur la pertinence managériale et financière de l'approche (plutôt favorable) mais encore juridique (par exemple lorsqu'il y a une offre publique, l'offreur devrait-il démontrer qu'il ferait plus que le bonheur des investisseurs en se saisissant du contrôle de la société-cible ?).
Parle de "raison d'être", c'est donc appliquer un régime juridique à une organisation. Il est fructueux de prendre l'expression au sérieux, c'est-à-dire au pied de sa lettre juridique, car si le Droit est toujours ancré dans le langage courant, les mots gagnent souvent en rigueur et précision par leur entrée dans l'espace juridique. Dans le Droit des sociétés, on a pu critiquer la notion en tant qu'elle diluait la notion d'intérêt social dans de l'insécurité juridique, mais cela permet aussi à l'organisation en cause d'avoir plus de liberté pour poser par sa volonté propre ce pour quoi elle consacre ses prérogatives. Puisque c'est l'entreprise elle-même qui va pose publiquement quelle est sa "raison d'être" (comme elle a posé son objet social)
La "raison d'être" a été conçue pour une "entreprise", pour laquelle la "personnalité morale" a été définie comme n'étant qu'un instrument juridique qui lui permet d'accéder au commerce juridique, selon l'acception retenue par le rapport Notat-Senard. Le Droit va donc vers de plus en plus de "réalisme".
Le notariat se prête particulièrement bien à la notion juridique de "raison d'être". Pour trois raisons. En premier lieu, parce que le Notariat est une profession et que les professions sont des organisations qui sont souvent animées par des projets communs, un esprit commun. C'est même précisément cela que le Droit de la concurrence leur reproche, cette "entente" autour d'une communauté de valeurs, cristallisée par des règles d'organisation (même si l'évolution de ce Droit dans le bon accueil de l'organisation des "groupes de sociétés", notamment face à un appel d'offre montre que cette branche du Droit évolue).
En deuxième lieu, une étude notariale est une entreprise. Pourquoi ne pas l'admettre, et même prendre appui sur cela ? Parce que le Droit des sociétés a si fortement évolué avec la loi Pacte, l'on pourrait considérer que structurellement une étude notariale est une "entreprise à mission". Ce qui doit conduire la profession à étudier de très près ce statut emprunté au Droit britannique, droit incontestablement libéral qui conçoit qu'une entreprise se développe et fasse un chiffre d'affaires, mais pas que.
En troisième lieu, les entreprises à mission se développent dans une architecture institutionnelle par laquelle elles doivent donner à voir l'effectivité de la concrétisation de leur mission. Il a donc deux impératifs : dire exactement quelle est cette mission en amont et donner à voir à tous (et pas seulement à l'Etat) que cette mission, qui justifie de s'écarter du Droit commun de la rencontrer de l'offre et de la demande) est remplie : cela est confiée à la "profession", cadre institutionnel indispensable qui exerce un contrôle permanent (et non pas des contrôles ponctuels comme le font les Autorités de concurrence).
Dès lors, si l'on observe que l'étude notariale a une activité économique de service, ce qui est le cas, elle est légitime comme toute entreprise à avoir une "raison d'être", voire à être une "entreprise à mission". Si en outre, elle appartient à une "profession", elle est alors imprégnée de la "raison d'être" de celle-ci, ce qui n'entame pas sa nature d'entreprise (I). Les professions ne se ressemblant pas et la "raison d'être" donnant à chacun son identité, il convient de prendre au sérieux celle du Notariat pour en tirer à l'avenir les conséquences techniques (II).
Lire le plan de l'intervention ci-dessous.
Feb. 18, 2021
Public Auditions
Référence générale : Frison-Roche, M.-A., Evaluation de la loi dite "Sapin 2" au regard d'une "Europe de la Compliance" et réponses aux diverses questions posées, in auditions menées par par la Mission d'évaluation de la Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, la loi dite "Sapin 2" dirigée par les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, Assemblée nationale, 18 février 2021.
L'Assemblée Nationale a confié à cette mission "d'établir un bilan approfondi des principaux apports de la loi "Sapin 2" et, si cela apparaît nécessaire, de proposer des pistes d'amélioration".
Se reporter à la présentation générale de la mission d'évaluation.
Se reporter à l'agenda de l'ensemble des auditions.
Regarder la video de l'intervention.
Lire ci-dessous les points essentiels sur lesquels s'est appuyée la présentation préalable de quelques minutes, centrée sur les points de méthode au regard de la perspective européenne, avant que le temps ne soit utilisé pour répondre aux questions posées par Messieurs les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix.
Nov. 9, 2018
Public Auditions
Référence générale : Frison-Roche, M.-A., La mise en place de la transformation des Commissaires-priseurs en Commissaires de justice à travers les principes du Droit de la Régulation, audition devant la Commission présidée par Maître Edouard de Lamaze, Ministère de la Justice, 9 novembre 2018.
La mission à propos de laquelle l'audition se déroule porte sur l'avenir de la profession d'opérateurs de ventes volontaires.
La présentation à partir de laquelle cette audition se déroule s'opère à partir d'un document de travail : lire le document de travail.
Jan. 28, 2015
Public Auditions
Séance d'auditions ouverte à la presse.
Étaient également auditionnées Monsieur Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers, Mosnieur Rémi Bouchez, président de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Monsieur Jean-Luc Sauron, conseiller d'État, délégué au droit européen du Conseil d'État et Madame Corinne Bouchoux, sénatrice et ancienne rapporteure au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois.
La présentation faite aux membres de la Commission des Finances s'est appuyée sur un Working Paper.
La discussion a ensuite portée sur l'efficacité des sanctions.
April 28, 2010
Public Auditions
March 3, 2003
Public Auditions
March 9, 2002
Public Auditions
March 9, 2002
Public Auditions
June 9, 2000
Public Auditions
March 9, 2000
Public Auditions
Jan. 4, 2000
Public Auditions
Updated: June 23, 1999 (Initial publication: March 9, 1999)
Public Auditions