Matières à Réflexions

1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : M. Segonds, "Compliance, proportionnalité et sanction", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 231-244.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Avant de consacrer les développements de son article à la seule perspective des sanctions prononcées au titre de la "Compliance anticorruption", l'auteur rappelle d'une façon plus générale que, comme l'est la sanction, la Compliance est par essence proportionnelle : la Proportionnalité est inhérente à la Compliance comme elle conditionne toute sanction, y compris une sanction infligée au titre de la Compliance. 

Ce lien entre Proportionnalité et Compliance a été souligné par l'Agence française anticorruption à propos de la cartographie des risques, qui doit mesurer les risques pour aboutir à des mesures efficaces et proportionnelles. Ce même esprit de proportionnalité anime les recommandations de l'AFA qui ont vocation à s'appliquer en fonction de la taille de l'entreprise et son organisation concrète. Il gouverne plus encore les sanctions, en ce que les sanctions punitives renvoient d'une part au Droit pénal, centré sur l'exigence de proportionnalité. Elles renvoient d'autre part au pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise qui, à partir d'autres sources du droit, doit intégrer l'exigence de proportionnalité lorsqu'il appliquer des normes externes ou internes de compliance. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : C. Peicuti et J. Beyssade, "La féminisation des postes à responsabilité dans les entreprises comme but de la compliance. Exemple du secteur bancaire", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, 109-124.

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Si l’on conçoit les techniques de Compliance comme prenant leur sens par leur But, celui-ci étant notamment la protection et la promotion effective des êtres humains, devant se renforcer à l'avenir grâce au Droit Ex Ante de la Compliance, l’exemple de la promotion efficace de l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans le secteur bancaire pour exercer des fonctions de responsabilité est probant.

Secteur fortement féminisé, son image demeure pourtant masculine et de fait trop peu de femmes y exercent des fonctions de responsabilité, alors qu'aucun texte ne s'y oppose et que tous les  droits ont été attribués pour cela. Pour passer de cette situation à un avenir où l'égalité sera effective, c’est donc en termes de régulation qu’il convient de penser la transformation nécessaire et plus encore de « transition » pour qu'un jour une égalité de fait soit établie et apparaisse à tous naturelle.

La banque doit alors structurellement intégrer ce But, ce qui correspond à la définition de la Compliance. Pour ce faire l’entreprise bancaire s’insère sur le long terme dans une démarche volontaire  de Compliance, en s’appuyant notamment sur les ressources humaines et sur les autorités de l’Union bancaire qui, en installant davantage le concept d’économie durable, ont facilité cette action à long terme. Dans cette transition chaque action et résultat doit être pensé par rapport à ce but recherché d'une égalité effective  : chaque progrès doit être valorisé non pas tant par rapport au passé mais par rapport au futur. Cette perspective Ex Ante justifie que les techniques auto-contraignantes de Compliance, comme les plans, les engagements, les quotas, les implications des parties prenantes, et les techniques plus souples comme les exemples donnés par les managers, les formations internes et les affirmations communes avec les autorités publiques, soient toutes utilisées par l’entreprise pour atteindre ce But Monumental d’égalité effective entre les êtres humains.

Le secteur bancaire est d’autant plus exemplaire pour cela que les Autorités bancaires elles-mêmes déploient des incitations dans ce sens, la définition du Droit de la Compliance entre alliance entre les Autorités et les Opérateurs correspondant donc à une telle action clairement en cours, structurellement dans le groupe BPCE. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : R.-O. Maistre, "Quels buts fondamentaux pour le régulateur dans un paysage audiovisuel et numérique en pleine mutation ?", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p.47-54.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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🎥lire la présentation de l'entretien mené entre Marie-Anne Frison-Roche et Roch-Olivier Maistre à partir de cet article en décembre 2023 

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) :  Depuis la loi de 1982 qui a mis fin au monopole d'État sur l'audiovisuel, le paysage a profondément évolué et s'est diversifié. Au regard de la multitude d'acteurs qui y sont désormais implantés, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) doit veiller à l'équilibre économique du secteur et au respect du pluralisme, dans l’intérêt des publics. Les responsabilités sociétales croissantes des médias audiovisuels et des nouveaux acteurs numériques ont multiplié les "Buts monumentaux" sur lesquels l'Arcom  veille.

Ses compétences se sont progressivement étendues à la sphère numérique et les lois successives concernant ses missions visent de nouveaux objectifs, notamment en matière de protection des mineurs, de lutte contre la haine en ligne ou contre la désinformation. L'émergence d'un nouveau modèle européen de régulation permet de donner corps à ces buts supplémentaires, le régulateur adoptant une perspective systémique et faisant appel à des outils de droit souple pour remplir ses nouvelles missions.  

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Mise à jour : 1 septembre 2022 (Rédaction initiale : 13 avril 2022 )

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : N. Sudres, "Gel hydroalcoolique, Covid-19 et compliance. Des insuffisances de la démarche de conformité à l’émergence d’îlots de compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 307-337.

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  Le résumé ci-dessous décrit un article qui fait suite à une intervention dans le colloque Normes publiques et Compliance en temps de crise : les Buts Monumentaux à l'épreuve, coorganisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et la Faculté de Droit de Montpellier. Ce colloque a été conçu par Marie-Anne Frison-Roche, Pascale Idoux, Antoine Oumedjkane et Adrien Tehrani, codirecteurs scientifiques, et s'est déroulé numériquement le 17 mai 2021.

📕Cet article figure dans le titre II de l'ouvrage, consacré à Normes publiques et Compliance en temps de crise : les Buts Monumentaux à l'épreuve.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par l'auteur): Pendant la crise ouverte par la Covid-19, la gestion de la fabrication, du prix et de la disponibilité du gel hydroalcoolique, produit essentiel dans la lutte contre la transmission de la Covid-19, offre la possibilité de mesurer tout à la fois les limites et les ressources de la compliance.

Alors que la culture de conformité au droit des pratiques anticoncurrentielles était insuffisante à contrer la flambée des prix des gels hydroalcooliques et masques, impliquant le recours à des outils à l’opposé de la compliance (règlementation des prix et réquisition), des mécanismes s’en inspirant ont été mis en place pour traiter d’autres problématiques liées à la disponibilité des biens de première nécessité en période de crise sanitaire.

Reste à savoir si ces dispositifs doivent, pour l’avenir, inspirer la rédaction de véritables normes de compliance.

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : B. Deffains, "L’enjeu économique de compétitivité internationale de la compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 355-366.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par l'auteur) : La "Compliance", que l'on peut en premier lieu définir comme l'obéissance à la loi est un enjeu pour l'entreprise en ce qu'elle peut choisir comme stratégie de le faire ou de ne pas le faire, en fonction de ce que lui coûte et lui rapporte un tel choix. Ce même choix de l'entendement est offert à l'auteur de la norme, le Législateur ou le Juge, voire le système juridique tout entier en ce qu'il rend plus ou moins coûteux la réglementation, et le respect de celle-ci pour les entreprises. Ainsi lorsque la loi française dite "Vigilance" fut adoptée en 2017 il fut reproché au Parlement français de porter un coup à la "compétitivité internationale" des entreprises françaises". Aujourd'hui, c'est sur son modèle que le Parlement européen demande à la Commission européenne de concevoir ce qui pourrait être une Directive européenne. L'extraterritorialité attachée au Droit de la Compliance, présentée souvent comme une agression économique, est pourtant un effet consubstantiel, à sa volonté de prétendre protéger au-delà des frontières. Dès lors, l'on en revient à une question classique en Économie : quel est le prix de la vertu ?

Pour alimenter un débat ouvert il y a déjà quelques siècles, c'est d'abord du côté des enjeux qu'il faut économiquement faire porter l'analyse. En effet, le Droit de la Compliance, qui non seulement se situe en Ex Ante, pour prévenir, détecter, remédier, réorganiser l'avenir, mais encore prétend affronter des difficultés plus "monumentales" que le Droit classique. Et c'est concrètement en examinant les instruments nouveaux que le Droit a mis en place et offert ou imposé aux entreprises que la question de la compétitivité internationale doit être examinée. Les mécanismes d'information, de secret, de reddition des comptes ou de responsabilité, qui ont un grand effet dans la compétitivité internationale des entreprises et des systèmes, en sont changés et la mesure n'en est pas encore prise.

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : G. Beaussonie, "Droit pénal et Compliance font-ils système ?", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 157-166.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Par nature, le Droit pénal est un système qui n’a pas vocation à se développer, les principes qui le limitent lui étant internes. Néanmoins si la proportionnalité est respectée, son extension peut être légitime pour préserver les « valeurs sociales fondamentales » car il est le Droit de la gravité, celle des conséquences comme celle des causes.

N’étant pas toujours le Droit de l’efficacité, la tentation est grande de compléter le Droit pénal par d’autres règles répressives, non seulement la répression administrative mais aujourd’hui la Compliance qui poursuit des objectifs concordants et vise par les « Buts Monumentaux » à ce qui serait le plus important et donc pour lesquels l’efficacité serait requise, notamment parce que la victoire (par exemple contre la corruption) devrait être mondiale.

L’efficacité est obtenue par l’internalisation dans les entreprises puissantes mais cette efficacité a un prix et le Droit pénal ne doit pas imposer trop d’obligations de faire et n’entretenant qu’un lien potentiel avec la commission d’une « véritable infraction ». Son association avec la compliance ne peut donc, elle aussi, qu’être exceptionnelle et ne doit pas conduire à perdre de vue que toujours la liberté doit demeurer le principe.

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : L. Benzoni, "Commerce international, compétitivité des entreprises et souveraineté :  vers une économie politique de la compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 453-466.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : L'auteur débute sa réflexion en affirmant que les nations existent par leurs différenciations, base du commerce internationale et de leur possible concurrence, mais qu'elles existent aussi par leur souveraineté, laquelle dépend de leur capacité à ne pas dépendre, ce à quoi la spécialisation peut conduire. Aujourd'hui, la question est plus que jamais posée. Or, l'auteur estime que les buts monumentaux de la compliance visent à préserver la compatibilité entre compétitivité internationale des entreprises et la capacité à assumer une souveraineté dans un commerce international sous régime de libre-échange. L'ancienne doctrine mercantiliste asseyait la richesse d'une nation sur son indépendance, par exemple sur l'or et ce n'est qu'à la fin du XVIIIième siècle que le commerce lui-même, notamment international, va présenter l'indépendance comme étant la source de la richesse, faisant disparaître la souveraineté dans la théorie générale du libre-échange, bientôt omniprésente et institutionnalisée par l'OMC. Mais l'émergence de la Compliance, avec les liens qu'elle entretien avec la responsabilité environnementale, climatique et sociale des entreprises, avec l'extraterritorialité naturellement attachée à cela, conduit à reconsidérer ce principe, le principe de souveraineté resurgissant. L'auteur suggère alors un "climato-mercantilisme" qui implique directement les entreprises et les tiers, dans une nouvelle politique économique, dont la Compliance serait un pilier. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : M.-E. Boursier, "Les buts monumentaux de la compliance : mode d'expression des États", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 467-474.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Les "buts monumentaux" sont la raison d’être de la Compliance et lui donnent un sens : ils s’enrichissent d’un objectif politique la faisant advenir au statut de véritable normes juridiques. Le Droit de la Compliance est apparu par la confrontation des États avec la globalisation, conduisant à une éviction des notions juridictionnelles traditionnelles. Les buts monumentaux sont l’expression des politiques publiques qui peuvent se déployer dans un tel contexte, grâce à l'articulation que la Compliance construit avec les parties prenantes privées, contribution spontanée ou contrainte.  

Par ce nouveau Droit, les États retrouvent leur agilité face aux marchés. En effet, ces buts monumentaux justifient cette nouvelle responsabilité pesant sur les entreprises et les nouvelles puissances que les États expriment au-delà de leurs frontières traditionnelles. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : A. Le Goff, "La part des banques dans la concrétisation des buts monumentaux de la compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 69-75.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : En tant que dirigeant d'un groupe bancaire, la question est de savoir si les exigences et techniques de compliance mettent les entreprises « sous pression » ou si ces obligations représentent une opportunité pour celles-ci, la première hypothèse n’excluant d’ailleurs pas la seconde. L'auteur montre que l'ensemble du secteur bancaire est sous la pression d'une réglementation qui exprime la visée de Buts Monumentaux, la complexité venant du fait que ceux-ci évoluant dans le temps, rendant parfois difficile l'obligation de s'y conformer. Dans ce cadre général, l'auteur montre qu'un acteur bancaire mutualiste comme Crédit Mutuel Arkéa en tire de grandes opportunités, puisque ces Buts Monumentaux entrent en résonnance non seulement avec sa responsabilité sociétale, notamment dans un contexte de crise, mais avec ce qui est, pour Arkéa, sa raison d'être. La régulation vient alors à l'appui du fonctionnement du groupe et de son identité. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : B. Bär-Bouyssière, "Les obstacles pratiques à la place effective de la proportionnalité dans la compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 199-208.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) :  L'article prend appui sur l'affirmation incontestée comme quoi la Proportionnalité est inhérente à la Compliance, notamment lorsque celle-ci prend la forme de la sanction, mais confronte cette affirmation avec ses mises en oeuvre pratique.

L'auteur constate que dans l'ensemble des mécanismes de compliance, notamment en compliance concurrentielle, les entreprises ont des difficultés en pratique à la satisfaire en Ex Ante car les normes sont très lourdes, coûteuses et difficiles à comprendre, comme elles ont du mal en Ex Post à obtenir que les autorités n'en fassent pas un usage disproportionné dont les organes supérieurs les protégeraient effectivement. 

Ces difficultés d'ordre pratique tiennent avant tout à la diversité des normes concernées, ceux qui les créent comme ceux qui les interprètent devant le faire sans excès, ce dont est très difficile d'obtenir le contrôle. En outre, le poids de la mise en oeuvre des normes de compliance n'est pas mise en corrélation avec la capacité des entreprises à le faire et la conception des normes n'intègre pas toujours cette corrélation. 

Face à cela, les entreprises ont alors tendance à faire plus qu'il n'est nécessaire, afin de ne pas encourir dans le doute de sanctions, et ce d'autant plus que les personnes en charge del l'effectivité de ses normes ont souvent à l'esprit de ne pas engager leur responsabilité, ce qui les incite à la sur-application de celles-ci, alors qu'il faudrait un juste rapport de nécessité, c'est-à-dire cette proportionnalité recherchée, ce surcoût étant un excès inutile pour tous.

Enfin la difficulté pratique tient à la violence, en elle-même nécessaire, des sanctions, face à laquelle les entreprises cherchent en Ex Post à montrer le caractère disproportionné, mais ne disposent pas de moyens probatoires très sûrs. 

C'est pourquoi c'est souvent sur le terrain de rhétorique et de la conviction qu'elles se placent en pratique, plus que sur celle du calcul mathématique de proportionnalité. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : Ch. André, "Souveraineté étatique, souveraineté populaire : quel contrat social pour la compliance ?", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 483-500.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par l'auteur) : Les « buts monumentaux de la compliance » servent de vecteurs à des valeurs sociales « communes » : la proposition est simple, mais elle apparaît à la fois familière et étrange aux yeux d’un pénaliste.

Familière, car même si la compliance transcende les frontières des disciplines académiques, elle partage avec le droit pénal une logique sanctionnatrice des atteintes portées à des intérêts sociaux. Etrange, car les buts monumentaux véhiculent des valeurs sociales en balayant toutes les savantes discussions qui ont cours depuis Beccaria sur les fondements et les fonctions axiologiques de la peine. En effet, les valeurs sociales promues par les buts monumentaux sont « communes » au triple sens du terme.

En premier lieu, elles sont partagées par les plus grandes entités économiques du monde occidental, internalisées, et cela sans qu’il y ait eu besoin d’un traité international sur les valeurs protégées. La question de la souveraineté est éclipsée.

En deuxième lieu, elles sont communes en ce sens qu’elles sont banales, ordinaires, recevant l’assentiment de la plupart des citoyens-consommateurs occidentaux : probité, égalité, respect de l’environnement, qui n’opinerait pas en faveur de leur respect ?  De là l’intérêt pour les entreprises de communiquer, de faire savoir, urbi et orbi, à quel point elles respectent ces buts monumentaux. La question du consensus citoyen sur les valeurs est éludée, car elles sont censées relever de l’évidence (quand bien même les buts pourraient être atteints par des voies différentes, voire se contredire : comment, par exemple, concilier dans la tarification accès de tous aux transports et respect de l’environnement ?).

En troisième lieu, ces valeurs sont communes car elles enrôlent désormais une foule de communiants (les « compliance officers », entre autres) qui, de plus ou moins bonne grâce - la liturgie tatillonne de la compliance peut rebuter certains officiants et susciter des Tartuffe - cherchent à diffuser le culte de ces valeurs à tous les échelons de l’entreprise. Respectées, ces valeurs sont forcément respectables : il s’agit d’une sorte de moralisation des entreprises par la foule des firmes qui les respectent. L’existence précède l’essence, et les valeurs véhiculées contribuent à la raison d’être de l’entreprise, par-delà la recherche du profit. La question de l’effectivité s’estompe, puisque ces valeurs sont déjà là, contrôlées régulièrement, tant en interne que par des autorités publiques. Souveraineté, citoyenneté, effectivité : la logique de la compliance supplante les débats académiques des pénalistes, leur substituant des solutions pratiques. Sans doute est-ce en cela que les buts sont « monumentaux » : vastes, globaux, écrasants. La compliance n’est peut-être pas le meilleur des mondes, mais c’est très certainement un autre monde.

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : Ch. Huglo, "À quelles conditions le droit climatique pourrait-il constituer un but monumental prioritaire ?", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p.169-174.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) :  L'auteur considère que  le service que la compliance  rend à la Société peut effectivement être considéré comme monumental et, confrontant la compliance à la question du climat, estime que le Droit climatique doit devenir non seulement un "But Monumental", mais encore être le premier. Il souligne les obstacles profonds pour poser même cette idée, de deux ordres, le premier étant le fait que le Droit s'est plutôt centré sur les pollutions passées, alors que l'enjeu est aussi la mesure de l'impact futur et la prévention. Le second tient à ce que les multiples textes et engagements n'ont pas de force obligatoire directe. Ce sont donc les tribunaux qui aujourd'hui, en raison de leur indépendance et la place que prend la science dans le débat contradictoire qui se déroule devant eux, la Société civile leur apportant la question du climat à laquelle ils sont de droit obligés de répondre, prennent les décisions à partir desquelles l'on peut penser que la "justice climatique" se constitue. 

En cela, le Droit climatique investi par les juridictions rejoint le Droit de la Compliance dans les objectifs poursuivis, en mettant en premier lieu la connaissance, la prévention et l'action pour préserver ce que le climat met aujourd'hui en jeu : la dignité humaine. 

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : S. Pottier, "Pour une compliance européenne, vecteur d’affirmation économique et politique", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 475-482.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Les buts monumentaux d'aujourd'hui, notamment environnementaux et climatique, sont d'une ampleur financière que l'on n'avait pas imaginé mais l'enjeu essentiel est plutôt dans la façon d'utiliser les fonds, c'est-à-dire les règles qui pour être efficaces et justes devraient être globales. L'enjeu est donc de concevoir ces règles et d'organiser l'alliance nécessaire entre les Etats et les entreprises. 

Il n'est plus aujourd'hui contesté que le souci de ces buts monumentaux et le souci de rentabilité des investissements font de paire, les financiers les plus conservateurs admettant d'ailleurs que le souci des autres et du futur doit être pris en compte en soi, la notation ESG t les "obligations vertes" le traduisant. 

Les entreprises sont de plus en plus responsabilisées, notamment par la pression réputationnelle exercée par la demande faite de participer activement à la réalisation de ces buts, cette insertion au cœur même du management de l'entreprise montrant le lien entre la compliance et la confiance dont les entreprises ont besoin, la RSE étant aussi basée sur cette relation, l'ensemble plaçant l'entreprise en amont, pour prévenir des reproches, fussent-ils injustifiés. L'ensemble de la gouvernance est donc impacté par les exigences de compliance, notamment la transparence. 

Malgré la globalité du sujet et des techniques, l'Europe a une grande spécificité, où se joue sa souveraineté et qu'elle doit défendre et développer, comme outil de gestion du risque et de développement de son industrie. Moins mécanique que le tick the box, l'Europe fait prévaloir l'esprit de la Compliance, où la compétitivité des entreprises se déploie dans un lien avec les Etats pour atteindre des buts substantiels. Pour cela, il est impératif de renforcer la conception européenne des normes de compliance et d'en prévaloir le modèle. Le modèle européen de compliance suscite beaucoup d'intérêts. Le devoir de vigilance en est un très bon exemple. Il est d'un intérêt premier de l'expliquer, de le développer et de le promouvoir au-delà de l'Europe. 

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Mise à jour : 1 septembre 2022 (Rédaction initiale : 24 mars 2022 )

Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : A. Oumedjkane, A. Tehrani et P. Idoux, "Normes publiques et compliance en temps de crise : les buts monumentaux à l'épreuve. Éléments pour une problématique", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 275-295.

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► Le résumé ci-dessous décrit un article qui fait suite à une intervention dans le colloque Normes publiques et Compliance en temps de crise : les Buts Monumentaux à l'épreuvecoorganisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et la Faculté de Droit de Montpellier. Ce colloque a été conçu par Marie-Anne Frison-Roche, Pascale Idoux, Antoine Oumedjkane et Adrien Tehrani, codirecteurs scientifiques, et s'est déroulé numériquement le 17 mai 2021.

📕Cet article figure dans le titre II de l'ouvrage, consacré à Normes publiques et Compliance en temps de crise : les Buts Monumentaux à l'épreuve.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par les auteurs) : La compliance désigne dans cet article le fait que des grandes entreprises privées, par les dispositifs internes de conformité à la norme publique, prennent pour partie en charge la réalisation de buts fixés par les autorités publiques, que celles-ci ne peuvent poursuivre seules (bon fonctionnement des marchés financiers, protection de l’environnement, lutte contre la corruption, etc.). Si hors période de crise a été établie la nécessité de maintenir un lien étroit entre normes publiques et compliance pour, la réalisation de ces « buts monumentaux », la validité de l’analyse doit être vérifiée en temps de crise. En effet, pour sortir au plus vite de la période troublée, il est tentant de s’en remettre avant tout aux autorités publiques.

Doit alors être envisagée, à l’aune de la crise sanitaire, la possibilité que le lien entre normes publiques et compliance soit altéré en temps de crise. Non seulement la réaction normative des autorités publiques au cours de cette période s’avère très intense mais en outre, certaines caractéristiques de la compliance pourraient conduire à douter qu’elle soit de toute façon un outil pertinent dans un contexte d’urgence et d’instabilité. À l’étude néanmoins, pour concrétiser les buts monumentaux, il apparaît nécessaire de maintenir le lien entre normes publiques et compliance. Ce lien a d’ailleurs été préservé, même au plus fort de la crise sanitaire, et il doit sans doute l’être aussi au-delà, car sa rupture présente des risques qui ne sont pas propres à cette crise. Autrement dit, la compliance, en dépit de ses insuffisances, ne perd sans doute pas ses atouts en temps de crise.  

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : B. Petit, "Les buts monumentaux du droit (européen) des relations de travail : un système mouvant aux équilibres à consolider", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 135-156.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par l'auteur) : Le droit des relations de travail s’est construit sur la poursuite de « buts monumentaux », dont un grand nombre sont aujourd’hui inscrits dans une myriade de normes nationales, européennes et internationales (justice sociale, droit au travail, égalité des sexes, lutte contre les discriminations, lutte contre le harcèlement, santé et hygiène au travail…). Il conviendra dans un premier temps d’éclairer le schéma d’organisation et d’articulation des buts monumentaux, tel qu’il transparaît du droit social international et européen positif. Nous nous apercevons alors qu’à partir d’un « but monumental cardinal » - la garantie de la dignité de la personne au travail – se déclinent des catégories distinctes de « buts monumentaux secondaires », selon qu’ils développent une préoccupation tenant à la qualité du travail, à sa soutenabilité économique et financière, ou encore à la garantie au travail des droits civils et politiques reconnue en amont à toute personne.  

Sur cette diversité des « buts monumentaux secondaires », s’exercent des forces qui émanent des acteurs (les entreprises, les organisations syndicales, et les Etats) et qui promeuvent certains buts plutôt que d’autres ; certaines visions des relations de travail plutôt que d’autres.  Nous observons en effet que les différentes catégories de « buts monumentaux » ainsi mis-en-évidence sont mues par des rationalités différentes, parfois contradictoires entre elles, ce qui exige l’établissement d’équilibres permanents que permet une réflexion sérieuse sur le but monumental cardinal de la garantie de la dignité de la personne au travail. Hélas, dans les faits, cette démarche essentielle échappe aux acteurs normatifs du droit des relations de travail. Il en résulte des « conflits » de buts monumentaux qui se manifestent notamment au cours du dialogue social, aux moments de la négociation collective et du fonctionnement des instances représentatives du personnel. Il conviendra donc, dans un second temps, de s’interroger sur la façon dont ces conflits peuvent être arbitrés, en gardant en tête que le droit social international et européen est pluriel (OIT, Conseil de l’Europe, Union européenne) et que les liens de coordination entre les systèmes juridiques concernés sont mouvants.

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1 septembre 2022

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : R. Bismuth, "Compliance et souveraineté : relations ambigües", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 439-452.

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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les Buts Monumentaux de la Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par l'auteur) : A première vue, la notion de souveraineté se conjugue difficilement avec la compliance. La souveraineté s'inscrit en effet en Droit international public dans une logique de répartition essentiellement territoriale des compétences alors que la compliance s'est développée et diffusée dans les entreprises selon des instruments et méthodes qui se jouent largement des frontières.

Un examen plus attentif révèle plus fondamentalement trois types d'interactions ambiguës entre les deux. La compliance peut tout d'abord être appréhendée comme un outil permettant aux États, en prenant appui sur les entreprises, de contourner les obstacles et limites posés par une souveraineté pensée territorialement et donc ainsi d'étendre celle-ci. Une telle démarche peut néanmoins conduire à des frictions voire conflits entre compliance et souveraineté, les normes véhiculées par la première n'étant pas nécessairement en adéquation avec celles imposées par la seconde.

Cela se vérifie en particulier lorsque les "buts monumentaux" de la compliance ne sont pas définis de manière unilatérale ou n'ont pas vocation à l'être. Enfin, en infusant dans les entreprises des instruments et méthodes qui ne qui ne sont pas sans rappeler des fonctions souveraines, la compliance peut aussi nous permettre de penser un mouvement émergent tendant à instaurer progressivement une souveraineté de l'entreprise au-delà de celle des États.

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31 août 2022

Responsabilités éditoriales : Direction de la collection "Cours-Série Droit privé", Editions Dalloz (34)

Référence complète : Piédelièvre, S., Instruments de crédit et de paiement, 12ième éd.Dalloz, Coll. "Cours Dalloz-Série Droit privé", 2022, 453 p.

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Présentation de l'ouvrage : l'ouvrage expose tout d'abord la théorie des comptes. Puis les instruments de crédit, que sont les effets de commerce et les nouveaux instruments de crédit. Dans la seconde partie de l'ouvrage, les instruments de paiement sont expliqués, à savoir le chèque et les nouveaux moyens de paiement. 

Ce manuel permet ainsi de comprendre les instruments juridiques par lesquels les entreprises se procurent du crédit et paient les créances que les tiers ont sur elles : la lettre de change ou le billet à ordre ou le chèque, l'ensemble fonctionnant le plus souvent à travers un compte bancaire.

Dans cette tradition qui demeure ancrée dans le droit civil dont les principes directeurs continuent de régir la matière, la modernité de certains instruments renouvelle celles-ci, comme la cession Dailly ou encore la monnaie électronique qui bouleverse le droit du paiement.

Ce manuel clair et avant tout pédagogique explique cette dialectique du droit classique et de la modernité des techniques.

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📚Consulter l'ensemble de la collection dans laquelle l'ouvrage a été publié.

 

 

 

 

28 août 2022

Compliance : sur le vif

 Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "Dans le Droit de la Régulation, la Concurrence est un principe adjacent, pas premier : exemple des investissements dans le réseau ferroviaire européen", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 28 août 2022.

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Le Droit de la concurrence est tautologique puisqu'il a pour objet la concurrence.

Dans le droit civil de la concurrence, il restaure ou préserve la compétition entre concurrents dans l'état où elle se trouvait (responsabilité) ou se trouve (contrat) ; dans une façon plus ambitieuse et plus politique, le Droit européen des marchés concurrentiels a pour but de construire et de garder les marchés concurrentiels. Le Droit de l'Union étant directement applicable en Droit français, nous vivons sous le ciel de ces deux perspectives.

🔴 M.-A. Frison-Roche et J.-Ch. Roda, Droit de la concurrence, Précis Dalloz, 2022

Son statut en tant que branche du Droit a toujours été l'objet de disputes. Certains pensent que le fonctionnement concurrentiel pur et simple, c'est-à-dire la lutte de tous contre tous pour susciter des demandes qui rencontreront les meilleures offres dans un prix d'équilibre, suffit à produire une société satisfaisante, les défaillances d'une telle "loi" (au sens scientifique du terme) justifiant simplement que, par exception, l'on prenne des dispositions spécifiques et exceptionnelles : cela fait alors du Droit de la concurrence un "ordre concurrentiel" et la discipline-mère de toutes les autres branches du Droit, parce que l'Économie serait elle-même la discipline-mère de toutes les autres disciplines, le Droit n'étant alors que l'expression neutre de l'Economie", science du marché.

Le Droit européen de la concurrence se développe donc à partir de son but : la construction et la garde des marchés concurrentiels. Textes, jugements et raisonnements partent des buts, à partir de raisonnements dits "téléologiques", qui fournirent l'ossature de tout le système, essentiellement conçu par la Commission européenne et validé par la Cour de Justice.

Après des décennies d'adhésion à cette idée, aux conséquences techniques considérables, l'on est en train de mettre en doute ce but même.

Cela ne peut que transformer l'ensemble du Droit européen, la place qu'y occupe le Droit de la concurrence, voire la conception même de ce Droit. Par exemple par rapport au Droit de la Régulation, qui sortirait enfin de son statut toléré d'exception.

L'Europe de la Régulation est effectivement en marche, comme on le voit en matière numérique, mais aussi dans tous les secteurs techniquement régulés. Où se situe alors le Droit de la concurrence ?

🔴E. Claudel (dir.), La concurrence dans tous ses états, 2021

Sans même aller vers l'exemple éclatant des textes adoptés ou en cours d'adoption en matière numérique (Digital Markets Act, Digital Service Act, Data Governance Act, Chip Act), que l'on pourrait encore présenter comme une exception propre au numérique (même si les technologies numériques recouvrent l'ensemble de notre monde), l'évolution concerne l'ensemble des secteurs régulés.

En effet, le Droit de la Régulation a longtemps été présenté soit comme un appareillage que l'on devait mettre en place parce qu'un secteur était techniquement inapte à recevoir le plein bénéfice du mécanisme de la concurrence (théorie des "défaillances de marché"), en présence par exemple de réseaux de transport constitutifs de monopoles économiquement naturels, soit comme la voie par laquelle des secteurs organisés antérieurement sous une forme de monopoles économiquement injustifiés (des monopoles publics) allaient passer, le plus rapidement possible et dans le plus de segments possible, du secteur public monopolistique au principe concurrentiel.

Le Droit de la Régulation était alors défini comme un Droit de nature transitoire permettant de passer d'un état passé essentiellement monopolistique vers un état futur essentiellement concurrentiel. Ce passage ne pouvant se faire en un instant et spontanément, du fait notamment de la résistance des opérateurs publics et des États, des Autorités de Régulations et des règles spécifiques ont été établies pour construire ce passage. Une fois cela fait, ce qui reste de "défaillance de marché" devait d'une façon définitive supervisé par l'Autorité qui pourrait alors demeurer à ce titre dans un secteur gouverné par le principe de concurrence, dans une "régulation symétrique".

L'on crût notamment que le Droit de la Régulation pourrait n'être que "transitoire" dans le secteur des télécommunications et se dissoudre dans le Droit de la concurrence, lequel serait suffisant à régir une activité qui n'avait rien de spécifique, le seul enjeu étant le prix des abonnements. On ne le croit plus. Mais toutes les règles avaient été conçues et appliquées à partir de ce postulat.

De la même façon le principe de concurrence fût appliqué à tous les secteurs régulés, en affirmant qu'il devait être traité comme le principe premier, puisqu'il était l'objectif même des dispositifs de Régulation. Ce fût notamment le cas en matière énergétique. Dire le contraire, notamment pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, n'eut pas d'écho, puisque l'objectif exprès de la directive européenne de 1996 était d'ouvrir le secteur à la concurrence en diminuant la domination et la puissance des opérateurs publics nationaux, par exemple EDF. Nous le payons aujourd'hui.

🔴A l'époque pour défendre la Régulation comme principe premier, M.-A. Frison-Roche, La concurrence, objectif adjacent de la régulation de l'énergie, 2014

Mais l'Europe change. Les nouveaux textes en matière ferroviaire le montrent.

En effet, le Droit de la Régulation ferroviaire, comme tous les autres Droits des autres secteurs régulés, avait été conçu comme un appareillage pour conduire ces secteurs naguère gouvernés par des monopoles vers le principe concurrentiel. L'ARAFER, puis l'ART (Autorité de Régulation des Transports) a été chargée d'accompagner l'ouverture à la concurrence du secteur et de rendre effective celle-ci.

Dans le bilan que le Régulateur a fait en juillet 2022 de 6 ans de son action, Six ans de régulation des transports (2016-2022). De l'ARAFER à l'ARTce principe est rappelé par son président, l'essentiel étant donc le prix payé par le consommateur : "Si elle ne régule pas directement les prix payés par les usagers mais intervient, pour l’essentiel, en amont, l’Autorité de régulation des transports, que j’ai l’honneur de présider depuis 2016, doit bien contribuer, in fine, à assurer à l’usager final les meilleurs tarifs au regard de la qualité fournie.".

Mais si un secteur est régulé, cela peut être non pas parce qu'il est "défaillant" dans son aptitude à produire par ses seules forces le prix adéquat mais parce que le secteur présente un caractère crucial, et certaines entreprises qui y opèrent également.

🔴M. -A. Frison-Roche, Proposition pour une notion : l'opérateur crucial, 2006

L'Europe commence à l'admettre, secteur après secteur. D'abord avec le secteur bancaire, parce qu'il est indissociable de la monnaie. Puis, mais si récemment ..., avec le secteur de l'énergie. Puis, avec les télécommunications, difficilement dissociables du numérique.

Aujourd'hui avec le ferroviaire, non seulement les difficultés du transport du blé montrent que l'indifférence à l'unification des infrastructures pour sillonner l'Europe étant un souci majeur, dont la presse se fait l'écho dans des termes similaires, par exemple BFM ou Le Figaro, mais c'est avant désormais non pas tant une question d'harmonisation des écartements de rails pour assurer l'interopérabilité du transport ferroviaire dont il s'agit mais d'investissements massifs aujourd'hui nécessaire pour dispositif d'un réseau ferroviaire européen.

Or, celui-ci est entravé par le Droit de la concurrence car seuls les Etats peuvent investir dans ce qui relève avant tout d'une perspective du service public. Or, l'Europe n'a pas les moyens financiers de le faire, pas plus que les entreprises en compétition. Seuls les États-membres le peuvent, soit directement soit en aidant leurs entreprises.

Mais la prohibition des aides d'Etat, prohibition qui n'existe pas dans le Droit américain de la concurrence, prohibition qui ne se justifie que par la réduction du Droit de la concurrence au seul commerce et la destruction des barrières nationales, l'interdit.

C'est contre cette prohibition que dans un premier temps à l'occasion des crises, notamment bancaires et financières, la Commission européenne elle-même est intervenue, ce qui a sauvé l'Europe en 2008 en permettant la recapitalisation des banques.

Mais aujourd'hui, c'est en dehors des crises qu'il faut repenser les investissements, notamment dans la perspective du Pacte vert qui est avant tout un texte porte sur l'Industrie et les Investissements, perspectives de Régulation et non de commerce. Ce Green deal impacte particulièrement les transports.

Parce que le Droit de la Régulation a besoin de subventions publiques pour dérouler des programmes Ex Ante, par exemple pour bâtir des structures ferroviaires, c'est en dehors même des crises et sous la forme de Règlement général que la Commission européenne propose de permettre aux Etats de construire une Europe ferroviaire, par un Règlement habilitant la Commission à délivrer des exemptions par catégorie en la matière.

Cette Europe ferroviaire qu'il aurait fallu construire dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en articulation avec le Traité CECA. Mais il n'est jamais trop tard.

En effet, la Commission européenne a déposé le 6 juillet 2002 une proposition de Règlement pour permettre de tels investissements, éventuellement publics, sans que la prohibition des aides d'Etat n'interfère, la Commission devenant habilitée à délivrer des exemptions pour ce faire. Se référant à sa stratégie pour une croissance durable, la Commission a rappelé que des actions en matière de transport " peuvent soutenir fortement la transition écologique en entraînant d’importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre et en améliorant la qualité de l’air, tout en favorisant la croissance de la productivité et en renforçant la résilience des écosystèmes industriels", soulignant " l’importance des investissements dans les transports publics et dans les infrastructures qui favorisent la transition vers une mobilité plus durable et intelligente, notamment dans des réseaux multimodaux européens continus et efficaces ainsi que dans la modernisation des réseaux transeuropéens de transport pour les voyageurs et le fret.".

Sous ce vocabulaire de "réseaux multimodaux européens continus et efficaces", c'est bien le service public que l'on retrouve et ce sont des actes de services publics qui pourront bénéficier des futures exemptions par catégorie délivrées par la Commission, le but étant donc non plus d'offrir le prix le plus adéquat possible mais bien un réseau ferroviaire européen qui permet aux marchandises (par exemple les céréales) et aux personnes de circuler sur le territoire de l'Europe. Rappelant ensuite que cet enjeu est lui-même en connection avec d'autres stratégies majeures de l'Europe, la Commission en conclut : "Ces objectifs ne sauraient être atteints sans des investissements considérables des États membres. ".

Concrètement, les investissements requis sont non seulement "considérables" mais très variés : " L’éventail des investissements que les États membres pourraient envisager pour soutenir des modes de transport à faibles émissions va des investissements dans une flotte nouvelle ou existante aux investissements dans l’infrastructure ferroviaire, les terminaux de transbordement et les ateliers de maintenance, également dans le but de stimuler la demande en faveur d’une flotte à émissions nulles et de solutions numériques permettant l’interopérabilité entre les modes de transport et au sein des secteurs.".

La conclusion de la Commission est donc : "Il convient dès lors de disposer de règles en matière d’aides d’État qui autorisent ces investissements lorsqu’un tel soutien public est nécessaire, tout en préservant et en renforçant la concurrence dans les transports par chemin de fer et par voie navigable et le transport multimodal.".

A partir de là, la Commission estime que l'ensemble des textes préalablement adoptés, notamment les lignes directrices qui expriment l'esprit dans lequel les règles doivent être interprétées à cette nouvelle lumière, mérite d'être repensé et propose l'adoption de cette habilitation lui permettant de délivrer seule des exemptions par catégorie en matière de transport ferroviaire et par voie navigable. En effet, "Selon l’expérience de la Commission, les aides à la coordination des transports sont essentielles au transfert modal et, sous réserve de certaines conditions, ne donne pas lieu à d’importantes distorsions de la concurrence. En outre, une exemption par catégorie des aides à la coordination des transports est largement souhaitée par les États membres. Il y a dès lors lieu de permettre à la Commission de soumettre à une exemption par catégorie les aides octroyées par les États membres en faveur de ces mesures, lorsque certaines conditions sont remplies."  

Suit des cas qui seront couvert par le Règlement d'exemption, mais il est rappelé par la Commission à cette occasion que : "En ce qui concerne le transport de fret en particulier, les obligations de service public pourraient constituer un instrument approprié pour promouvoir des services dans les zones et les segments dans lesquels le transport de fret ne se ferait autrement que par la route".

C'est donc bien un Droit global de Régulation, appuyé sur une politique et une stratégie européenne qui s'est mis en place. Les diverses exemptions finissent pour couvrir l'ensemble des activités ferroviaires et le but est celui de créer une Europe des transports qui, comme l'Europe de l'Energie, est indispensable à l'autonomie de celle-ci.

Dans cette nouvelle conception, qu'exprime aussi l'Europe de la Régulation bancaire et de la Régulation énergétique, ce n'est plus le commerce qui est le principe premier, c'est l'Industrie. Les entreprises étant éventuellement coordonnées entre elles. Et ce sont les États, coordonnés éventuellement entre eux, qui développent cette Régulation Ex Ante ayant pour but cette construction.

Dans cette nouvelle Europe, dont notamment le Commissaire Thierry Breton dessine fortement les traits, le principe de concurrence demeure le principe pour le commerce, mais lorsqu'il s'agit de ces questions de régulations, il est un principe adjacent, la concurrence se développant dans la filière là où il n'entrave pas le but principal. La concurrence est alors dans une place inversée : un principe bienvenu si elle peut justifier les bénéfices qu'elle apporte dans un système où le principe premier n'est pas elle.

24 août 2022

Base Documentaire : Doctrine

► Référence générale :  A., Linnet Taylor, Hellen Mukiri-Smith, Tjaša Petročnik, Laura Savolainen & Aaron Martin (2022) (Re)making data markets: an exploration of the regulatory challenges, Law, Innovation and Technology, DOI: 10.1080/17579961.2022.2113671

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19 août 2022

Compliance : sur le vif

 

 

La revue Business Insider consacre un article à l'information selon Laquelle : Microsoft Insiders say there's a risk of an employee exodus to rivals like Amazon after being "underwhelmed" by long-promised raises".

Le 18 août 2022, le professeur Barak Orbach commente cette information de cette façon : "A practical hypothetical for antitrust enforcers: Say Amazon hires many Microsoft employees. Recent statements and speeches suggest that the agencies might treat such a hiring pattern as a predatory strategy. Shouldn't it be treated as the outcome of competition in labor markets??".

A son tour, le professeur Jean-Christophe Roda remarque à propos de cette suggestion faite dans la perspective du Droit américain : "De l’utilité du droit de la concurrence déloyale (sans avoir à déterminer un hypothétique marché du travail).".

En effet, ce qu'il est convenu d'appeler le "Droit de la concurrence" comporte dans une conception classique d'une part le "Droit de la concurrence déloyale", qui, historiquement issu du Droit civil, sanctionne le comportement d'un opérateur économique au détriment d'un autre et le "Droit des marchés concurrentiels" qui, venu plus tard, vise à préserver la structure concurrentielle des marchés des biens et services.

Ce Droit des marchés concurrentiels, né principalement au XXième siècle, sanctionne les comportements qui abîment les marchés des biens et services, réparent les marchés des dommages nés des comportements anticoncurrentiels (ententes et abus de domination), préviennent la détérioration de la libre concurrence (par le contrôle préventif des concentrations) : il protège la concurrence, il ne protège pas les concurrents. C'est un Droit objectif. La sanction des stratégies dommageables des opérateurs les uns par rapport aux autres n'est pas en tant que telle son objet.

Ainsi le Droit civil sanctionnant la concurrence déloyale est désormais souvent appelé le "petit droit de la concurrence", tandis que le Droit des marchés gouvernés par la Loi économique de l'offre et de la demande, essentiellement pensée par les économistes, est devenu celui qui paraît le seul digne d'être enseigné. C'est souvent lui qui est le seul exposé dans les ouvrages de Droit de la concurrence.

Si Jean-Christophe Roda et moi-même dans la seconde édition du Précis Dalloz de Droit de la concurrence (2022), nous n'avons pas fait cela (pas plus que dans la première édition menée avec Marie-Stéphane Payet), c'est parce que nous pensons à l'inverse qu'il y a une grande unité entre les règles qui sanctionnent les atteintes au marché concurrentiel et les règles qui sanctionnent les atteintes aux droits des opérateurs économiques à ne pas subir des comportements déloyaux de la part de leurs compétiteurs.

Leur articulation donne même pleine efficacité à l'ensemble.

C'est pourquoi l'ouvrage consacre une partie complète au Droit de la concurrence entre concurrents, tel que le Droit français continue de l'appréhender, par le Droit des contrats et par le Droit de la responsabilité pour concurrence déloyale, pouvant ainsi saisir des situations que le Droit des marchés concurrentiels ne peut aisément régler.

En effet l'entreprise est au cœur des marchés, la loyauté de la concurrence est un principe grandissant tandis que l'action des victimes (private enforcement) prend une place de premier plan dans l'effectivité du Droit des marchés concurrentiels (public enforcement).

Or cet exemple américain montre la faiblesse des systèmes qui ne font principalement place qu'aux règles objectives et économiques des Marchés concurrentiels.

À supposer les faits établis, ce dont nous ne savons rien, le commentateur américain se tourne naturellement vers les Autorités publiques en demandant l'application de la théorie de la prédation sur un marché, ici le marché du travail.

L'objet de preuve est double : d'une part, déterminer le marché pertinent, le marché du travail (comme le souligne Jean-Christophe Roda) et d'autre part déterminer la prédation, soit par l'existence de rémunérations promises prédatrices (supposant la preuve objective de rémunérations justes dans un secteur extrêmement compétitif), soit par l'existence de stratégies sur les personnes elles-mêmes (par un glissement d'objet de preuve, vers des preuves subjectives de débauchage).

La charge de preuve est très lourde : non seulement sur les écarts entre les rémunérations qu'une personne peut normalement attendre et la rémunération "excessive" qui aurait été offerte, mais sur la détermination des divers marchés du travail concernés. Etant observé que les relations entre la branche du Droit du travail et la branche du Droit de la concurrence sont plus que difficiles.

Or, Jean-Christophe Roda fait observer que dans le Droit de la concurrence déloyale, ce cas est prévu. En effet, issu du Droit de la responsabilité, vieille branche du Droit, celle-là même dont on peut aujourd'hui attendre beaucoup car du fait de sa généralité elle est la mieux placée pour appréhender les situations nouvelles, la jurisprudence a élaboré des sortes de cas d'ouverture de responsabilités, en allégeant les charges de preuve.

Un des cas d'ouverture de responsabilité pour concurrence déloyale est précisément celle du débauchage massif de salariés par une entreprise chez l'un de ses concurrents. Pour obtenir la condamnation de l'auteur d'un tel comportement, il n'est besoin ni de déterminer un marché pertinent, ni de démontrer le caractère disproportionné des avantages proposés, ni même de démontrer que l'entreprise victime n'a pas pu survivre à la désorganisation qu'elle a de ce fait endurée.

Ainsi la Chambre commerciale de la Cour de cassation, par son arrêt du 23 juin 2021, Société Sud-Ouest déchets industriels c/Société Eiffage Energie systèmes - clemessy services, (n°19-21.911) a posé : "Une société ayant eu un rôle actif dans le débauchage d'une grande partie des salariés d’un service d’un concurrent et ayant désorganisé ce service a été jugée coupable de concurrence déloyale, peu important que ce concurrent ait reconstitué ses effectifs rapidement.".

Face à ces lions que sont Microsoft et Amazon, l'on a souvent besoin du petit Rat de la concurrence déloyale.

 

 

18 août 2022

Compliance : sur le vif

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "La responsabilité systémique, réponse judiciaire à la crise des opioïdes", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 18 août 2022.

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Les jugements se succèdent aux Etats-Unis. Comme le rapporte un article paru dans le New-York Times du 17 août 2022, CVS, Walgreen and Walmart Must Pay $650.5 Million in Ohio Opioid case, "A federal judge ordered the big pharmacy chains to bear partial responsibility for the deadly drug crisis.".

L'article relate le jugement rendu par un juge fédéral de l'Ohio, qui condamne des chaînes de pharmacies, jugement contre lequel celles-ci font appel.

Il y a des milliers de cas certains jugés, d'autres en attente, certains ayant abouti contre des laboratoires, d'autres contre des chaines de pharmacies, certains ayant abouti à des condamnations, d'autres non. Les condamnations déjà prononcées ont fait l'objet d'appel de la part des entreprises condamnées, ici des chaines de pharmacies, antérieurement des laboratoires pharmaceutiques.

Ce qui est qualifiée de "crise des opioïdes" renvoie à la prescription massive d'opioïdes, initialement simplement anti-douleurs puis drogues consommées massivement par des personnes non atteintes de douleurs, produits pourtant prescrits par des médecins et vendus par des "drugstores" et autres pharmacies, ce qui a entraîné de nombreux morts par overdose, chacun sachant que les posologies n'étaient pas suivies, des "moulins à réduire en poudre les pilules étant facilement disponibles sur Internet, les consommateurs ne souffraient pas de pathologies justifiant ces prises trouvant très facilement médecins et pharmaciens pour s'approvisionner en toute légalité. Mais personne n'a eu de rôle causal direct dans ce système où tout était conforme à la réglementation car les Autorités de régulation, notamment celles en charge des médicaments ne sont pas intervenues, et les consommateurs connaissaient les risques attachés à une telle consommation.

Mais les systèmes qui ne sont pas ou mal régulés en Ex Ante sont "régulés" en Ex Post et le temps des responsabilités arrive toujours. La crise des opioïdes, ses victimes ou les proches des personnes décédées, sont désormais par milliers devant les tribunaux américains.

Selon la procédure américaine, dans le cas présent, c'est tout d'abord un jury qui, en novembre 2021, a déclaré les entreprises défenderesses partiellement responsables des décès des consommateurs d'opioïdes ; c'est maintenant le Juge fédéral de de Cleveland qui évalue les dommages et intérêts correspondant à cette responsabilité.

Ce cas est particulièrement intéressant car les consommateurs savaient pourtant ce qu'elles faisaient et les médicaments étaient bien fournis sur ordonnances légalement délivrées, les pharmacies ayant eu un comportement licite et n'ayant pas eu un rôle causal direct dans la crise qui entraîna de très nombreuses victimes. C'est d'ailleurs pourquoi d'autres juridictions, notamment en Californie, n'ont pas voulu engager leur responsabilité.

Si la juridiction de l'Ohio a pourtant retenu la responsabilité des chaines de pharmacie, c'est parce que, dans ce système que l'on pourrait "réglementairement conforme", elles ont participé à la diffusion d'une "nuisance publique" (public nuisance) en n'avertissant pas elles-mêmes sur les dangers de la substance et en délivrant massivement le produit à des personnes manifestement droguées, alimentant un système nocif.

Il s'agit donc d'un raisonnement "téléologique", s'appuyant sur les finalités, adopté dans une perspective systémique.

Dans le système libéral américain, les tribunaux peuvent ainsi engager la responsabilité et des laboratoires pharmaceutiques et des chaînes d'officines pharmaceutiques si cette perspective systémique est adoptée.

En raison du caractère systémique de ce cas car ce système de cette drogue licite a fait de très nombreux morts pourrait se dessiner une "responsabilité systémique", même dans un pays où le principe de la liberté de l'individu qui prend ses risques demeure acquis, et même si cela devait être avant tout au Régulateur public d'intervenir pour prévenir, informer et empêcher cette hécatombe.

Pour l'instant, car le Droit de la Responsabilité est lent, les premières décisions sont prises, sont divergentes selon les différents Etats. Elles sont observées par l'ensemble du secteur médical car c'est la notion même de Responsabilité qui est ici dessinée.

Un tel raisonnement systémique pourrait être repris au-delà de ce secteur. Il pourrait ainsi être repris à propos d'un autre produit dangereux que les vendeurs et prescripteurs présentent comme sûr et profitable : les jetons, souvent appelés "cryptomonnaies". Lorsqu'arriveront les dommages massifs engendrés par la crise de ceux-ci, les victimes pourront-elles se retourner pareillement contre les prescripteurs et les vendeurs ?

Le cas est systémiquement analogue, puisqu'il s'agit de la conception que l'on peut avoir de la causalité. Il faut alors choisir de conserver la conception traditionnelle de la Responsabilité ou une conception systémique de celle-ci, qui fait peser sur les "opérateurs cruciaux" une Responsabilité non plus Ex Post mais Ex Ante. C'est un choix.

Comme le souligne l'avocat des chaines de magasins condamnés, se référant à la conception classique des conditions d'engagement de la responsabilité, les pharmaciens n'ont pas eu de rôle causal direct : (extrait de l'article") “We never manufactured or marketed opioids nor did we distribute them to the ‘pill mills’ and internet pharmacies that fueled this crisis,”".

Ils estiment donc que c'était pas à eux de faire le travail qu'en Ex Ante les Etats et les Régulateurs n'ont pas fait : (extrait de l'article) " “Instead of addressing the real causes of the opioid crisis, like pill mill doctors, illegal drugs and regulators asleep at the switch, plaintiffs’ lawyers wrongly claimed that pharmacists must second-guess doctors in a way the law never intended and many federal and state health regulators say interferes with the doctor-patient relationship. ”.

L'on peut en effet soutenir que les pharmaciens ne sont pas des régulateurs en second niveau, ils n'ont pas à gérer les défaillances des autres, à prévenir les crises systémiques.

La question est effectivement d'une part de déterminer si les opérateurs cruciaux (que sont dans le secteur médical les médecins, les pharmaciens, les laboratoires) ont ou n'ont pas un tel rôle ; et d'autre part de savoir si c'est aux juridictions de répondre à une telle question, étant observé que répondre en affirmant que les pharmaciens avaient ce rôle-là est audacieux et suppose que l'on met à leur charge une "Responsabilité Ex Ante".

Dans une perspective systémique, et parce que cela aurait évité bien des morts, l'on aurait tendance à répondre que les pharmaciens auraient dû jouer ce rôle systémique et que le Droit de la responsabilité est la branche la plus politique et la plus créative du Droit.

Mais n'oublions pas que la Cour suprême des Etats-Unis vient d'affirmer le 24 juin 2022 que le juge doit être modeste et ne pas avoir d'ambition pour les autres, y compris pas pour sauver des vies, le climat ou protéger les femmes. L'on peut donc préférer une vision plus traditionnelle du Droit de la responsabilité où celui qui ferme les yeux et n'agit pas alors qu'il est au cœur du système n'est pas responsable dès l'instant qu'on ne lui en a pas expressément confié la tâche. .

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🔴Sur la comparaison du droit français appliqué à cette cause systémique des opioïdes : Th. Thouret, 📝Le pharmacien, un "opérateur crucial" pour prévenir une crise des opiacés en France, 2020

🔴Sur la notion même de "cause systémique", telle que les juridictions doivent les appréhender : 𝒎𝒂𝒇𝒓, M.-A. Frison-Roche, 🎥 𝑳'𝒉𝒚𝒑𝒐𝒕𝒉è𝒔𝒆 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒄𝒂𝒕é𝒈𝒐𝒓𝒊𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒄𝒂𝒖𝒔𝒆𝒔 𝒔𝒚𝒔𝒕é𝒎𝒊𝒒𝒖𝒆𝒔, 2022

🔴sur la notion de "Responsabilité Ex Ante" : 𝒎𝒂𝒇𝒓, 📝La Responsabilité Ex Ante, pilier du Droit de la Compliance, 2022

 

12 août 2022

Compliance : sur le vif

 

🔴Dans l'ouvrage disponible au 1ier septembre 2022 sur 📕𝑳𝒆𝒔 𝑩𝒖𝒕𝒔 𝑴𝒐𝒏𝒖𝒎𝒆𝒏𝒕𝒂𝒖𝒙 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑪𝒐𝒎𝒑𝒍𝒊𝒂𝒏𝒄𝒆, paraissant dans la collection Régulations & Compliance coéditée par le Journal of Regulation & Compliance et Dalloz, qu'en est-il des points de contacts avec la raison d'être des entreprises ?

Et s'il y a de tels points de contacts, ce dont on pourrait se réjouir, que reste-t-il alors du Droit classique des sociétés, qui semble construit sur de tout autres bases ?

Le Droit de la Compliance, comme le fît le Droit financier, renouvelant alors complétement le Droit des sociétés, parce qu'il y intègre les Buts Monumentaux par lesquels il se définit.

🔴𝒎𝒂𝒇𝒓, 📝 Les Buts Monumentaux, cœur battant du Droit de la Compliance, 2022

C'est à ce triangle de questions, Bermudes pour lequel il faut du courage, que s'est attaquée Anne-valérie Le Fur dans sa remarquable contribution à l'ouvrage : 📝 Intérêt et raison d’être de l’entreprise : quelle articulation avec les buts monumentaux de la compliance ?

Elle y analyse la façon dont le Droit de la Compliance renouvelle le Droit des sociétés en lui donnant une cohérence nouvelle, notamment par rapport à l'impératif de "gouvernance", notion relativement peu juridique, et à la notion de "raison d'être" que la loi dite Pacte a fait plus nettement entrer dans l'Ordre juridique.

Comme le résume l'auteur, la question ouverte est celle de savoir si "les sociétés auraient une âme...", le législateur le pensant puisque la loi dite Pacte du 22 mai 2019 oblige les dirigeants à agir dans un intérêt social, englobant autrui et permet aux sociétés de se doter d'une raison d'être. Quant au droit de la compliance, il compte sur les entreprises pour sauver le monde de la corruption, de l’esclavage, du terrorisme, du réchauffement climatique…, pour atteindre ainsi des buts monumentaux.

L'auteur montre que de prime abord, les contours de l’intérêt social et de la raison d’être ne sont guère éloignés des 𝑩𝒖𝒕𝒔 𝑴𝒐𝒏𝒖𝒎𝒆𝒏𝒕𝒂𝒖𝒙 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑪𝒐𝒎𝒑𝒍𝒊𝒂𝒏𝒄𝒆. Guère surprenant, puisque l’objectif qui a présidé à leur introduction dans le Code civil est le même que celui sous-jacent au droit de la compliance : repenser la place de l’entreprise dans la société, en affirmant des valeurs ou des préoccupations de long terme. Voilà donc une raison de faire appel à ces notions du droit des sociétés dans le cadre d’une radioscopie de la notion même de buts monumentaux.

 

Or, une première approche, comparative, s’avère décevante. Les divergences entre les notions sociétaires et la compliance conduisent à considérer que le droit des sociétés n’a pas vocation à imposer autre chose qu’un ordre public sociétaire. Notions plus philosophiques que juridiques, intérêt social et raison d’être se voient attribuer des fonctions qui limitent leur portée. L’impérativité des règles sociétaires, et c’est une conséquence de ce qui précède, n’est pas comparable avec celle de la compliance : incertaine, elle est également relative lorsque qu’on la compare avec la « violence » des règles de compliance. L’impact des notions d’intérêt social et de raison d’être reste donc principalement interne à la société.

 

Mais l'autre montre que selon une seconde approche, il n’est pas exclu qu’intérêt social et raison d’être- autorisent une meilleure appréhension de valeurs supérieures et universelles par le droit des sociétés. L’intérêt social peut intégrer les buts monumentaux de la compliance tandis que la raison d’être peut constituer une perspective de réalisation de ces buts.

L’enjeu n’est pas des moindres : lorsque l’intérêt de la société, en tant que personne morale et agent économique autonome, rejoint les buts monumentaux, on démultiplie les moyens d’atteindre ceux-ci en les internalisant dans toutes les sociétés, et pas seulement celles de grande taille. Reste qu’en dépit de toutes les bonnes intentions, une société n'est gouvernable que si la boussole ne devient pas une girouette insaisissable et indécise ; en d’autres termes, si la sécurité juridique est respectée. C’est pourquoi, un ordonnancement juridique des notions en présence s’impose, ce qui conduit in fine à suggérer leur domaine, leur contenu et leur portée.  

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Cet article pose une question générale à propos du Droit de la Compliance : celui-ci a un effet indéniablement perturbant, éventuellement destructeur. L'auteur le montre parfaitement pour le Droit des sociétés. Comme elle le conclut, si on ne connait pas d'une façon nette et claire le but d'une telle perturbation, alors cela justifie une critique, parce que la force apportée ne sera pas "créatrice", pour reprendre ce concept et l'image utilisée de la "girouette" plutôt que de la "boussole" est pleinement justifiée.

Ce qui est ici démontré pour le Droit des sociétés s'applique aussi pour le Droit pénal ou pour le Droit international public (branches du Droit également examinées dans l'ouvrage).

L'enjeu pratique est donc bien celui de fixer clairement et simplement une telle boussole, avant tout constituée par une définition simple et substantielle du Droit de la Compliance : 🔴𝒎𝒂𝒇𝒓, 📝Le Droit de la Compliance, 2016.

 

 

8 août 2022

Compliance : sur le vif

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "Rendre plus coûteux l'accès au marché de la Haine, Newsletter MAFR Law, Compliance", Regulation, 8 août 2022. 

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L'on dit parfois que le Droit européen lutte contre la désinformation tandis que le Droit américain, par une sorte de passion sans limite pour le principe de la liberté d'expression, ne le ferait en rien.

Cela n'est pas exact. Un article paru dans le New York Times du 4 août 2022, Jurors award $45.2 million in punitive damages after lawyer for Sandy Hook parents asks them to "stop Alex Jones.", vient rappeler l'efficacité de l'action en diffamation dans la lutte contre la désinformation (I). Cela montre le souci commun aux Droits américain et européen : le souci d'arrêter la désinformation (II). Il demeure que les deux voies juridiques de lutte contre la désinformation, souci commun, reflètent deux cultures juridiques différentes, le Droit américain continuant de le faire Ex Post et par le calcul économique, le Droit européen le faisant Ex-Ante et par le Droit de la Compliance (III).

 

I. L'EFFICACITÉ DES ACTIONS EN DIFFAMATION POUR LUTTER CONTRE LA DÉSINFORMATION

Cet article, qui vient à la suite d'une série d'autres, le journal suivant depuis longtemps le cas, illustre à travers ce cas le maniement de l'action en diffamation pour sanctionner efficacement l'usage de la désinformation.

Il relate que dans la tuerie en 2012 d'une école d'enfants et d'enseignants, dans 20 enfants sont morts, un conspirationniste, Alex Jones, a par la suite utilisé son système média notamment numérique, dont la maison-mère a pour nom Free Speech et la filiale de diffusion Infowars, pour affirmer que cet évènement était un complot du gouvernement fédéral pour lutter contre le droit constitutionnel de chacun de porter des armes et aboutir à la prohibition par l'adoption d'une loi de celui-ci. Ce complot aurait donc eu pour but de confisquer les armes des Américains, complot dont les parents des enfants décédées auraient été complices.

Les parents de 10 enfants décédés ont agi en diffamation contre Alex Jones.

Les procès ont eu lieu en deux temps, le premier pour engager la responsabilité du défendeur, le second pour calculer le montant des dommages et intérêts.

L'année dernière, la responsabilité du défendeur a été établie à la fois par une juridiction du Texas et une juridiction du Connecticut.

Tandis que le défendeur a déclaré faire appel de son engagement de responsabilité, le verdict concernant le montant des dommages et intérêts a été rendu par le jury de la Cour du Texas.

Le jury a lui-même procédé en deux temps.

Concernant la somme à attribuer aux parents pour compenser la perte de l'enfant : les intérêts compensatoire (compensative damages). Ceux-ci se sont montés à 4 millions, pour compenser leur malheur

Puis le jury a évalué les dommages et intérêts punitifs (punitive damages). Ceux-ci se sont montés à 45,2 millions. Cela se justifie à la fois pour punir le défendeur mais aussi, et surtout, pour le dissuader de continuer, à pratiquer une sorte d'industrie de la désinformation, le verdict s'adressant non seulement à lui mais encore à tous ceux qui pratiquent la même activité commerciale. Ce que l'on pourrait appeler l'activité économique de la Haine.

Cela montre à quel point, alors qu'on affirme si souvent l'inverse, les Droits américain et européen, ont ce fond commun : le souci de lutter contre la désinformation.

 

II. CE QUI EST COMMUN AU DROIT EUROPÉEN ET AMÉRICAIN : LE SOUCI DE LUTTE CONTRE LA DÉSINFORMATION

Les juristes américains rappellent pourtant que l'action en diffamation est depuis longtemps maniée par les juridictions américaines pour que la liberté d'expression ne laisse pas sans défendre contre la désinformation, tout système juridique produisant toujours ce que l'on pourrait appeler ses anticorps, l'action en diffamation étant maniée à la fois pour protéger les victimes mais aussi le système, notamment le système démocratique.

Or, les dommages et intérêts "punitifs" sont 10 fois plus importants que les dommages et intérêts visant à réparer le dommage. Cela s'explique par le calcul économique auquel le jury a procédé, l'analyse économique du Droit étant sans doute plus familière aux Etats-Unis, y compris dans les jurys, qu'en Europe, pour servir ce souci commun de lutte contre la désinformation (A). Les juridictions utilisent alors le Droit de la responsabilité pour infléchir le futur, comme le fait le Droit européen (B).

A. LE CALCUL ECONOMIQUE

En effet, l'article souligne : "The jury announced both awards after several dramatic days in court that included testimony that Mr. Jones and Free Speech Systems, the parent company of his misinformation-peddling media outlet, Infowars, were worth between $135 million and $270 million.".

L'idée est de rendre à l'avenir cette activité médiatique que l'on ne peut éradiquer dans son principe, puisqu'ancrée dans le principe de la liberté d'expression, comme le rappelle la dénomination sociale de la structure faîtière du groupe, ne soit plus rentable, ni même cessible, faute d'acheteur, le revenu de l'activité étant environ d'une cinquantaine de millions par an.

En effet, deux autres procès en évaluation de dommages et intérêts attendent. Si les jurys attribuent une même somme, le coût d'accès au marché de la Haine sera alors suffisamment élevé, notamment si l'on inclut le coût des procès eux-mêmes, le défendeur se plaignant expressément des millions que lui coûtent ces trois procès qu'il estime injustement menés contre lui.

Pour fermer le marché de la Haine, il convient de démonétiser celle-ci, les punitive damages pouvant être utilisés pour ceux-ci. C'est en ces termes que cela a été demandé par l'avocat de la famille de l'enfant de 6 ans tuée, dans ces termes rappelés par l'article : "“Stop the monetization of misinformation and lies. Please.”.".

Le plaisir de haïr et les croyances (ici le complotisme) ne sont effectivement pas le seul moteur de la désinformation, il y a aussi l'appât du gain : accroître le coût d'accès au marché de la haine par une bonne application de l'Economie du Droit, est une solution, dont ici application est faite, le calcul étant alors fait non pour le passé mais pour le futur.

Dès lors, cet entrepreneur pourrait arrêter son business de la haine non par éthique ou amour de la vérité ou disparition de plaisir de haïr mais par rationalité économique, puisque la Haine va cesser de lui rapporter de l'argent.

🔴 Sur l'analyse économique de la Compliance, v. Bruno Deffains et Laurent Benzoni, 📝 Approche économique des outils de la Compliance: finalité, effectivité et mesure de la Compliance subie et choisiein M.-A Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, coll. Régulations & Compliance", 2021.

🔴 Sur l'analyse de la nature de la Haine, v. M.-A Frison-Roche, 📧Quand on s'intéresse à la Compliance, lire "La Haine" de Günther AndersNewsletter MAFR Law, Compliance, Regulation1ier août 2022.

 

B. LE MANIEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DANS UNE PERSPECTIVE EX-ANTE

Les juges utilisent ainsi la branche du Droit la plus ancienne dans la Common Law (Tort Law) pour se saisir de l'essentiel : l'avenir. Car rien ne peut compenser la mort d'un enfant et c'est sans doute par altruisme que ces parents agissent en justice pour tenter d'obtenir que cette personne à la tête d'un business de la désinformation cesse de nuire.

Ce faisant, ce qui est assez familier à l'Analyse Economique du Droit, dans laquelle le traitement des décisions comme des informations pour calculer les comportements à adopter et les anticipations sont des éléments centraux, les agents étant présumés rationnels, les dommages et intérêts sont utilisés pour obtenir le comportement souhaité : ici l'arrêt.

Le Droit européen est en train de faire bouger un Droit de la responsabilité qui, sans atteindre l'ampleur qu'il a dans le système de Common Law et notamment parce que les dommages et intérêts punitifs continuent de n'être pas admis, s'oriente vers l'avenir, afin d'obtenir des entreprises qu'elles cessent d'avoir des comportements dommageables et/ou qu'elles adoptent les comportements souhaitables.

C'est notamment le cas pour répondre au souci climatique ou dans ce qui sera le traitement juridictionnel du devoir légal de vigilance, dans lesquels il ne s'agit pas d'être sévère dans l'appréciation des comportements passés - ce sont des obligations de moyens - mais il s'agit d'obtenir des comportements adéquats pour le futur. En effet, comme pour l'usage des armes et les enfants que l'on ne peut plus que pleurer, il faut prévenir et infléchir le futur et non pas - ou pas principalement - sanctionner le passé.

🔴 Sur ce mouvement, v. 𝒎𝒂𝒇𝒓, 📝 𝑳𝒂 𝒓𝒆𝒔𝒑𝒐𝒏𝒔𝒂𝒃𝒊𝒍𝒊𝒕é 𝑬𝒙 𝑨𝒏𝒕𝒆, 𝒑𝒊𝒍𝒊𝒆𝒓 𝒅𝒖 𝑫𝒓𝒐𝒊𝒕 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑪𝒐𝒎𝒑𝒍𝒊𝒂𝒏𝒄𝒆, 2022.

Si ce fond est commun, à savoir le souci commun de lutter contre la désinformation, où l'Europe est davantage en avant, et l'usage du Droit de la responsabilité en le tournant vers l'avenir, où les Etats-Unis sont davantage en avant, les cultures demeurent tout de même différentes.

 

III. LES MODALITÉS DIFFÉRENTES ENTRE L'EUROPE ET LES ÉTATS-UNIS : EX ANTE NON-JURIDITIONNEL VERSUS EX-POST JURIDICTIONNEL

Pour exprimer son souci de lutter contre la désinformation, l'Europe va continuer de privilégier sa culture de la Régulation en Ex Ante (A), tandis que les Etats-Unis continuent sans doute à compter sur la puissance judiciaire (B).

A. LA CULTURE EX-ANTE EUROPÉENNE, À TRAVERS LE DROIT DE LA COMPLIANCE

Ainsi, le Digital Services Act va obliger les entreprises qui offrent des espaces d'information dans le numérique à mettre en place des systèmes de détection et de prévention de la désinformation.

En cela, généralisant et unifiant les systèmes nationaux, les entreprises numériques vont être contraintes en Ex-Ante de lutter activement contre la désinformation, même s'il n'y a pas fusion entre l'entreprise qui tient l'espace de communication et l'auteur du contenu. L'entreprise est ainsi de force associée dès le départ et en continu à la concrétisation du but politique et économique de préservation de la vérité, "But Monumental", que vise la lutte contre la désinformation.

Même si cette obligation de Compliance est une obligation de moyens, l'opérateur est ainsi soumis à la supervision des Autorités publiques, en France l'Arcom. Le Droit de la Compliance prolonge ainsi le Droit de la Régulation dans ce nouvel espace.

🔴 Sur le mouvement d'ensemble, v. Roch-Olivier Maistre, 📝 Quels buts monumentaux pour le Régulateur dans un paysage audiovisuel et numérique en pleine mutation ?,  in M.-A Frison-Roche (dir.), 📕Les buts monumentaux de la Compliance, coll. Régulations & Compliance", 2022.

 

B. LA CULTURE EX-POST AMERICAINE, À TRAVERS LA CONFIANCE D'UN JUGE ACTIF, EXPERT ET DILIGENT

La culture américaine donnant plus de place à la liberté, l'initiative et comptant sur le calcul des individus rationnels, donne plus de place aux juridictions, lesquelles ont un pouvoir considérable, via la procédure, notamment par l'admission des class actions, et via les punitive damages, l'association des deux accroissant le pouvoir juridictionnel.

Le juge américain n'est pas beaucoup plus rapide que le juge européen, ce qui pour une action sur l'avenir peut poser difficulté. L'événement tragique a eu lieu en 2012 et, tandis que les procès évoluaient, le défendeur a mis son groupe sous la protection du Droit américain des faillites (chapter 11).

L'on peut en outre penser que la voie européenne de l'Ex-Ante est plus appropriée, puisque l'Ex-Ante vise à ce que les choses n'arrivent pas, tandis que l'Ex-Post a une ambition moindre, celle de compenser les dommages déjà arrivés : la mort des personnes, la chute de la Démocratie, dont la "compensation" est assez difficile et pour laquelle la restauration est peu concevable.

Mais sans doute est-ce une réflexion européenne que de penser ainsi, puisque la liberté y trouve moins son compte.

Il est vrai que le mouvement de "Juridictionnalisation du Droit de la Compliance" ne fait que commencer en Europe, ce qui doit plus rendre d'autant plus attentifs aux jurisprudences efficaces Outre-Atlantique.

🔴 Sur le mouvement d'ensemble de la Juridictionnalisation, v. M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La Juridictionnalisation de la Compliance, coll. Régulations & Compliance", à paraître.

 

 

2 août 2022

Publications

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 Référence complèteM.-A. Frison-Roche, Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Prolégomènes pour le système probatoire de la compliance, document de travail, août 2022

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📝ce document de travail a été élaboré pour servir de base à un article : "Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la compliance".

📕publié dans sa version française dans l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliancedans la collection 📚Régulations & Compliance

📘dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Jurisdictionalisation, dans la collection 📚Compliance & Regulation

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 Résumé du document de travail : Pour articuler le système probatoire de la compliance, il convient d'admettre en préalable que le Droit de la preuve est un système à part entière, construit sur un « carré probatoire » fonctionnant quelle que soit la situation, et qu’à première vue le Droit de la Compliance le rejette, étant incompatible avec des principes probatoires majeurs, dès l'instant que l'on définit la Compliance comme l’obligation qu’auraient les entreprises de donner à voir (ce qui relève de la preuve) leur respect de toute la réglementation qui leur est applicable.

Mais heureusement, la Compliance ne doit pas recevoir cette définition. Le Droit de la Compliance consiste dans l’ensemble des principes, institutions, règles et décisions qui, dans une alliance entre Autorités publiques et entreprises cruciales, tend d’une façon substantielle à la concrétisation de Buts Monumentaux. Branche du Droit Ex Ante protectrice des systèmes et des êtres humains qui y sont impliqués, le Droit de la Compliance a pour objet de détecter et de prévenir pour qu’à l’avenir les systèmes soient moins délétères qu’ils ne seraient si l’on ne fait rien, voire soient meilleurs.

De cette action exigée, qui requiert mises en place de structures et séries de comportements, un système probatoire spécifique se dégage. Il est composé en premier lieu d’objets de preuve spécifique, constitués d’une part par les structures et d’autre part par les comportements. En deuxième lieu, la spécificité de la compliance, souvent dénoncée, tient dans la charge de la preuve, dont le fardeau repose sur l’entreprise, mais il faut analyser les interférences avec les autres branches du Droit, que la compliance ne peut avoir détruites. En troisième lieu, l’ampleur des enjeux probatoires est telle que les moyens de preuve se sont multipliés, selon le tryptique de l’effectivité, efficacité et efficience attendues du système de compliance lui-même au regard des buts monumentaux (et non de la réglementation). En quatrième lieu, parce que le Droit de la Compliance est une branche du Droit Ex Ante et que le Juge y est pourtant au centre, il est logique que tous les efforts portent sur la préconstitution des preuves. 

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🔓Lire les développements ci-dessous ⤵️

1 août 2022

Compliance : sur le vif

 Référence complète : Frison-Roche, M.A., "Quand on s'intéresse à la Compliance, lire "La Haine"​ de Günther Anders", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 1ier août 2022.

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 Introduction de l'article : Philosophe allemand, Günter Anders connut la Seconde Guerre mondiale, dût quitter l'Allemagne et vécut dans plusieurs pays. C'est avant tout un philosophe moral, habité par le pessimisme et l'idée que le nazisme n'était qu'une répétition générale, plutôt artisanale, de ce que nous attend : L'obsolescence de l'homme, son livre-maître qui en 1956 décrit le système économique comme ce qui broie les êtres humains en les réduisant à n'être plus que des êtres qui entretiennent des machines qui produisent des produits inutiles qu'ils consomment, les humains n'étant eux-mêmes que des machines désirantes.

En 1985 dans un volume paru en langue allemande et composé d'articles tous consacrés au thème de La haine, il donna comme contribution les éléments de travail de ce qu'il avait conçu comme dernière partie de son oeuvre démontrant l'appareillage obtenant "l'obsolescence de l'homme", dernier livre qu'il ne publia jamais.

Extrait de ce volume, ces documents de travail furent traduits en français et présentés par Philippe Ivernel : le titre en est La Haine.

 

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