28 août 2022
Compliance : sur le vif

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "Dans le Droit de la Régulation, la Concurrence est un principe adjacent, pas premier : exemple des investissements dans le réseau ferroviaire européen", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 28 août 2022.
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Le Droit de la concurrence est tautologique puisqu'il a pour objet la concurrence.
Dans le droit civil de la concurrence, il restaure ou préserve la compétition entre concurrents dans l'état où elle se trouvait (responsabilité) ou se trouve (contrat) ; dans une façon plus ambitieuse et plus politique, le Droit européen des marchés concurrentiels a pour but de construire et de garder les marchés concurrentiels. Le Droit de l'Union étant directement applicable en Droit français, nous vivons sous le ciel de ces deux perspectives.
🔴 M.-A. Frison-Roche et J.-Ch. Roda, Droit de la concurrence, Précis Dalloz, 2022
Son statut en tant que branche du Droit a toujours été l'objet de disputes. Certains pensent que le fonctionnement concurrentiel pur et simple, c'est-à-dire la lutte de tous contre tous pour susciter des demandes qui rencontreront les meilleures offres dans un prix d'équilibre, suffit à produire une société satisfaisante, les défaillances d'une telle "loi" (au sens scientifique du terme) justifiant simplement que, par exception, l'on prenne des dispositions spécifiques et exceptionnelles : cela fait alors du Droit de la concurrence un "ordre concurrentiel" et la discipline-mère de toutes les autres branches du Droit, parce que l'Économie serait elle-même la discipline-mère de toutes les autres disciplines, le Droit n'étant alors que l'expression neutre de l'Economie", science du marché.
Le Droit européen de la concurrence se développe donc à partir de son but : la construction et la garde des marchés concurrentiels. Textes, jugements et raisonnements partent des buts, à partir de raisonnements dits "téléologiques", qui fournirent l'ossature de tout le système, essentiellement conçu par la Commission européenne et validé par la Cour de Justice.
Après des décennies d'adhésion à cette idée, aux conséquences techniques considérables, l'on est en train de mettre en doute ce but même.
Cela ne peut que transformer l'ensemble du Droit européen, la place qu'y occupe le Droit de la concurrence, voire la conception même de ce Droit. Par exemple par rapport au Droit de la Régulation, qui sortirait enfin de son statut toléré d'exception.
L'Europe de la Régulation est effectivement en marche, comme on le voit en matière numérique, mais aussi dans tous les secteurs techniquement régulés. Où se situe alors le Droit de la concurrence ?
🔴E. Claudel (dir.), La concurrence dans tous ses états, 2021
Sans même aller vers l'exemple éclatant des textes adoptés ou en cours d'adoption en matière numérique (Digital Markets Act, Digital Service Act, Data Governance Act, Chip Act), que l'on pourrait encore présenter comme une exception propre au numérique (même si les technologies numériques recouvrent l'ensemble de notre monde), l'évolution concerne l'ensemble des secteurs régulés.
En effet, le Droit de la Régulation a longtemps été présenté soit comme un appareillage que l'on devait mettre en place parce qu'un secteur était techniquement inapte à recevoir le plein bénéfice du mécanisme de la concurrence (théorie des "défaillances de marché"), en présence par exemple de réseaux de transport constitutifs de monopoles économiquement naturels, soit comme la voie par laquelle des secteurs organisés antérieurement sous une forme de monopoles économiquement injustifiés (des monopoles publics) allaient passer, le plus rapidement possible et dans le plus de segments possible, du secteur public monopolistique au principe concurrentiel.
Le Droit de la Régulation était alors défini comme un Droit de nature transitoire permettant de passer d'un état passé essentiellement monopolistique vers un état futur essentiellement concurrentiel. Ce passage ne pouvant se faire en un instant et spontanément, du fait notamment de la résistance des opérateurs publics et des États, des Autorités de Régulations et des règles spécifiques ont été établies pour construire ce passage. Une fois cela fait, ce qui reste de "défaillance de marché" devait d'une façon définitive supervisé par l'Autorité qui pourrait alors demeurer à ce titre dans un secteur gouverné par le principe de concurrence, dans une "régulation symétrique".
L'on crût notamment que le Droit de la Régulation pourrait n'être que "transitoire" dans le secteur des télécommunications et se dissoudre dans le Droit de la concurrence, lequel serait suffisant à régir une activité qui n'avait rien de spécifique, le seul enjeu étant le prix des abonnements. On ne le croit plus. Mais toutes les règles avaient été conçues et appliquées à partir de ce postulat.
De la même façon le principe de concurrence fût appliqué à tous les secteurs régulés, en affirmant qu'il devait être traité comme le principe premier, puisqu'il était l'objectif même des dispositifs de Régulation. Ce fût notamment le cas en matière énergétique. Dire le contraire, notamment pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, n'eut pas d'écho, puisque l'objectif exprès de la directive européenne de 1996 était d'ouvrir le secteur à la concurrence en diminuant la domination et la puissance des opérateurs publics nationaux, par exemple EDF. Nous le payons aujourd'hui.
🔴A l'époque pour défendre la Régulation comme principe premier, M.-A. Frison-Roche, La concurrence, objectif adjacent de la régulation de l'énergie, 2014
Mais l'Europe change. Les nouveaux textes en matière ferroviaire le montrent.
En effet, le Droit de la Régulation ferroviaire, comme tous les autres Droits des autres secteurs régulés, avait été conçu comme un appareillage pour conduire ces secteurs naguère gouvernés par des monopoles vers le principe concurrentiel. L'ARAFER, puis l'ART (Autorité de Régulation des Transports) a été chargée d'accompagner l'ouverture à la concurrence du secteur et de rendre effective celle-ci.
Dans le bilan que le Régulateur a fait en juillet 2022 de 6 ans de son action, Six ans de régulation des transports (2016-2022). De l'ARAFER à l'ART, ce principe est rappelé par son président, l'essentiel étant donc le prix payé par le consommateur : "Si elle ne régule pas directement les prix payés par les usagers mais intervient, pour l’essentiel, en amont, l’Autorité de régulation des transports, que j’ai l’honneur de présider depuis 2016, doit bien contribuer, in fine, à assurer à l’usager final les meilleurs tarifs au regard de la qualité fournie.".
Mais si un secteur est régulé, cela peut être non pas parce qu'il est "défaillant" dans son aptitude à produire par ses seules forces le prix adéquat mais parce que le secteur présente un caractère crucial, et certaines entreprises qui y opèrent également.
🔴M. -A. Frison-Roche, Proposition pour une notion : l'opérateur crucial, 2006
L'Europe commence à l'admettre, secteur après secteur. D'abord avec le secteur bancaire, parce qu'il est indissociable de la monnaie. Puis, mais si récemment ..., avec le secteur de l'énergie. Puis, avec les télécommunications, difficilement dissociables du numérique.
Aujourd'hui avec le ferroviaire, non seulement les difficultés du transport du blé montrent que l'indifférence à l'unification des infrastructures pour sillonner l'Europe étant un souci majeur, dont la presse se fait l'écho dans des termes similaires, par exemple BFM ou Le Figaro, mais c'est avant désormais non pas tant une question d'harmonisation des écartements de rails pour assurer l'interopérabilité du transport ferroviaire dont il s'agit mais d'investissements massifs aujourd'hui nécessaire pour dispositif d'un réseau ferroviaire européen.
Or, celui-ci est entravé par le Droit de la concurrence car seuls les Etats peuvent investir dans ce qui relève avant tout d'une perspective du service public. Or, l'Europe n'a pas les moyens financiers de le faire, pas plus que les entreprises en compétition. Seuls les États-membres le peuvent, soit directement soit en aidant leurs entreprises.
Mais la prohibition des aides d'Etat, prohibition qui n'existe pas dans le Droit américain de la concurrence, prohibition qui ne se justifie que par la réduction du Droit de la concurrence au seul commerce et la destruction des barrières nationales, l'interdit.
C'est contre cette prohibition que dans un premier temps à l'occasion des crises, notamment bancaires et financières, la Commission européenne elle-même est intervenue, ce qui a sauvé l'Europe en 2008 en permettant la recapitalisation des banques.
Mais aujourd'hui, c'est en dehors des crises qu'il faut repenser les investissements, notamment dans la perspective du Pacte vert qui est avant tout un texte porte sur l'Industrie et les Investissements, perspectives de Régulation et non de commerce. Ce Green deal impacte particulièrement les transports.
Parce que le Droit de la Régulation a besoin de subventions publiques pour dérouler des programmes Ex Ante, par exemple pour bâtir des structures ferroviaires, c'est en dehors même des crises et sous la forme de Règlement général que la Commission européenne propose de permettre aux Etats de construire une Europe ferroviaire, par un Règlement habilitant la Commission à délivrer des exemptions par catégorie en la matière.
Cette Europe ferroviaire qu'il aurait fallu construire dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en articulation avec le Traité CECA. Mais il n'est jamais trop tard.
En effet, la Commission européenne a déposé le 6 juillet 2002 une proposition de Règlement pour permettre de tels investissements, éventuellement publics, sans que la prohibition des aides d'Etat n'interfère, la Commission devenant habilitée à délivrer des exemptions pour ce faire. Se référant à sa stratégie pour une croissance durable, la Commission a rappelé que des actions en matière de transport " peuvent soutenir fortement la transition écologique en entraînant d’importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre et en améliorant la qualité de l’air, tout en favorisant la croissance de la productivité et en renforçant la résilience des écosystèmes industriels", soulignant " l’importance des investissements dans les transports publics et dans les infrastructures qui favorisent la transition vers une mobilité plus durable et intelligente, notamment dans des réseaux multimodaux européens continus et efficaces ainsi que dans la modernisation des réseaux transeuropéens de transport pour les voyageurs et le fret.".
Sous ce vocabulaire de "réseaux multimodaux européens continus et efficaces", c'est bien le service public que l'on retrouve et ce sont des actes de services publics qui pourront bénéficier des futures exemptions par catégorie délivrées par la Commission, le but étant donc non plus d'offrir le prix le plus adéquat possible mais bien un réseau ferroviaire européen qui permet aux marchandises (par exemple les céréales) et aux personnes de circuler sur le territoire de l'Europe. Rappelant ensuite que cet enjeu est lui-même en connection avec d'autres stratégies majeures de l'Europe, la Commission en conclut : "Ces objectifs ne sauraient être atteints sans des investissements considérables des États membres. ".
Concrètement, les investissements requis sont non seulement "considérables" mais très variés : " L’éventail des investissements que les États membres pourraient envisager pour soutenir des modes de transport à faibles émissions va des investissements dans une flotte nouvelle ou existante aux investissements dans l’infrastructure ferroviaire, les terminaux de transbordement et les ateliers de maintenance, également dans le but de stimuler la demande en faveur d’une flotte à émissions nulles et de solutions numériques permettant l’interopérabilité entre les modes de transport et au sein des secteurs.".
La conclusion de la Commission est donc : "Il convient dès lors de disposer de règles en matière d’aides d’État qui autorisent ces investissements lorsqu’un tel soutien public est nécessaire, tout en préservant et en renforçant la concurrence dans les transports par chemin de fer et par voie navigable et le transport multimodal.".
A partir de là, la Commission estime que l'ensemble des textes préalablement adoptés, notamment les lignes directrices qui expriment l'esprit dans lequel les règles doivent être interprétées à cette nouvelle lumière, mérite d'être repensé et propose l'adoption de cette habilitation lui permettant de délivrer seule des exemptions par catégorie en matière de transport ferroviaire et par voie navigable. En effet, "Selon l’expérience de la Commission, les aides à la coordination des transports sont essentielles au transfert modal et, sous réserve de certaines conditions, ne donne pas lieu à d’importantes distorsions de la concurrence. En outre, une exemption par catégorie des aides à la coordination des transports est largement souhaitée par les États membres. Il y a dès lors lieu de permettre à la Commission de soumettre à une exemption par catégorie les aides octroyées par les États membres en faveur de ces mesures, lorsque certaines conditions sont remplies."
Suit des cas qui seront couvert par le Règlement d'exemption, mais il est rappelé par la Commission à cette occasion que : "En ce qui concerne le transport de fret en particulier, les obligations de service public pourraient constituer un instrument approprié pour promouvoir des services dans les zones et les segments dans lesquels le transport de fret ne se ferait autrement que par la route".
C'est donc bien un Droit global de Régulation, appuyé sur une politique et une stratégie européenne qui s'est mis en place. Les diverses exemptions finissent pour couvrir l'ensemble des activités ferroviaires et le but est celui de créer une Europe des transports qui, comme l'Europe de l'Energie, est indispensable à l'autonomie de celle-ci.
Dans cette nouvelle conception, qu'exprime aussi l'Europe de la Régulation bancaire et de la Régulation énergétique, ce n'est plus le commerce qui est le principe premier, c'est l'Industrie. Les entreprises étant éventuellement coordonnées entre elles. Et ce sont les États, coordonnés éventuellement entre eux, qui développent cette Régulation Ex Ante ayant pour but cette construction.
Dans cette nouvelle Europe, dont notamment le Commissaire Thierry Breton dessine fortement les traits, le principe de concurrence demeure le principe pour le commerce, mais lorsqu'il s'agit de ces questions de régulations, il est un principe adjacent, la concurrence se développant dans la filière là où il n'entrave pas le but principal. La concurrence est alors dans une place inversée : un principe bienvenu si elle peut justifier les bénéfices qu'elle apporte dans un système où le principe premier n'est pas elle.
24 août 2022
Base Documentaire : Doctrine
► Référence générale : A., Linnet Taylor, Hellen Mukiri-Smith, Tjaša Petročnik, Laura Savolainen & Aaron Martin (2022) (Re)making data markets: an exploration of the regulatory challenges, Law, Innovation and Technology, DOI: 10.1080/17579961.2022.2113671
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19 août 2022
Compliance : sur le vif

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18 août 2022
Compliance : sur le vif

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "La responsabilité systémique, réponse judiciaire à la crise des opioïdes", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 18 août 2022.
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Les jugements se succèdent aux Etats-Unis. Comme le rapporte un article paru dans le New-York Times du 17 août 2022, CVS, Walgreen and Walmart Must Pay $650.5 Million in Ohio Opioid case, "A federal judge ordered the big pharmacy chains to bear partial responsibility for the deadly drug crisis.".
L'article relate le jugement rendu par un juge fédéral de l'Ohio, qui condamne des chaînes de pharmacies, jugement contre lequel celles-ci font appel.
Il y a des milliers de cas certains jugés, d'autres en attente, certains ayant abouti contre des laboratoires, d'autres contre des chaines de pharmacies, certains ayant abouti à des condamnations, d'autres non. Les condamnations déjà prononcées ont fait l'objet d'appel de la part des entreprises condamnées, ici des chaines de pharmacies, antérieurement des laboratoires pharmaceutiques.
Ce qui est qualifiée de "crise des opioïdes" renvoie à la prescription massive d'opioïdes, initialement simplement anti-douleurs puis drogues consommées massivement par des personnes non atteintes de douleurs, produits pourtant prescrits par des médecins et vendus par des "drugstores" et autres pharmacies, ce qui a entraîné de nombreux morts par overdose, chacun sachant que les posologies n'étaient pas suivies, des "moulins à réduire en poudre les pilules étant facilement disponibles sur Internet, les consommateurs ne souffraient pas de pathologies justifiant ces prises trouvant très facilement médecins et pharmaciens pour s'approvisionner en toute légalité. Mais personne n'a eu de rôle causal direct dans ce système où tout était conforme à la réglementation car les Autorités de régulation, notamment celles en charge des médicaments ne sont pas intervenues, et les consommateurs connaissaient les risques attachés à une telle consommation.
Mais les systèmes qui ne sont pas ou mal régulés en Ex Ante sont "régulés" en Ex Post et le temps des responsabilités arrive toujours. La crise des opioïdes, ses victimes ou les proches des personnes décédées, sont désormais par milliers devant les tribunaux américains.
Selon la procédure américaine, dans le cas présent, c'est tout d'abord un jury qui, en novembre 2021, a déclaré les entreprises défenderesses partiellement responsables des décès des consommateurs d'opioïdes ; c'est maintenant le Juge fédéral de de Cleveland qui évalue les dommages et intérêts correspondant à cette responsabilité.
Ce cas est particulièrement intéressant car les consommateurs savaient pourtant ce qu'elles faisaient et les médicaments étaient bien fournis sur ordonnances légalement délivrées, les pharmacies ayant eu un comportement licite et n'ayant pas eu un rôle causal direct dans la crise qui entraîna de très nombreuses victimes. C'est d'ailleurs pourquoi d'autres juridictions, notamment en Californie, n'ont pas voulu engager leur responsabilité.
Si la juridiction de l'Ohio a pourtant retenu la responsabilité des chaines de pharmacie, c'est parce que, dans ce système que l'on pourrait "réglementairement conforme", elles ont participé à la diffusion d'une "nuisance publique" (public nuisance) en n'avertissant pas elles-mêmes sur les dangers de la substance et en délivrant massivement le produit à des personnes manifestement droguées, alimentant un système nocif.
Il s'agit donc d'un raisonnement "téléologique", s'appuyant sur les finalités, adopté dans une perspective systémique.
Dans le système libéral américain, les tribunaux peuvent ainsi engager la responsabilité et des laboratoires pharmaceutiques et des chaînes d'officines pharmaceutiques si cette perspective systémique est adoptée.
En raison du caractère systémique de ce cas car ce système de cette drogue licite a fait de très nombreux morts pourrait se dessiner une "responsabilité systémique", même dans un pays où le principe de la liberté de l'individu qui prend ses risques demeure acquis, et même si cela devait être avant tout au Régulateur public d'intervenir pour prévenir, informer et empêcher cette hécatombe.
Pour l'instant, car le Droit de la Responsabilité est lent, les premières décisions sont prises, sont divergentes selon les différents Etats. Elles sont observées par l'ensemble du secteur médical car c'est la notion même de Responsabilité qui est ici dessinée.
Un tel raisonnement systémique pourrait être repris au-delà de ce secteur. Il pourrait ainsi être repris à propos d'un autre produit dangereux que les vendeurs et prescripteurs présentent comme sûr et profitable : les jetons, souvent appelés "cryptomonnaies". Lorsqu'arriveront les dommages massifs engendrés par la crise de ceux-ci, les victimes pourront-elles se retourner pareillement contre les prescripteurs et les vendeurs ?
Le cas est systémiquement analogue, puisqu'il s'agit de la conception que l'on peut avoir de la causalité. Il faut alors choisir de conserver la conception traditionnelle de la Responsabilité ou une conception systémique de celle-ci, qui fait peser sur les "opérateurs cruciaux" une Responsabilité non plus Ex Post mais Ex Ante. C'est un choix.
Comme le souligne l'avocat des chaines de magasins condamnés, se référant à la conception classique des conditions d'engagement de la responsabilité, les pharmaciens n'ont pas eu de rôle causal direct : (extrait de l'article") “We never manufactured or marketed opioids nor did we distribute them to the ‘pill mills’ and internet pharmacies that fueled this crisis,”".
Ils estiment donc que c'était pas à eux de faire le travail qu'en Ex Ante les Etats et les Régulateurs n'ont pas fait : (extrait de l'article) " “Instead of addressing the real causes of the opioid crisis, like pill mill doctors, illegal drugs and regulators asleep at the switch, plaintiffs’ lawyers wrongly claimed that pharmacists must second-guess doctors in a way the law never intended and many federal and state health regulators say interferes with the doctor-patient relationship. ”.
L'on peut en effet soutenir que les pharmaciens ne sont pas des régulateurs en second niveau, ils n'ont pas à gérer les défaillances des autres, à prévenir les crises systémiques.
La question est effectivement d'une part de déterminer si les opérateurs cruciaux (que sont dans le secteur médical les médecins, les pharmaciens, les laboratoires) ont ou n'ont pas un tel rôle ; et d'autre part de savoir si c'est aux juridictions de répondre à une telle question, étant observé que répondre en affirmant que les pharmaciens avaient ce rôle-là est audacieux et suppose que l'on met à leur charge une "Responsabilité Ex Ante".
Dans une perspective systémique, et parce que cela aurait évité bien des morts, l'on aurait tendance à répondre que les pharmaciens auraient dû jouer ce rôle systémique et que le Droit de la responsabilité est la branche la plus politique et la plus créative du Droit.
Mais n'oublions pas que la Cour suprême des Etats-Unis vient d'affirmer le 24 juin 2022 que le juge doit être modeste et ne pas avoir d'ambition pour les autres, y compris pas pour sauver des vies, le climat ou protéger les femmes. L'on peut donc préférer une vision plus traditionnelle du Droit de la responsabilité où celui qui ferme les yeux et n'agit pas alors qu'il est au cœur du système n'est pas responsable dès l'instant qu'on ne lui en a pas expressément confié la tâche. .
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🔴Sur la comparaison du droit français appliqué à cette cause systémique des opioïdes : Th. Thouret, 📝Le pharmacien, un "opérateur crucial" pour prévenir une crise des opiacés en France, 2020
🔴Sur la notion même de "cause systémique", telle que les juridictions doivent les appréhender : 𝒎𝒂𝒇𝒓, M.-A. Frison-Roche, 🎥 𝑳'𝒉𝒚𝒑𝒐𝒕𝒉è𝒔𝒆 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒄𝒂𝒕é𝒈𝒐𝒓𝒊𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒄𝒂𝒖𝒔𝒆𝒔 𝒔𝒚𝒔𝒕é𝒎𝒊𝒒𝒖𝒆𝒔, 2022
🔴sur la notion de "Responsabilité Ex Ante" : 𝒎𝒂𝒇𝒓, 📝La Responsabilité Ex Ante, pilier du Droit de la Compliance, 2022
12 août 2022
Compliance : sur le vif

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8 août 2022
Compliance : sur le vif

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., "Rendre plus coûteux l'accès au marché de la Haine, Newsletter MAFR Law, Compliance", Regulation, 8 août 2022.
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2 août 2022
Publications

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Prolégomènes pour le système probatoire de la compliance, document de travail, août 2022
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📝ce document de travail a été élaboré pour servir de base à un article : "Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la compliance".
📕publié dans sa version française dans l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliance, dans la collection 📚Régulations & Compliance
📘dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Jurisdictionalisation, dans la collection 📚Compliance & Regulation
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► Résumé du document de travail : Pour articuler le système probatoire de la compliance, il convient d'admettre en préalable que le Droit de la preuve est un système à part entière, construit sur un « carré probatoire » fonctionnant quelle que soit la situation, et qu’à première vue le Droit de la Compliance le rejette, étant incompatible avec des principes probatoires majeurs, dès l'instant que l'on définit la Compliance comme l’obligation qu’auraient les entreprises de donner à voir (ce qui relève de la preuve) leur respect de toute la réglementation qui leur est applicable.
Mais heureusement, la Compliance ne doit pas recevoir cette définition. Le Droit de la Compliance consiste dans l’ensemble des principes, institutions, règles et décisions qui, dans une alliance entre Autorités publiques et entreprises cruciales, tend d’une façon substantielle à la concrétisation de Buts Monumentaux. Branche du Droit Ex Ante protectrice des systèmes et des êtres humains qui y sont impliqués, le Droit de la Compliance a pour objet de détecter et de prévenir pour qu’à l’avenir les systèmes soient moins délétères qu’ils ne seraient si l’on ne fait rien, voire soient meilleurs.
De cette action exigée, qui requiert mises en place de structures et séries de comportements, un système probatoire spécifique se dégage. Il est composé en premier lieu d’objets de preuve spécifique, constitués d’une part par les structures et d’autre part par les comportements. En deuxième lieu, la spécificité de la compliance, souvent dénoncée, tient dans la charge de la preuve, dont le fardeau repose sur l’entreprise, mais il faut analyser les interférences avec les autres branches du Droit, que la compliance ne peut avoir détruites. En troisième lieu, l’ampleur des enjeux probatoires est telle que les moyens de preuve se sont multipliés, selon le tryptique de l’effectivité, efficacité et efficience attendues du système de compliance lui-même au regard des buts monumentaux (et non de la réglementation). En quatrième lieu, parce que le Droit de la Compliance est une branche du Droit Ex Ante et que le Juge y est pourtant au centre, il est logique que tous les efforts portent sur la préconstitution des preuves.
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🔓Lire les développements ci-dessous ⤵️
1 août 2022
Compliance : sur le vif

► Référence complète : Frison-Roche, M.A., "Quand on s'intéresse à la Compliance, lire "La Haine" de Günther Anders", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 1ier août 2022.
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► Introduction de l'article : Philosophe allemand, Günter Anders connut la Seconde Guerre mondiale, dût quitter l'Allemagne et vécut dans plusieurs pays. C'est avant tout un philosophe moral, habité par le pessimisme et l'idée que le nazisme n'était qu'une répétition générale, plutôt artisanale, de ce que nous attend : L'obsolescence de l'homme, son livre-maître qui en 1956 décrit le système économique comme ce qui broie les êtres humains en les réduisant à n'être plus que des êtres qui entretiennent des machines qui produisent des produits inutiles qu'ils consomment, les humains n'étant eux-mêmes que des machines désirantes.
En 1985 dans un volume paru en langue allemande et composé d'articles tous consacrés au thème de La haine, il donna comme contribution les éléments de travail de ce qu'il avait conçu comme dernière partie de son oeuvre démontrant l'appareillage obtenant "l'obsolescence de l'homme", dernier livre qu'il ne publia jamais.
Extrait de ce volume, ces documents de travail furent traduits en français et présentés par Philippe Ivernel : le titre en est La Haine.
Lire la suite de l'article ci-dessous⤵️
20 juillet 2022
Base Documentaire : Soft Law
► Référence complète : Autorité de régulation des transports (ART), Six ans de régulation des transports (2016-2022). De l'ARAFER à l'ART, juillet 2022.
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20 juillet 2022
Base Documentaire : Doctrine
Référence complète : Rharrabi, H, L"La compliance en droit marocain : une notion en devenir", Remald, juin-juillet 2022.
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17 juillet 2022
Compliance : sur le vif

7 juillet 2022
Aventures de l'Ogre Compliance

6 juillet 2022
Publications

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "L'appui du Droit de la Compliance pour la maîtrise quotidienne du Droit de la concurrence", in C. Lemaire & F. Martucci (dir.), Liber Amicorum Laurence Idot. Concurrence et Europe, vol. I, préf. C. Lemaire & F. Martucci, avant-propos B. Lasserre, Concurrences, 2022, pp. 369-374
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► Résumé de l'article : Le Droit de la concurrence est devenu si énorme et « réglementaire » qu’on finirait par renoncer à vouloir le saisir dans son ensemble, préférant devenir spécialiste de l’une de ses parties. Cela serait perdre de vue la raison simple et forte qui unit l’ensemble et lui donne son souffle :liberté.
Liberté éprouvée par la personne dans son action économique quotidienne, liberté gardée par le Droit de la concurrence, revenant toujours à son principe : la libre concurrence. Raison pour laquelle l’Union européenne fait grande place à la concurrence. Pour la rendre et la garder effective, la « politique de la concurrence » s’articule au Droit de la concurrence mais si autorités et juges ne font pas reproche aux entreprises leur puissance, ils ne s’appuient pas sur celle-ci.
Pour ce faire, il faut alors être épaulé par le Droit de la Compliance, qui incite fortement les entreprises à agir pour l’effectivité et la promotion des principes concurrentiels. Le Droit de la concurrence glisse ainsi de l’Ex Post vers l’Ex Ante, les engagements des entreprises conduisant celles-ci à cesser d’être passives et punies pour devenir des acteurs convaincus et eux-mêmes pédagogues. De quoi plaire à une grande professeure de Droit de la concurrence, à laquelle hommage est ici rendu.
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📗lire la table des matières des Mélanges
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🚧lire le document de travail bilingue sur la base duquel cet article a été élaboré, doté de développements supplémentaires, de références techniques et de liens hypertextes
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6 juillet 2022
Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : C. Lemaire & F. Martucci (dir.), Liber Amicorum Laurence Idot. Concurrence et Europe, vol. I, préf. C. Lemaire & F. Martucci, avant-propos B. Lasserre, Concurrences, 2022, 500 p.
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► Résumé de l'ouvrage (fait par l'éditeur) : "La carrière de Mme le Professeur Laurence Idot appelle un hommage. Sa pensée a mûri le droit de la concurrence, tant par ses écrits que ses enseignements ou son activité à l'Autorité de la concurrence. Aucun de ses anciens collègues ou étudiants n'est resté insensible à sa finesse d'esprit et sa personnalité exceptionnelle. L'impact de sa pensée, de son enseignement et de ses consultations justifie que, dans la plus pure tradition universitaire, des Mélanges lui soient dédiés.
Théoricienne confrontée à la réalité des dossiers, Laurence Idot a marqué la recherche par son analyse fine et habile des interactions entre le droit de la concurrence, le droit de l'Union européenne, et le droit de l'arbitrage et le droit international. A l'heure du développement des recours à l'arbitrage international et de la croissance du droit européen de la concurrence, ses écrits et sa compréhension du droit conservent leur actualité.
L'originalité du parcours du Professeur Idot tient aux chemins qu'elle a tracés dans des droits en développement : le droit européen d'un côté, le droit de la concurrence de l'autre - auxquels elle a chacun consacré une revue. Les destins de Concurrence et Europe sont désormais entremêlés.".
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📝lire l'article de Marie-Anne Frison-Roche : "L'appui du Droit de la Compliance pour la maîtrise quotidienne du Droit de la concurrence"
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6 juillet 2022
Base Documentaire : Doctrine
► Référence complète : A. Danis-Fatome, "The proposal for a European Directive on the duty of vigilance: brief views on civil liability" ("La proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance : brèves notes sur la responsabilité civile"), International Business Law Journal, 5, 2022, p. 489-497.
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) :
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6 juillet 2022
Aventures de l'Ogre Compliance
6 juillet 2022
Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : L. d'Avout, "L'arbitrabilité sous condition : réflexions au départ de l'antitrust", in C. Lemaire & F. Martucci (dir.), Liber Amicorum Laurence Idot. Concurrence et Europe, vol. I, préf. C. Lemaire & F. Martucci, avant-propos B. Lasserre, Concurrences, 2022, pp. 177-192
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► Résumé de l'article (fait par l'auteur) : "À travers l'arbitrabilité, l'on répond en principe de façon binaire à la question de l'admissibilité du règlement privatisé d'un litige. Ce concept juridique permet-il également de restreindre les marges de manœuvre des arbitres internationaux dans l'exercice de leur mission juridictionnelle, par une admission de l'arbitrage subordonnée au respect d'un régime juridique donné (loi étatique, convention internationale, etc.) ? Une réponse positive peut être formulée dans certains cas, moyennant l'étude des liens entre la règle d'arbitrabilité et le contrôle étatique subséquent des sentences arbitrales. Lorsque le contrôle de compatibilité des sentences est effectué non seulement au regard de principes mais aussi de certaines règles internationalement impératives, telles celles du droit de la concurrence, l'on peut conclure en amont à la subordination de l'arbitrabilité du litige au respect de ces règles. Une corrélation ou un lien causal, apparaît ainsi (ou est susceptible d'apparaître), dans certains secteurs économiques sensibles, entre la définition par les collectivités publiques des litiges susceptibles d'être arbitrés, l'encadrement consécutif de la mission du juge privé choisi par les parties et le contrôle, ultérieur par les juges étatiques, de l'admissibilité du produit de cette justice privée. Ce lien causal exprime une arbitrabilité de type conditionnel qui, loin de fragiliser le règlement privatisé des litiges internationaux, oeuvre au contraire à l'insertion cohérente de l'arbitrage dans le système plus général du contentieux transnational.".
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🦉Cet article est accessible en texte intégral pour les personnes inscrites aux enseignements de la Professeure Marie-Anne Frison-Roche
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5 juillet 2022
Aventures de l'Ogre Compliance
5 juillet 2022
Interviews

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., entretien avec Olivia Dufour, « La Cour suprême a déclenché la bombe de la sécession. Que faire ? », 5 juillet 2022.
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💬 Entretien mené à propos du sens, de la valeur et de la portée système de l'arrêt Dobbs v. Jackson rendu par la Cour suprême des Etats-Unis le 24 juin 2022.
► Présentation de l'interview par Olivia Dufour : Alors que l'arrêt Dobbs v. Jackson du 24 juin 2022 de la Cour suprême des Etats-Unis sur l'avortement n'en finit pas de susciter l'émotion, déjà d'autres droits fondamentaux menacent de perdre leur qualité de droit constitutionnel fédéral. A commencer par le mariage homosexuel. Mais ce n'est pas la seule conséquence de cette nouvelle jurisprudence ultra-conservatrice. Pour le professeur Marie-Anne Frison-Roche, ce qui s'apparente à un "suicide institutionnel" de la part de la Cour a déclenché un mouvement de sécession. En d'autres termes, les Etats-Unis sont en passe de se désunir. Pour autant, rien n'est perdu. Explications.
Les questions posées étaient les suivantes :
Actu-Juridique : L'arrêt de la Cour suprême américaine sur l'avortement a beaucoup ému en France. En réalité, cela ne semble être que le début d'un mouvement de fond. Qu'en est-il ❓ ?
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : Qu'est-ce que cette conception originaliste qui semble désormais être celle de la Cour suprême 'arrêt de la Cour suprême américaine sur l'avortement a beaucoup ému en France. En réalité, cela ne semble être que le début d'un mouvement de fond. Qu'en est-il ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : On comprend donc que l'avortement n'ayant pas été envisagé au XIX siècle, il ne peut pas être protégé par la Constitution au XXIème siècle❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : Cela engendre donc un séisme dépassant de loin les seules conséquence d'un revirement de jurisprudence ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : C'est donc en vertu de cette logique que le port d'arme est qualifié, contrairement au droit à l'avortement, de droit constitutionnel à valeur fédérale ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : Est-ce également cette nouvelle logique qui a présidé à l'arrêt du 30 juin 2022 sur la lutte contre les gaz à effet de serre ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : En quoi l'arrêt sur l'avortement peut-il bouleverser les Etats-Unis ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : Actuellement, l'opinion semble à la fois sidérée et impuissante, faut-il se résoudre à voir prospérer cette nouvelle jurisprudence ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : En France, cet arrêt a suscité la crainte que l'avortement ne soit remis en cause ici aussi et certains réclament l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution. Est-ce une bonne idée ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : Mais alors que faire pour protéger le droit à l'IVG en France ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique : Revenons aux Etats-Unis, comment empêcher que la Cour suprême ne revienne sur le caractère fédéral de nombreux droits ? Le Congrès pourrait-il intervenir ❓
🔑Réponse MaFR
Actu-Juridique :Une telle situation pourrait-elle se produire en Europe ❓
🔑Réponse MaFR
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4 juillet 2022
Aventures de l'Ogre Compliance
1 juillet 2022
Conférences

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► Référence générale : M.-A. Frison-Roche, "Compliance, Intelligence artificielle et gestion des entreprises : : la juste mesure", participation à la conférence coordonnée par Mustapha Mekki, L'intelligence artificielle et la gestion des entreprises. 1ier juillet 2022.
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consulter les slides ayant servi de notes brèves pour prononcer la conférence.
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🚧lire le document de travail ayant servi de base à la conférence
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📝Cette conférence sera suivie d'un article.
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► Résumé de la conférence : Du prochaine Règlement européen sur l'intelligence artificielle, la Commission européenne en a une conception assez neutre pour obtenir un consensus entre les Etats membre, tandis que les Régulateurs et certains Etats en ont une conception plus substantielle voulant que la puissance de celle-ci soit utilisée pour protéger les personnes, et contre ses outils eux-mêmes et contre ce qui est une amplification des maux du monde, comme la haine ou la désinformation. C'est le reflet d'une alternative d'une conception de la Compliance.
En premier lieu, la Compliance peut se définir comme des process neutres qui accroissent l'effectivité de ce qui serait l'obligation des entreprises ou leur volonté pour une bonne gestion des risques (notamment des "risques juridiques") de se soumettre à la totalité des réglementations qui sont applicables à elle-même et toutes les personnes dont elle doit répondre. C'est ce l'on appelle souvent l'obligation de conformité.
Cette conception implique des conséquences pratiques considérables pour l'entreprise qui pour réussir cet "exploit total" devrait alors recourir à des outils d'intelligence artificielle constituant une "solution totale et infaillible", ce qui engendre mécaniquement pour elle l'obligation de "connaitre" toute la "masse réglementaire", de détecter toutes les "non-conformités", de concevoir son rapport au Droit en termes de "risque de non-conformité", pris totalement en charge par la Compliance by Design qui pourrait, sans intervention humaine, éliminer le risque juridique et garantir la "conformité.
Le "prix juridique" de ce rêve technologique en est très élevé car toutes les prescriptions "réglementaire" vont alors se transformer en obligations de résultat, toute défaillance engendrant responsabilité. Le système probatoire de la Compliance va devenir écrasant pour l'entreprise, tant en termes de charge de preuve, que moyens de preuve, que transferts , sans dispense de preuve. Vont se multiplier des responsabilités objectives pour autrui. Le "droit de la conformité" va multiplier des pénalités systémiques Ex Ante , la frontière avec le Droit pénal étant de moins en moins préservée.
Il est essentiel d'éviter cela, et pour les entreprises, et pour l'Etat de Droit. Pour cela, il faut utiliser l'Intelligence Artificielle à sa juste mesure : elle doit constituer une "aide massive", sans jamais prétendre être une solution totale et infaillible, car c'est l'humain qui doit être au centre et non pas les machines.
Pour cela, il faut adopter une conception substantielle du Droit de la Compliance (et non pas Droit de la conformité). Elle ne vise pas du tout l'ensemble des réglementations applicables et elle n'est pas du tout "neutre", n'ayant en rien une série de process. Cette nouvelle branche du Droit est substantiellement construite sur des buts monumentaux. Ceux-ci sont soit de nature négative (éviter qu'une crise systémique n'arrive, bancaire, financière, sanitaire, climatique, etc.), soit de nature positive (construire un meilleur équilibre, notamment entre les êtres humains, dans l'entreprise et au-delà de celle-ci).
Dans cette conception qui se manifeste de plus en plus fortement, l'intelligence artificielle trouve sa place, plus modeste. En tant que le Droit de la Compliance est basé sur l'information, l'Intelligence Artificielle est indispensable pour la capter et en faire une première mise en connection, la rendant en état d'analyses successives, notamment de la part d'êtres humains, pour qu'il y ait possibilité de ce qui est l'essentiel : l'engagement de l'entreprise, à la fois par les dirigeants et par tous ceux qui sont "embarqués" par une "culture de Compliance" qui est à la fois construite et commune.
Cela redonne l'étanchéité requise entre le Droit pénal et ce que l'on peut demander à l'usage mécanique de l'intelligence artificielle, cela remet l'obligation de moyens comme principe. Cela redonne la place centrale au juriste et au Compliance officer , pour que s'articulent la culture de compliance avec la culture d'un secteur et l'identité de l'entreprise elle-même. En effet, la culture de compliance étant indissociable d'une culture de valeurs, la Compliance by design suppose une double technique, à la fois mathématique et de culture juridique. C'est en cela que le Droit européen de la compliance, en ce qu'il est enraciné dans la tradition humaniste européen, est un modèle.
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Pour aller plus loin :
📕Les buts monumentaux de la Compliance, 2022
📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2022
📕Les outils de la Compliance, 2021
📓L'apport du Droit de la Compliance à la Gouvernance d'Internet, 2019
📕Pour une Europe de la Compliance, 2019
📕Régulation, Supervision, Compliance, 2017
📕 Internet, espace d'interrégulation, 2016
📝 Les Buts Monumentaux, cœur battant du Droit de la Compliance, 2022,
📝 Le jugeant- jugé ; articuler les mots et les choses face à l'impossible conflit d'intérêts, 2022
📝 Décrire, concevoir et corréler les outils de la Compliance, pour en faire un usage adéquat, 2021
📝 Compliance et incitations, un couple à propulser, 2021
📝 Résoudre la contradiction entre incitations et sanctions sous le feu du Droit de la Compliance, 2021
📝Dresser des cartographies des risques comme obligation et le paradoxe des "risques de conformité", 2021
📝 La formation : contenu et contenant du Droit de la Compliance, 2021
📝 Les droits subjectifs, outils premiers et naturels du Droit de la Compliance, 2021
📝 Le Droit rêvé de la Compliance, 2020
📝 Un Droit substantiel de la Compliance, appuyé sur la tradition européenne humaniste, 2019
📝 Se tenir bien dans l'espace numérique, 2019
📝 Droit de la concurrence et Droit de la compliance, 2018
📝 Entreprise, Régulation, Juge : penser la compliance par ces trois personnages, 2018
📝 Compliance : avant, maintenant, après, 2018
📝 Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, 2017
📝 Tracer les cercles de la Compliance,2017,
📝 Compliance et Confiance, 2017
📝 Le Droit de la Compliance, 2016
29 juin 2022
Compliance : sur le vif

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Seuls les droits subjectifs techniques ne sont pas touchés par l'arrêt Dobbs: c'est sur eux qu'il faut construire une nouvelle théorie de l'entreprise, 29 juin 2022.
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► Introduction de l'article : Tout d'abord il y a deux types de réaction possible face à un événement critiquable. Elles peuvent se cumuler mais chacune prend de l'énergie. Soit critiquer l'événement condamnable (puisqu'il est critiquable, renforçant ainsi la mauvaise opinion que l'on a de lui) ; soit en limiter la portée (puisqu'il est critiquable, autant faire en sorte qu'il ait le moins d'effet possible).
Que l'arrêt Dobbs v/ Jackson rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des Etats-Unis soit critiquable, tout le monde en est à peu près d'accord. Des centaines de commentaires vont dans ce sens ; des milliers de réactions vont dans ce sens. L'on peut continuer à le critiquer. Cela renforce l'opinion que l'on a déjà. Cela prend de l'énergie.
Peut-être vaut-il mieux utiliser son énergie à limiter la portée de cet arrêt. Mettre son énergie dans cet effort-là. Or cet effort en requiert beaucoup. Donc puisqu'il est acquis que cet arrêt est critiquable, concentrons-nous sur les moyens pratiques d'en limiter la portée.
L'on songe à modifier le Droit français en inscrivant le droit à l'avortement dans la Constitution (I). Mais si l'on revient aux Etats-Unis, car l'arrêt de la Cour suprême n'a pas de portée sur le Droit constitutionnel français, il faut mesurer que tous les droits subjectifs "politiques" non-ancrés dans "l'histoire américaine" sont touchés par l'arrêt du 24 juin 2022, la portée de l'arrêt allant bien au-delà du droit à l'avortement (II). La Cour est donc délivrée de la totalité de sa propre jurisprudence, ce que ne sont pas les cours constitutionnelles européennes, et c'est en cela que l'arrêt est catastrophique car non seulement il touche tous les droits subjectifs "politiques", mais il efface toute la jurisprudence de la Cour concernant les droits subjectifs "politiques" que l'on pourrait dire "nouveaux" (III). Plus encore, trois jours après, la Cour suprême a rendu un arrêt concernant un droit politique ancré dans l'histoire américaine, le droit à la liberté d'expression, qu'elle a interprété très largement, pour bloquer le licenciement d'un enseignant sportif d'une école publique qui faisait des prières sur le terrain de sport, procédant ainsi à un revirement de jurisprudence. La Cour ne serait donc pas non plus liée par sa jurisprudence sur les droits subjectifs politiques ancrés historiquement, pouvant les interpréter d'une façon conservatrice, sans "conserver" l'interprétation "progressiste" que la Cour en avait faite (IV). La solution serait donc de travailler sur ce qui reste : les droits subjectifs non-politiques : or, ce sont des droits auxquels les juristes conservateurs, qui dominent la Cour, sont attachés parce qu'ils sont liés à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre. Ils seront en mauvaise position pour les restreindre. Cela désigne ceux qui vont devoir, et pouvoir, défendre les femmes, et plus généralement les êtres humains, aux Etats-Unis : les entreprises (V).
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Lire les développements de l'article ⤵️
29 juin 2022
Interviews

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Droit à l’avortement : « Le processus de sécession est dans la décision » , Entretien avec Laurence Neuer, Le Point, 29 juin 2022.
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28 juin 2022
Base Documentaire
► Référence complète : Juliette Camy. La diligence des sociétés transnationales en matière de droits fondamentaux: étude de droit français et de droit anglais (devoir de vigilance et duty of care). Thèse, Nanterre- Paris X, 2022.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE I. LA PRÉVENTION DES ATTEINTES
Titre I. Les obligations de prévention
Chapitre 1. L’identification des obligations
Chapitre 2. Les voies de réforme des obligations
Titre II. Les acteurs de la prévention
Chapitre 1. Les acteurs de la prévention dans les relations intersociétaires
Chapitre 2. Le rôle résiduel des parties prenantes de la société
PARTIE II. LA SANCTION DE LA NÉGLIGENCE
Titre I. La détermination de la juridiction compétente et la désignation de la loi applicable
Chapitre 1. L’application des règles de compétence juridictionnelle et de conflit de lois Chapitre 2. L’harmonisation supranationale des règles de compétence juridictionnelle et de conflit de lois
Titre II. Les conditions de la responsabilité
Chapitre 1. Les conditions de recevabilité de l’action en responsabilité
Chapitre 2. Les conditions de fond de l’action en responsabilité
CONCLUSION GÉNÉRALE
28 juin 2022
Compliance : sur le vif

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., S'associer structurellement pour atteindre un But Monumentale. Equilibre entre Concurrence et Compliance : l'entente bienvenue entre deux opérateurs dominants pour réduire l'émission des gaz à effet de serre, 28 juin 2022.
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L'Autorité néerlandaise de la concurrence, l' Authority for Consumers and Markets, a exprimé le 27 juin 2022 une "opinion" concernant deux opérateurs énergétiques très puissants, Shell et TotalEnergie, décidés à collaborer pour réduire la pollution, parce que les effets négatifs de cette restriction de concurrence engendrée par cette entente sont moindres que les effets positifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre, leur contribution à la lutte contre le déséquilibre climatique justifiant ainsi cette collaboration.
Au-delà de l'analyse précise de la situation, l'Autorité présente ainsi sa décision : "Following an assessment of their plans, the Netherlands Authority for Consumers and Markets (ACM) has decided to allow competitors Shell and TotalEnergies to collaborate in the storage of CO2 in empty natural-gas fields in the North Sea. By transporting CO2 through pipes and storing it in old gas fields, this greenhouse gas will not be released into the atmosphere. This initiative thus helps realize the climate objectives. As cooperation is necessary for getting this initiative off the ground and for realizing the climate benefits, the slight restriction of competition between Shell and TotalEnergies is not that harmful. The benefits for customers of both companies and for society as a whole exceed the negative effects of that restriction.".
L'Autorité n'hésite donc pas à affirmer que les entreprises peuvent s'entendre structurellement car cela est bénéfique pour les deux entreprises, bénéfiquespour les consommateurs et bénéfique pour le groupe social.
C'est surtout le dernier point qui est important.
Cette décision illustre l'évolution du rapport entre le Droit de la Concurrence et le Droit de la Compliance. Nous sommes bien loin de la façon dont on présente encore souvent ces deux branches du Droit, notamment dans ce que serait la Compliance pour le Droit de la Concurrence, à savoir un moyen d'accroître l'effectivité le Droit de la Concurrence (I). L'évolution de plus en plus forte donne aux entreprises le pouvoir, parce qu'elles en ont l'obligation d'atteindre le "but monumental" de faire quelque chose en matière climatique, par exemple d'inventer ensemble des structures bénéfiques à l'équilibre climatique : ce qui relève alors du Droit de la Compliance, lequel n'accroît pas le Droit de la Concurrence (puisque la Compliance légitime les ententes) mais vient se mettre en équilibre face au Droit de la Concurrence (II). En cela, le Droit de la Compliance est le prolongement du Droit de la Régulation, comme lui Ex Ante (les entreprises demandent en Ex Ante la validation de leur structure collaborative, et cela en dehors de tout secteur (III). L'avenir est donc au Droit de la Compliance, pilier de ces nouveaux équilibres.
I. LE RAPPORT TRADITIONNELLEMENT PRESENTÉ ENTRE DROIT DE LA CONCURRENCE ET DROIT DE LA COMPLIANCE
Lorsqu'on consulte le droit souple disponible, notamment celui émis par les Autorités de concurrence, par exemple le nouveau "document-cadre" publié par l'Autorité de la concurrence une première fois le 11 octobre 2021 puis une seconde fois, sous une forme définitive, le 24 mai 2022 : Document-cadre du 24 mai 2022 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence.
Ce document débute ainsi : "La conformité, terme désormais bien ancré dans la pratique (également sous son nom anglais de « compliance ») désigne à la fois un processus et un objectif. L’objectif de la conformité consiste, pour une entreprise, à défendre des valeurs et encourager des comportements vertueux pour pleinement respecter les règles, notamment de concurrence. C’est une démarche éthique qui favorise un fonctionnement concurrentiel libre et non faussé de l’économie et permet pour les entreprises une gestion optimisée des risques, qu’ils soient financiers ou réputationnels. Le terme conformité renvoie, également, à un processus interne mis en place de façon permanente au sein même des entreprises, qui s’appuie notamment sur les « programmes de conformité ». La conformité désigne, à cet égard, les actions internes mises en place qui visent à diffuser la culture de concurrence, à assurer le respect des règles et la responsabilisation des acteurs économiques en faveur d’une concurrence basée sur les mérites. Les programmes de conformité s’appliquent aussi bien à prévenir les risques d’infraction aux règles de concurrence qu’à détecter les infractions éventuelles et à y remédier. Ils sont, en outre, amenés à évoluer au gré des besoins et des changements intervenus. La conformité combine, ainsi, trois composantes : préventive, curative et évolutive. ".
Pour l'Autorité de la concurrence, la "conformité" ou "compliance" (les deux termes étant pour elles synonyme, juste une question de traduction) est donc une sorte de voie d'exécution en Ex Ante : un moyen d'effectivité des règles de concurrence qui, plutôt que de prendre la forme de sanction Ex Post des violations commises par les entreprises, prend la forme Ex Ante d'une culture de concurrence développée par les entreprises elles-mêmes qui évitent, par divers moyens et pour diverses raisons, de commettre les manquements.
Dès lors, la Compliance fait totalement corps avec le Droit de la Concurrence ; c'est une sorte d'appendice, et rien de plus. Un peu comme l'on voyait il y a longtemps la procédure, "servante" des branches de Droit "substantielles" (c'est-à-dire nobles), comme le Droit public, le Droit des obligations, etc., chacune se reflétant dans son outil d'effectivité : le Droit public dans le Contentieux administratif, le Droit civil dans la Procédure civile, etc. Depuis quelques décennies, l'on ne pense plus ainsi.
En dehors même du fait que les branches du Droit qui donne aux règles leur effectivité, c'est-à-dire les procédures, sont depuis longtemps devenues autonomes, ont même été regroupées dans le "Droit processuel", le Droit de la Compliance est lui-même une branche du Droit qui n'est pas un ensemble de procédures d'effectivité : il est une branche du Droit substantiel.
Et il poursuit des buts qui lui sont propres.
C'est pourquoi il peut ne pas poursuivre les mêmes buts que le Droit de la Concurrence. Il vient alors non pas accroître par sa puissance la branche du Droit à laquelle il s'articule (ici les principes du Droit de la concurrence), mais au contraire équilibrer ces principes en confiant aux entreprises d'autres buts à atteindre.
🔴M.A. Frison-Roche, Droit de la concurrence et Droit de la compliance, 2018.
Les buts du Droit de la Compliance ne sont pas les mêmes que les buts du Droit de la Concurrence. Ils sont beaucoup plus ambitieux. Il y a notamment le climat. Si une Autorité de concurrence admet de prendre en considération la lutte effective contre la perspective de crise climatique catastrophique, alors elle intègre la logique du Droit de la Compliance, et notamment son premier principe qui est l'inverse du principe du Droit de la concurrence : l'impératif de s'allier avec d'autres dans la durée pour atteindre ce but.
La décision de l'Autorité de concurrence est exemplaire de cela. Elle valide par avance une infrastructure.
II. L'ENTENTE ENTRE DES ENTREPRISES POUR ATTEINDRE LE BUT MONUMENTAL DE L'ACTION CLIMATIQUE, VALIDÉE EX ANTE, EN ÉQUILIBRE DES PRINCIPES DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Les 2 entreprises créent ensemble une activité qui est décrite et appréciée par l'Autorité en ces termes : "Shell and TotalEnergies wish to store CO2 in empty North Sea gas fields on a large scale. This is part of the Aramis project, in which the government, Gasunie and Energie Beheer Nederland work together with Shell and TotalEnergies in order to build a high-capacity trunkline that connects to empty gas fields, among other activities. Carbon capture and storage helps reduce CO2 emissions of businesses located in the Netherlands that, at the moment, still have few alternatives. Major investments are needed since it concerns a high-capacity trunkline and a new, innovative method. In order to get the project off the ground, Shell and TotalEnergies need to offer the CO2 storage together, and therefore jointly set the price with an eye to putting the first ±20% of the trunkline’s capacity into operation. For the remaining 80%, no collective agreements will be made. Shell and TotalEnergies compete with one another. Collaborations between two competitors may negatively affect price, quality, and innovation, but that effect can be offset by certain benefits that a collaboration has for the customers of those businesses and for society as a whole. That is why the parties have asked ACM for informal guidance about whether their collaboration is compatible with the competition rules that offer an exemption to the prohibition to restrict competition if, in short, the benefits outweigh the costs.".
Ainsi, plutôt que faire les investissements conjoints en infrastructures, de faire fonctionner celles-ci et d'attendre une poursuite devant l'Autorité de concurrence pour entente en plaidant pour éviter la sanction le bénéfice social produit par cette collaboration dans cette infrastructure commune à travers la technique probatoire dite du "bilan", charge probatoire dont on connait la lourdeur et l'aléa, les autorités de concurrence prenant peu en considération ce bilan, souvent jugée trop politique et trop peu étayée économiquement (sur le droit positif, v. M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, Précis Dalloz, Droit de la concurrence, 2022, n°452 et s.), les entreprises ont entrepris une démarche en Ex Ante.
Mais surtout les exemptions individuelles délivrées formellement au nom du Droit de la concurrence, telles que la Commission européenne le conçoit dans ses lignes directrices du 27 avril 2004 excluent de la mise en balance des considérations non-économiques et l'absence de prise en considération du souci climatique a été particulièrement critiquée.
L'on a pu ainsi anticiper la présente décision de l'Autorité néerlandaise de concurrence (M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, Précis Dalloz, Droit de la concurrence, préc., n°454), du fait de la décision dite Shell rendue le 26 mai 2021 sur le terrain de la responsabilité civile par le Tribunal de La Haye.
III. LE DROIT DE LA COMPLIANCE, UN DROIT DE LA REGULATION A-SECTORIEL NE REQUERANT QU'UNE SUPERVISION
En effet et précisément, dans cet arrêt du 26 mai 2021, le Tribunal de La Haye a refusé de considérer que constituait une concurrence déloyale le fait d'imposer à Shell une obligation de réduire des émissions de CO2, même si cela freine sa croissance et que ses compétiteurs sur le marché du pétrole et du gaz n'y sont pas soumis car "l'intérêt servi par l'obligation de réduction l'emporte sur les intérêts commerciaux du groupe Shell...".
Le groupe Shell a donc une obligation d'action pour atteindre un intérêt qui le dépasse : un but monumental climatique, qui engendre à sa charge une Responsabilité Ex Ante.
🔴M.A. Frison-Roche, La Responsabilité Ex Ante, pilier du Droit de la Compliance, 2022.
Puisque le Droit de la Compliance impose aux entreprises de telles responsabilités, exige d'elles qu'elles prennent en charge de telles ambitions, détectent et préviennent de telles catastrophiques, alors implicitement, il leur confère les pouvoirs nécessaires pour le faire.
Cela serait inconcevable que les entreprises, obligées d'agir pour le climat, n'ont seulement n'aient pas le pouvoir de le faire, mais encore se voient interdire de le faire, par exemple par le Droit de la Concurrence. Cela est une conséquence directe du Principe de Proportionnalité, qui est au cœur du Droit de la compliance : l'entreprise ne doit certes pas avoir plus de pouvoir qu'il n'est nécessaire pour qu'elle atteigne le but qui lui est assigné, mais elle doit avoir tous les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour cela.
🔴M.-A. Frison-Roche, Définition du Principe de proportionnalité et définition du Droit de la Compliance, in Les buts monumentaux de la Compliance, 2022
🔴M.-A. Frison-Roche, Concevoir le Pouvoir, 2021
Le Droit de la Compliance apparaît ici nettement puisqu'indépendamment des lignes directrices de 2004 de la Commission européenne qui n'admettent qu'un bilan concurrentiel, l'Autorité de concurrence prend ici directement appui sur l'initiative des entreprises qui s'associent structurellement pour atteindre un but climatique d'intérêt général.
En cela, et en Ex Ante, les entreprises mettent au point une infrastructure qui dans la durée va certes aller contre les principes de concurrence mais va tendre vers le But Monumental dont elles sont chargées, et pour Shell cette charge repose expressément sur elle puisque par ailleurs une juridiction le lui a expressément rappelé en refusant justement de faire jouer à son bénéfice la protection du Droit de la concurrence déloyale !
Ainsi, le Droit de la Compliance est ici illustré en ce qu'il est le prolongement du Droit de la Régulation.
🔴M.A. Frison-Roche, Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, in Régulation, Supervision, Compliance, 2017
Ce mouvement va se renforcer, le Droit de la Compliance se plaçant au centre du Droit économique, laissant aux entreprises le soin, l'obligation, le pouvoir, de prendre des initiatives à long terme pour viser des buts d'intérêt général global, sous la supervision Ex Ante puis en continu des Autorités publiques.
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