18 juin 2021

Compliance : sur le vif

Le Droit est lent, mais ferme. Par son arrêt du 15 juin 2021, Facebook , la Cour de Justice de l'Union européenne interprète largement le pouvoir des Autorités nationales, puisqu'il sert la protection des personnes dans l'espace numérique (➡️📝CJUE, 15 juin 2021, Facebook)

 

Le reproche de lenteur est si souvent adressé au Droit et à la Justice.  Mais l'essentiel est que, dans le brouhaha de réglementations changeante, il établisse des principes clairs et ferme, permettant à chacun de savoir à quoi se tenir. Plus le monde est changeant et plus le Droit est donc requis.

Quand le Droit dégénèrent en réglementations, c'est alors au Juge de faire le Droit. Les "Cours suprêmes" apparaissent, de jure comme aux Etats-Unis, de fait comme dans l'Union européenne par la Cour de justice de l'Union européenne qui pose les principes, soit avant tout le monde, comme elle le fît pour le "droit à l'oubli" en 2014 (➡️📝CJUE, Google Spain, 13 mai 2014), puis l'impossibilité de transférer vers des pays-tiers des données sans l'accord des personnes concernées (➡️📝CJUE, Schrems, 6 octobre 2015).

Le contentieux Facebook est une sorte de roman. L'entreprise sait que c'est aux juridictions qu'elle parle avant tout. En Europe, elle le fait derrière les murailles de l'espace juridique irlandais, dont elle voudrait pouvoir ne pas sortir avant de mieux dominer l'espace numérique mondial, tandis que les autorités de régulation nationales veulent la saisir pour protéger les citoyens.

Se pose donc une question technique de "compétence juridictionnelle". Les textes y ont pourvu, mais le Droit est malhabile car conçu pour un monde encore ancré dans le sol : le RGPD de 2016 organise donc des coopérations entre Autorités nationales de régulation par un "guichet unique", obligeant les Autorités à se dessaisir pour que le cas ne soit traité que par l'Autorité nationale "chef de file". Cela évite l'éclatement et la contradiction. Mais avant l'adoption du RGPD, le Régulateur belge de protection des données avait ouvert une procédure contre Facebook à propos des cookies. Le mécanisme du "guichet unique", intervenu en 2016, n'est donc évoqué que devant la Cour d'appel de Bruxelles, à laquelle il est demandé de se dessaisir au profit de l'Autorité de Régulation irlandaise, puisque l'entreprise a en Europe son siège social dans ce pays. La Cour d'appel saisit la CJUE en question préjudicielle.

Par son arrêt du 15 juin 2021 (➡️📝CJUE, Facebook, 15 juin 2021), celle-ci suit les conclusions de son Avocat général  maintient la compétence du Régulateur national car, même après le RGPD, le cas supporte encore son traitement national. Retenons la raison. La Cour relève que la règle du "guichet unique" n'est pas absolue et que l'autorité national de régulation peut maintenir sa compétence, notamment si la coopération entre autorités nationale est difficile.

Plus encore, ne faudra pas un jour ajuster plus radicalement le Droit au fait que l'espace numérique n'est pas tenu par des frontières et que l'ambition de "coopération transfrontalière" est mal adaptée ? C'est bien sur ce constat d'inefficacité consubstantielle à l'espace numérique qu'a été conçu et mis en place le Parquet européen, qui n'est pas une coopération, ni un guichet unique, mais bien un organe de l'Union agissant localement pour l'Union, en lien direct avec les soucis de Compliance (➡️📝Frison-Roche, M.-A. "Le Parque Européen est un apport considérable au Droit de la Compliance", 2021 et Frison-Roche, M.-A., Entrée en scène du parquet européen: l'entreprise étant devenue elle-même procureur privé, allons-nous vers une alliance de tous les procureurs?, 2021).

C'est donc de cela qu'il faut s'inspirer.

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Mise à jour : 6 septembre 2016 (Rédaction initiale : 15 juin 2016 )

Publications

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Face au fait des maternités de substitution, que peut faire le juge ?, in Dossier "Autour de la gestation pour autrui", Les cahiers de la justice, Revue trimestrielle de l'École nationale de la magistrature, ENM/Dalloz, 2016.

La GPA, ou maternité de substitution, est une pratique qui conduit à s'interroger sur la normativité juridique à travers la relation entre le droit et le fait, que celui-ci soit technologique, sociétal, économique ou géographique.

Face aux litiges qui lui sont soumis, le juge français doit rendre une décision en application des règles de droit en vigueur, y compris européennes.

La question ici posée est de savoir si, au regard de ses pouvoirs et de son office, le juge peut et doit dégager des solutions techniques plus fines et s'il peut et doit répondre par principe.

 

Lire l'article.

Lire le working paper ayant servi de base à l'article.

29 octobre 2015

Blog

Le "lancer de nain", c'est une "séquence figée" que les étudiants apprennent par cœur, l'exemple-type du sujet d'examen, l'occasion d'en fêter l'anniversaire...

L'arrêt par lequel le Conseil d’État en 1995 a conforté l'interdiction de la distraction du lancer de nain au nom de la Dignité de la personne humaine.

C'est une antienne dans les enseignements de droit. C'est un morceau de choix au cinéma.

Les étudiants, par docilité, adhésion aux grands principes qui défendent la personne, ont tendance dans leur copie, à  conclure dans le II.B.2 : "comme c'est beau, comme c'est grand", estimant ainsi atteindre au moins 13/20.

Mais le journal Libération  a eu l'idée de demander son avis à l'intéressé. Celui-ci n'est pas content. Pas content du tout. Son réquisitoire est terrible.

  «Les putes gagnent bien leur vie avec leur cul. Pourquoi je ne pourrais pas être lancé en France ? Elle est où la liberté d’expression ?» «Le Conseil d’État décide du bonheur des gens contre leur gré». Il estime qu'on lui a ôté sa liberté de travailler et regarde les pays où les nains disposent de la liberté d'être lancés. Lui, il reste en France, où il touche le RSA. Il pense que le Conseil d'État a brisé sa vie.

Il continue et il a raison de l'affirmer : Le Conseil d’État, parce qu'il veut faire le bonheur des gens malgré eux, a fait son malheur.

Il envisage d'en demander compensation financière à l’État.

Rétrospectivement, est-ce donc une mauvaise décision ? Puisqu'on songe à une compensation financière, y aura-t-il eu une faute à décider ainsi ?

Cela dépend de l'office de la jurisprudence.

Reprenons la situation. Si on l'analyse comme un "cas", réduit aux seules personnes particulières, sans doute a-t-il raison. Mais les juges ne portent pas que cela, ne sont pas que des personnes qui arrangent au mieux les difficultés particulières des cas concrets. Dans certains cas, il y a des principes qui sont impliqués, sans doute contre le gré des personnes particulières en cause, et là c'est la jurisprudence qui apparaît. Sinon, cela n'est pas la peine de constituer des tribunaux, de prévoir des procédures, et de mettre l'ensemble au cœur des systèmes démocratiques.

Reprenons la situation :


 

18 février 2014

Publications

► Référence générale : Frison-Roche, M.-A., Les décisions des juges et des régulateurs favorisent-elles la compétitivité des entreprises françaises ?,  document de travail, février 2014.

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Ce working paper a servi de base à un article publié dans la Revue Droit & Affaire

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Résumé du document de travail : Les agents économiques sont autant soucieux des régulateurs que des juges. Il est très difficile de mesurer la compétitivité des décisions de ceux-ci, en dehors des formules générales que l’on assène aisément sur la nécessité de rapidité, de prévisibilité et de sécurité. Mais ce sont des qualités que l’on demande à toute source de contrainte. En outre, concernant les décisions des juges et des régulateurs, la difficulté tient au fait qu’il est difficile de scinder une décision de la procédure qui la précède. Quand on interroge les économistes, ils disent que l’essentiel est que l’agent sache à quoi s’en tenir, pour maîtriser ensuite ses coûts. Pour cela, il faut précisément que ces décisions, quelle que soit leur nature juridique, constituent une « jurisprudence ».

Mais, en premier lieu, si l’on aborde la question d’une façon générale, pour que l’on puisse parler de « jurisprudence », il faut qu’il y ait un corps de « doctrine ». Ainsi, paradoxalement, les régulateurs ont davantage une jurisprudence que n’en produit le monde judiciaire, plus disparate. En second lieu, on ne peut avoir une vision si globale. Il convient de partir des cas. Ainsi, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est-elle « compétitive » ? Son dogmatisme, qui la rend coûteuse, ne la rendait-elle pas prévisible ?

Plus encore, un arrêt récent de la première chambre civile de la Cour de cassation qui récuse l’analyse économique du droit, revendiquant l’imperméabilité normative entre les deux ordres que sont l’économie et le droit, est-il compétitif ? Allant de plus en plus finement, puisque le droit devient de plus en plus casuistique, c’est une à une qu’il faut prendre les décisions. On peut, à titre d’exemples, prendre quatre décisions récentes du second semestre 2013, de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de l’Autorité des Marchés Financiers.

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Lire les développements du document de travail ⤵️

Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 17 octobre 2011 )

Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011

Le cours a trait à la troisième Grande Question du Droit qui porte sur le juge. Il se concentre plus particulièrement sur la fonction politique et sociale de celui-ci, la question plus technique du procès et du jugement faisant l’objet du cours ultérieur. En ce qui concerne la fonction politique et sociale du juge, celui-ci apparaît tout d’abord comme un instrument de rappel à la légalité. En cela, il est un instrument de réalisation de la loi, d’autant plus s’il s’agit d’un juge pénal ou administratif, où l’intérêt général et l’ordre public interviennent. L’autre fonction du juge est de mettre fin au litige entre les personnes, ce qui est l’office traditionnel du juge civil. Mais l’intérêt général est également présent dans le droit privé et l’on cherche aujourd’hui en toute matière à développer les modes alternatifs de règlement des litiges.

16 mars 1999

Publications

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, La considération de la jurisprudence dans le nouveau titre V du Règlement général du Conseil des Marchés Financiers, RJDA 1999, pp.9-13.

 

Accéder à l'article.

 

10 juillet 1991

Base Documentaire : Doctrine

Référence complète : Zénati, F., La jurisprudence, coll. " Méthodes du droit" , Éditions Dalloz, 1991, 282 p.

 

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