Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : M. Chapuis, "La médiation, voie d'avenir pour une Obligation de Compliance effective", in M.-A. Frison-Roche (dir.), L'Obligation de ComplianceJournal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, coll. "Régulations & Compliance", 2024, à paraître

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📕lire une présentation générale de l'ouvrage, L'Obligation de Compliance, dans lequel cet article est publié

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance - JoRC) : 

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26 février 2024

Auditions Publiques

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Le juge dans les contentieux de vigilance", participation à la "table ronde sur le devoir de vigilance", audition par la Commission d'enquête du Sénat sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, 26 février 2024, 16h-17h30

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 📺regarder la présentation préliminaire de Marie-Anne Frison-Roche relative à l'office du juge dans le devoir de vigilance

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📺regarder en différé l'ensemble de la table ronde

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⚖️ Cette audition a été menée en considération de règles spécifiques à ma situation dans la mesure où d'une part le Droit interdit sous peine de sanction pénale à la personne convoquée de refuser de se présenter et ou d'autre part j'ai immédiatement rappelé au secrétariat de la Commission d'Enquête qu'ayant été Amica Curiae dans le litige opposant les associations Les Amis de la Terre et  autres en demande et le groupe TotalEnergie en défense, l'objet du litige portant sur des manquements allégués d'obligations découlant de devoir de vigilance, le statut d'Amica Curiae a conduit pendant cette instance à ne pas connaître le dossier et à continuer de ne pas le connaître pendant une période raisonnable après l'audience du 26 octobre 2022 et le jugement du 28 février 2024 dans le cas dit "Total Ouganda", ce qui conduit nécessairement par application aux règles juridiques et de déontologie à ne pas répondre à certaines questions. 

Dans le respect de ces contraintes, il est répondu le mieux possible pour éclairer la Commission d'Enquête.

Cette audition est à mettre en corrélation avec l'audition qui s'est déroulée devant la Commission ... de l'Assemblée Nationale ....

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 Organisation de la Table Ronde : En accord avec le secrétariat de la Commission d'Enquête, et afin de rendre le plus fructueux possible le premier temps de cette table ronde ayant pour objet Le devoir de vigilance, dans la mesure où il apparaît que dans l'ensemble des auditions programmées, c'est sans doute là où se concentre le plus l'expertise juridique, les 4 intervenants se sont préalablement réunis pour éviter le double écueil soit de traiter deux fois la même chose soit de laisse une dimension du sujet non traité.

Ainsi la première intervenante traite de la façon dont les entreprises élaborent les plans de vigilance, le deuxième intervenant développe la façon dont elles intègrent leur devoir de vigilance dans leur déploiement international, notamment par des mécanismes contractuels, le troisième intervenant expose ce que, dans les contentieux, les demandeurs (qui sont souvent des ONG) allèguent, ce qui m'a conduit en dernier lieu à exposer ce qu'il en est de l'office du juge en la matière.

Il en résulte que mon intervention de 8 minutes aborde plus particulièrement de la question de l'office du juge dans la mise en application du devoir de vigilance.

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🔲consulter les slides servant de support à cette intervention

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 Présentation de l'intervention préliminaire : En premier lieu, j'ai souligné qu'en l'état du droit positif, le droit français repose sur le juge puisque la loi pose une Obligation de Vigilance, qui est à la fois une obligation générale et de moyens, l'entreprise devant montrer qu'elle fait ses "meilleurs efforts", cette obligation générale, qui n'est pas limitée à l'environnement, étant déclinée d'une façon particulière par l'entreprise en fonction de ses risques particuliers et de ses engagements propres, notamment contractuels, tandis que le juge applique ce système au cas par cas. 

La loi de 2017 a voulu confier ce pouvoir au juge et a voulu un système simple en donnant la seule compétence au seul Tribunal Judiciaire de Paris, ce qui permet d'obtenir une interprétation jurisprudentielle, aussi bien sur les questions procédurales et substantielles, immédiatement unifiée, le dialogue des juges devant être toujours favorisé, tandis que la spécialisation et la formation de ces juges étant un enjeu auquel les juridictions ont répondu concrètement, la Cour d'appel de Paris ayant mis en place une chambre spécialisée, tandis qu'une formation spécialisée sur ces "contentieux systémiques émergents" d'un type nouveau se met en place. Cette spécialisation rend moins impérieuse l'établissement d'une Autorité administrative de supervision.

Cette présence du juge ne doit pas être présentée ni perçue comme pathologique car le procès de vigilance est dans l'ordre des choses, les parties prenantes trouvant une voie d'expression : d'une part plus les entreprises développeront en amont le dialogue et moins il y aura de contentieux et d'autre part le procès lui-même, en continuum, doit favoriser ce dialogue, par le contradictoire et par la médiation.. C'est une part essentielle de l'office du juge qui doit aussi faire respecter le Droit et apporter des solutions à ces enjeux systémiques, la remédiation (plutôt que trancher et sanctionner) étant une voie de son office à développer.

Parce que les juridictions concernées ont su ajuster leur organisation interne et les juges adapter leur office, la généralité de la loi de 2017 permettant précisément cela, la question de l'adoption ou de la non-adoption de la directive CS3D n'étant de ce fait pas un enjeu dramatique parce que le juge est déjà au centre de la vigilance, il convient plutôt de laisser le temps que l'oeuvre de jurisprudence se fasse.

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30 novembre 2023

Conférences

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "5 leçons en conclusions ouvertes", in M. Boissavy, H. Dehghani-Azar, et M.-A. Frison-Roche (dir.), Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Conseil national des Barreaux (CNB), Compliance, vigilance et médiation, Amphithéâtre du Conseil national des barreaux, 30 novembre 2023.

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🧮consulter le programme complet de cette manifestation

🌐accéder à la présentation générale de ce qui en a constitué la première partie portant sur l'idée même d'une médiation en matière de Compliance et Vigilance, comprenant les liens vers chacune des interventions

🌐accéder à la présentation de ce qui en a constitué la seconde partie du colloque portant sur les modalités d'une médiation en la matière, comprenant également de tels liens

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🎥 revoir la video du colloque, dont ces conclusions : cliquerICI

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► résumé de la conclusion : Au terme de ce colloque magnifique, que pouvais-je en conclure ?

Avant tout, que l'on gagne toujours à écouter les expériences et les points de vue des autres. Et ils furent très divers, il suffit de se reporter à chaque intervention, chacune diverse par rapport aux autres.

C'est pourquoi plutôt que de redire ce que j'écris ou affirme par ailleurs sur ce sujet de compliance, de vigilance et de procédure, je me suis appuyée sur ce que j'ai écouté pour en tirer directement 5 leçons.

 

𝐋𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢è𝐫𝐞 𝐥𝐞ç𝐨𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐥'𝐚𝐥𝐥𝐢𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐩𝐥𝐮𝐭ô𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐥'𝐢𝐧𝐢𝐦𝐢𝐭é 𝐝é𝐟𝐢𝐧𝐢𝐭𝐢𝐯𝐞.

La médiation dans ces matières paraît effectivement à certains une sorte d'association avec le diable et qu'il faut une dimension diplomatique très forte pour rapprocher ceux qui structurellement semblent préférer le conflit, qui présente l'avantage d'être spectaculaire.

Mais l'on est toujours le diable de quelqu'un et ce jeu n'est pas souvent gagnant. L'office du juge doit s'adapter pour amener à plus de raison et de calme. Le génie de Motulsky offre à travers les principes directeurs du Code de procédure civile des outils pour cela. Sans doute une culture de l'amiable qui progresse peut-elle y aider, pour que nous ne soyons pas tous définitifs ennemis, au regard des Buts Monumentaux qui sont devant nous en Compliance et en Vigilance.

 

𝐋𝐚 𝐝𝐞𝐮𝐱𝐢è𝐦𝐞 𝐥𝐞ç𝐨𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐝𝐮 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐬 𝐩𝐞𝐫𝐭𝐢𝐧𝐞𝐧𝐭.

L'on peut se disputer sur le passé mais si l'on se soucie des risques qui pèsent sur les êtres humains, il faut à la fois dire le mal qui fut causé et ouvrir l'avenir pour qu'il ne soit pas ce qu'il sera si l'on ne fait rien. Une médiation pour construire un programme de compliance suppose que le "temps pertinent" soit avant tout le futur, par exemple les générations futures. On est si faible les concernant que l'outil de la médiation ne devrait pas être écarté d'un revers, dès l'instant que le juge et un tiers de confiance veille à l'égalité des personnes impliquées dans le processus.

 

𝐋𝐚 𝐭𝐫𝐨𝐢𝐬𝐢è𝐦𝐞 𝐥𝐞ç𝐨𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐚𝐜𝐭𝐞𝐮𝐫𝐬 𝐩𝐞𝐫𝐭𝐢𝐧𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐞𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐚𝐭𝐭𝐢𝐭𝐮𝐝𝐞𝐬 𝐚𝐭𝐭𝐞𝐧𝐝𝐮𝐞𝐬.

 Plutôt que de demeurer chacun dans son isolement, il faut se forcer à sortir de sa certitude d'avoir raison. L'entreprise doit sortir d'elle-même, aller tout au long de la chaine de valeur, modifier sa gouvernance, laisser les parties prenantes s'asseoir à sa table. La médiation n'est pas étrangère à la Compliance : elle est au contraire le reflet même de l'exacte définition de ce qu'est le Droit de la Compliance, branche humaniste du Droit qui régule les entreprises. Les ong aussi doivent sortir d'une attitude de conflit et renoncer à un soupçon définitif de mensonge. C'est difficile pour tout le monde et c'est pourquoi le "tiers de confiance", que l'avocat peut être, est central dans la médiation. Le juge doit aussi changer son office, doit se penser non seulement dans une culture de l'amiable mais plus encore dans un office exante.

La doctrine aussi doit changer, qui pense avant tout à travers la distinction entre le Droit public et le Droit privé, alors qu'ici la médiation, que l'on associe au second, est ce qui va concrétiser des intérêts que l'on associe au premier.

 

 𝐋𝐚 𝐪𝐮𝐚𝐭𝐫𝐢è𝐦𝐞 𝐥𝐞ç𝐨𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐥'𝐞𝐬𝐩𝐚𝐜𝐞 à 𝐜𝐫é𝐞𝐫.

La médiation est à favoriser parce qu'elle crée un espace nouveau, elle a cette "vertu"-là. Elle a peut-être bien des défauts, bien des insuffisantes, mais elle a cette vertu. Dans une société qui se meurt des oppositions, la médiation crée un espace. Tout ce qui peut le créer doit être favoriser, sous le contrôle du juge, pour que cela ne soit pas un faux-semblant. Cet espace doit être un espace de vérité et de confiance. Il est donc extrêmement difficile d'ouvrir un tel espace. Mais cela vaut la peine d'essayer. Un tel espace doit être possible dès le départ, pour que le projet fasse place aux divers intérêts impliqués jusqu'aux conflits, toujours possibles.

 

𝐋𝐚 𝐜𝐢𝐧𝐪𝐮𝐢è𝐦𝐞 𝐥𝐞ç𝐨𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐥'𝐞𝐧𝐭𝐫é𝐞 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐮𝐧 𝐦𝐨𝐧𝐝𝐞 𝐧𝐨𝐮𝐯𝐞𝐚𝐮.

Nous sommes en train d'entrer dans le "nouveau Droit" qu'est le Droit de la Compliance, dont la Vigilance est la pointe avancée. Chacun l'a dit et ce fut un point d'accord : le monde change, le Droit doit changer. Pour l'instant, les contentieux sont plutôt déceptifs, les uns se méfient des autres, nous avons peur de l'avenir. Chacun a l'espoir qu'une nouvelle culture, celle d'un Droit nouveau, nous aide, nous, nos enfants et les enfants d'autrui.

Nous n'avons guère ni de culture de Compliance ni de culture de l'Amiable. Mais le Droit de la Compliance, dont la normativité est dans les buts monumentaux et dont la portée est naturellement indifférente aux territoire (numériqueextraterritorialité) peut être ce Droit nouveau, dont le cœur est occupé par le juge et dont le souci premier sont les êtres humains.

 
 

5 octobre 2022

Interviews

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, " Youporn : Le Droit doit se renouveler face à la transformation du monde par l'espace numérique", entretien avec Olivia Dufour, Actu-juridique, 5 octobre 2022.

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💬Lire l'entretien dans son intégralité

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Lire l'entretien précédent : 💬L'efficacité de la Compliance illustrée par l'affaire Youporn

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 Présentation de l'entretien par le journal : "Comment parvenir à bloquer efficacement l’accès des mineurs aux contenus pornographiques sur internet ? C’est à cette difficile question que s’est attaquée l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Avec pour l’instant un succès mitigé. Début septembre, alors que le régulateur demandait au juge de bloquer les cinq sites n’ayant pas obéi à son injonction de modifier leurs conditions d’accès, la justice a décidé de renvoyer le dossier devant un médiateur. Entre temps, un rapport sénatorial publié le 28 septembre souligne l’urgence d’agir. Nous avons demandé au professeur Marie-Anne Frison-Roche, spécialiste de droit de la compliance, comment à son avis il est possible de lutter efficacement contre les dérives de l’industrie pornographique".  

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 Questions posées :

  • Dans l'affaire Youporn, la décision du tribunal judiciaire de renvoyer le dossier vers la médiation a suscité un certain émoi. N'est-ce pas le signe d'une forme de renoncement de la justice, avec tout ce que cela implique d'un point de vue symbolique ?

 

  • En quoi le droit de la compliance serait-il plus efficace que les méthodes traditionnelles ?

 

  • Mais n’est-ce pas, d’une certaine façon leur permettre de s’autoréguler, solution que précisément le rapport sénatorial écarte radicalement, estimant qu’elle n’est pas efficace ?

 

  • Le problème, à en croire les sites concernés, c’est qu’il n’y aurait pas de solution qui soit à la fois efficace et respectueuse de la protection de la vie privée…

 

  • Pensez-vous que la compliance ait une chance de réussir là où les outils plus traditionnels connaissent un échec relatif ?

 

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30 septembre 2022

Compliance : sur le vif

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Youporn. La question est : comment appliquer les textes ? Pour arriver à quelque chose", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 30 septembre 2022.

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Dans l'actualité, l'on peut suivre deux évènements qui ont trait à l'efficacité des législations, mise en question sur un même objet industriel : la pornographie.

Le premier événement est ponctuel : l'on peut lire le rapport du Sénat sur l'industrie pornographique, publié en septembre 2022, Porno : l'enfer du décor, bon titre, moins austère que les titres des classiques rapports parlementaires, rapport très documenté et très engagé, qui dresse un constat terrifiant de l'industrie pornographique et demande une action immédiate, de tous. Notamment le rapport demande à ce que "enfin" (le "enfin" est dans le titrage du bloc de recommandations à ce propos) l'interdiction d'accès des mineurs aux prestations pornographiques soit effective.

Le second événement se déroule dans le temps : l'on peut suivre l'action des Autorités de supervision et judiciaires à l'encontre de sites pornographiques pour obtenir que ceux-ci contrôlent effectivement l'âge des internautes qui accèdent aux sites et ne contentent pas d'une déclaration de ceux-ci, cliquant sur le bouton affirmant qu'ils sont majeurs.

Il s'agit donc bien du même objet.

I. UN CONSTAT FAIT ET REFAIT : UNE DIFFICULTÉ EXTREME DE MISE EN OEUVRE

Le phénomène de la pornographie a fait l'objet de multiples études, issues de diverses disciplines.

On s'accorde à admettre que dans sa pratique les conditions de son exercice sont d'une part le plus souvent atroces pour les personnes qui y sont enrôlées, et sont d'autre part dommageables pour les spectateurs, de plus en plus souvent des enfants, pornographie et violence s'alimentant.

Contre cela, les institutions publiques peinent, le rapport rappelant les chiffres accablants de l'échec des politiques publiques au secours des personnes dites "actrices", aussi bien qu'à l'égard des spectateurs, puisque tout le monde "consent", les relais d'éducation (parents, écoles, médias) fonctionnant mal.

Le rapport du Sénat demande donc une mobilisation de l'Etat, comme dans une guerre contre un fléau, une politique d'éducation tous azimuts, des parents actifs, une politique publique d'ensemble pour veiller à ce que ces excès, qui sont en réalité l'ordinaire, soient le plus possibles détectés et prévenus.

Revenons d'une façon plus modeste à l'état du Droit positif, exposé clairement dans le rapport et qu'il ne s'agit pas de remettre en cause dans ses principes.

 

II. L'ETAT DU DROIT : LA LICÉITE ET DE PRINCIPE ET L'INTERDICTION PÉNALE DE L'ACCES AUX MINEURS : UN PROBLEME EX ANTE DE RÉGULATION DU NUMÉRIQUE

L'état du Droit est clair. La pornographie est licite. De la même façon que la prostitution est licite.

L'on peut en penser ce que l'on veut et en débattre, et de l'un et de l'autre (car la pornographie est de fait liée à la prostitution comme elle est liée à la violence) mais en l'état du Droit positif il s'agit d'une activité licite.

Le Droit pénal interdit certaines pratiques, soit d'une façon générale qui peuvent plus particulièrement se retrouver dans la pornographie, comme certains types de violences, comme la torture, soit d'une façon spécifique.

C'est à ce titre que d'une façon très précise le Code pénal, dans son article 227-24, réécrit en 2020 pour l'adopter à l'espace numérique, non seulement interdit pénalement l'accès des mineurs aux sites pornographiques mais obligent les sites à contrôler effectivement l'âge des internautes.

L'on peut en penser ce que l'on veut et en débattre mais c'est l'état du Droit positif.

Le Droit dans sa construction n'est pas remis en cause : tout est question de mise en oeuvre. Non seulement l'industrie pornographique explose, faisant désormais partie de la vie quotidienne, mais les dispositions pénales de contrôle de l'âge n'ont pas d'effectivité.

C'est donc un enjeu de compliance, à un double titre : en premier lieu, parce qu'en la matière une fois que les enfants ont consommé le mal systémique que constitue la représentation des femmes comme produits à consommer sans modération les sanctions ne sont plus guère le sujet, le sujet relevant donc avant tout de l'Ex Ante, de la prévention et de la détection, donc d'outils de Compliance ; en deuxième lieu, parce qu'il s'agit d'une industrie qui prospère désormais sur des plateformes, plateformes numériques sur lesquelles l'Autorité de régulation qu'est l'Arcom doit exercer effectivement son pouvoir de supervision, pour que l'espace numérique soit "civilisé", la question de la pornographie rejoignant alors la question de la haine ou de la désinformation dans l'espace virtuel, lesquels reposent sur l'action des opérateurs eux-mêmes, en interaction avec le Régulateur.

🔴mafrSe tenir bien dans l'espace numérique, 2020.

Ici, concernant la pornographie, le Législateur d'une part, le régulateur et le juge d'autre part, ne réagissent pas de la même façon. Mais tous se soucient de l'effectivité du texte, ce qui est effectivement le seul sujet, sauf à se détester tous les uns les autres.

III LA DEMANDE DU LÉGISLATEUR: ACCROITRE LES POUVOIRS DE SANCTION ET L'ÉDUCATION

Dans le rapport du Sénat, le bloc de recommandations sur cette question a pour titre : Appliquer enfin la loi sur interdiction d'accès des mineurs et protéger la jeunesse.

Les recommandations qui en découlent sont les suivantes :

Recommandation n° 11 : Assermenter les agents de l’Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Recommandation n° 12 : Confier à l’Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l’encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Recommandation n° 13 : Imposer aux sites pornographiques l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié. Recommandation n° 14 : Définir, dans les lignes directrices de l’Arcom, des critères exigeants d’évaluation des solutions techniques de vérification de l’âge. Recommandation n° 15 : Imposer le développement de dispositifs de vérification d’âge ayant vocation à servir d’intermédiaire entre l’internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL. Recommandation n° 16 : Établir un processus de certification et d’évaluation indépendant des dispositifs de vérification d’âge. Recommandation n° 17 : Activer par défaut le contrôle parental, lorsqu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur. Recommandation n° 18 : Mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental.

N'accordant pas crédit à l'autorégulation et à l'éthique des plateformes qui sont des "tubes" à contenus pornographiques qui déversent sur la population des flots d'images de ce type à partir de localisations consistant des paradis réglementaires, le Sénat propose plutôt de donner plus de force juridique au Régulateur et aux parents.

L'on retrouve tous les mécanismes déjà déployés en Régulation bancaire et financière, secteur où les outils de la Compliance sont le plus achevés et dans lequel l'on puise car il constitue le modèle pour l'instant le plus achevé.

La difficulté est sans doute que l'effet réputationnel, qui joue très fortement sur les opérateurs bancaires, a peu d'emprise sur les entreprises qui gère les sites pornographiques. C'est donc vers la contrainte que l'on se tourne : puissance des agents de l'autorité, pouvoir de sanction, écran noir. L'on sait que la faiblesse d'un législateur se mesure aussi au fait qu'il augmente les pouvoirs et la répression sur le papier. Mais la critique est aisée et il est difficile pour le Législateur d'en rester au constat et armer un Régulateur est toujours bienvenu car à l'heure où le contrôle des contenus par les opérateurs numériques, supervisés par le régulateur public, est le principe du Digital Services Act , il serait paradoxal que cette catégorie de sites, légaux mais systémiquement dommageables, ne soient pas dans cette logique générale.

Or, cette logique générale implique par ailleurs une collaboration active entre le Régulateur et le Juge.

Celle-ci permet que l'on passe d'un Droit, notamment pénal, qui soit non seulement "effectif", mais qui soit "efficace", c'est-à-dire qui soit non seulement appliqué mais encore produise les effets pour l'obtention desquels il a été adopté.

C'est ce qui est en cours.

 

IV. L'ACTION EN COURS DU REGULATEUR ET DU JUGE : TROUVER LE DISPOSITIF TECHNIQUE ADEQUAT

Il y a plusieurs mois, le président de l'Arcom a fait des injonctions, très motivées, à des sites à contenus pornographiques pour qu'ils respectent le Droit pénal et contrôlent l'âge des internautes qui accèdent à leur site, faute de quoi, en application des textes, le juge judiciaire sera saisi.

Par exemple dans sa décision du 7 avril 2022, le président a fait injonction à la société gérant le site youporn de respecter la loi, l'Autorité ayant constaté qu'il suffisait à l'internaute de cliquer sur une affirmation de non-minorité, ce qui ne suffit pas pour respecter l'article 227-24 du Code pénal précité en mettant en place des technologies efficaces. 15 jours étaient laissés pour ce faire.

🔴mafr, 💬 L'efficacité de la compliance illustrée par l'affaire Youporn, entretien avec Olivia Dufour, 21 juin 2022.

Les sociétés enjointes ont répondu qu'en fait elles ne possédaient pas la technologie pour y procéder, qu'elles ne savaient pas comment dépasser le système actuel d'autodéclaration par l'internaute de son âge et qu'en droit la loi sur la protection des données personnelles leur interdisait l'usage des technologies efficaces disponibles. Ainsi, la technologie les bloque, ce qu'elles regrettent tandis que le Droit bloque le Droit, ce dont elles ne sauraient répondre.

L'injonction de l'Arcom étant infructueuse, car si l'obligation de contrôle de l'âge est une obligation de moyens, cela ne peut justifier une fin de non-recevoir, celle-ci a indiqué par un communiqué du 7 septembre 2022 que le Président de l'Arcom avait saisi le président du Tribunal judiciaire de Paris pour que l'accès à ces sites soit fermé par les soins des fournisseurs d'accès aux internautes relevant du Droit applicable.

Le Régulateur demande donc au Juge, pour ces sites et les sites-miroirs qu'ils fabriqueraient que ceux-ci ne soient plus accessibles à partir du territoire français ou par leurs adresses situées sur le territoire, que les internautes soient automatiquement redirigés vers une page d’information expliquant la raison de ce blocage.

Le Juge judiciaire n'a pas rejeté la demande de l'Arcom, mais n'a pas non plus pour l'instant condamné les sites à subir une telle mise en place.

On peut penser qu'il l'a fait car il ne suffit pas de dire que l'on ne sait pas faire pour se soustraire au Droit pénal, mais s'il n'a pas condamné immédiatement les plateformes c'est aussi parce que l'allégation des défendeurs était "vraisemblable" : il est vrai que technologiquement le contrôle de l'âge pose difficulté, le Droit de la Compliance pouvant obliger des opérateurs cruciaux à inventer des technologies adéquates mais cela est sans doute difficile à mettre en place, demande peut-être du temps, tandis que le droit des données à caractère personnel est lui-aussi protégé par le Droit de la Compliance.

Le Juge judiciaire n'a pas pour autant rien fait, renvoyant tout le monde car quand il est saisi, il doit trouver une solution, surtout s'il partage le souci de l'effectivité des textes.

Par une décision du 6 septembre 2022, le Juge judiciaire a ordonné une rencontre de tous dans la perspective de médiation. Ce n'est pas donner tort au Régulateur, ce n'est pas donner tort aux sites.

En effet, lorsqu'il est possible que tous aient raison en ce qui les concerne : lorsque la question est une question de fait, parce que l'enjeu est avant l'application en fait des textes pour l'instant peu appliqués, qui pourraient l'être si l'on trouve de fait des technologies qui n'entravent pas une activité licite mais qui rendent effectifs et efficaces des textes qui ne doivent pas rester lettre morte, dans un monde ici entièrement numérique, la solution d'une discussion est une voie qui peut être fructueuse.

Compliance et Médiation, en raison de la technicité et de l'ampleur systémique des cas, est une perspective heureuse, car le Droit est un art pratique et que, tout particulièrement en Droit de la Compliance, l'efficacité des textes par des mesures Ex Ante, ici les technologies, est un souci premier, l'ensemble devant toujours se dérouler non seulement en conformité mais dans le respect au sens le plus fort du terme de l'Autorité de Régulation, du Juge et de la Loi pénale.

 

12 novembre 2020

Base Documentaire : Doctrine

Référence complète: Kessedjian, C., Le tiers impartial et indépendant en droit international. Juge, arbitre, médiateur, conciliateur, Académie de Droit international de La Haye, 2020, 769p.

 

Lire la quatrième de couverture

Lire la table des matières

 

1 janvier 2019

Base Documentaire : Doctrine

Référence complète : Lasserre, V., "La formation des médiateurs", in Archives de philosophie du droit (APD), La médiation, t. 61, 2019, p.117-127.

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Voir la présentation partielle de la collection dans laquelle l'ouvrage est publié. 

Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 17 octobre 2011 )

Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011

Le cours a trait à la troisième Grande Question du Droit qui porte sur le juge. Il se concentre plus particulièrement sur la fonction politique et sociale de celui-ci, la question plus technique du procès et du jugement faisant l’objet du cours ultérieur. En ce qui concerne la fonction politique et sociale du juge, celui-ci apparaît tout d’abord comme un instrument de rappel à la légalité. En cela, il est un instrument de réalisation de la loi, d’autant plus s’il s’agit d’un juge pénal ou administratif, où l’intérêt général et l’ordre public interviennent. L’autre fonction du juge est de mettre fin au litige entre les personnes, ce qui est l’office traditionnel du juge civil. Mais l’intérêt général est également présent dans le droit privé et l’on cherche aujourd’hui en toute matière à développer les modes alternatifs de règlement des litiges.

2 avril 2009

Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : Texier, P., "La médiation sous le regard de l’anthropologie historique du droit", in La médiation - aspects transversaux, Université de Limoges, 2009.

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📝Lire l'article

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27 juin 2000

Publications

 Référence complète : J.-F. Burgelin, J.-M. Coulon et M.-A. Frison-Roche, "L’office de la procédure", in Mélanges offerts à Pierre Drai, Le juge entre deux millénaires, Dalloz, 2000, p.253-267.

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📝lire l'article

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► Résumé de l'article : l'article a pour objet de revenir à ce à quoi sert la procédure, quel est donc son "office", l'office du juge ne pouvant pas être que de juger mais portant aussi vers ce qui le mène à cet acte-là, c'est-à-dire la procédure, laquelle ne devant pas être davantage séparée de ce qui l'a fait mettre, à savoir le litige. Si la procédure en est totalement séparée, alors elle devient proprement folle, comme elle le devient si l'on oublie que la procédure est un instrument qui se conçoit que par rapport à son utilité. L'autonomie du Droit processuel ne contrarie en rien cet ancrage.

A ce titre et dans une première partie, l'article examine la façon dont la procédure concrétise les prérogatives des parties que la procédure protège. La procédure permet aux parties de reconstituer les faits qu'elles construisent et pour l'allégation desquels elles apportent des preuves dans les formes procéduralement admises, le juge pouvant intervenir par un tour procédural inquisitorial pour que la preuve du fait allégué soit apportée.

Par ailleurs, procès correspond à une triade constituée par les deux parties et le juge, la procédure suppose que les deux parties acceptent le principe même du droit de l'autre à lui parler et à utiliser les mêmes formes, la procédure étant de ce fait une civilisation du conflit qui est tout à fois mis à  distance par le cérémonial et calmé par le codage : la procédure a pour office d'imposer un lien civilisé entre les parties, elle incarne en cela la justice elle-même. A ce titre, l'opposition souvent faite entre l'accusatoire et l'inquisitoire doit être relativisé car la procédure inquisitoire peut être plus protectrice de ce lien, notamment par les droits de la défense.

La seconde partie de l'article expose l'office de la procédure dans la perspective de l'efficacité du service public de la justice. La procédure efficace fait disparaître le litige, ce que fait le jugement, puisque celui-ci tranche le litige. En cela, le jugement n'est pas un acte de procédure commensurable aux autres et il faut qu'il arrive dans un délai raisonnable. C'est pourquoi le juge doit avoir des pouvoirs importants, comme l'injonction, y compris dans une procédure accusatoire, et favoriser les modes alternatifs, comme la médiation.

De la même façon, le procès doit s'ouvrir aux tiers, notamment parce que la distinction des intérêts s'estompe et que l'intérêt collectif ou général doit être entendu.

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