Mise à jour : 24 avril 2024 (Rédaction initiale : 15 décembre 2023 )

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 Référence complète : M.-A. Frison-RocheDevoir de vigilance : progresser, document de travail, document de travail, décembre 2023

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🎤 Ce document de travail avait été élaboré dans une première version pour servir de base à la conclusion du colloque Le devoir de vigilance : l'âge de la maturité ? organisé par l'Université de Montpellier le 25 mai 2023

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📝 Ce document de travail a été élaboré dans une seconde version actualisée et plus développée pour servir de base à l'article qui constitue la conclusion de l'ouvrage Le devoir de vigilance des entreprises : l'âge de la maturité ? Editions Bruylant, 2024.

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 Résumé du document de travail : En 2017 en France la loi dite Vigilance a exprimé une grande ambition. Le projet de directive aussi. Mais en 2024  les institutions européennes ont modéré cette ambition en n'accroissant ni le type d'entreprises assujetties ni les contraintes auxquelles le devoir de vigilance est associé. La directive a sur l'essentiel arrêté ce qui était pour certain la "marche du progrès". L'ambition n'existe-t-elle plus ? L'avenir est-il à une extension de la philosophie du devoir de vigilance, c'est-à-dire d'entreprises qui devraient toujours se soucier plus d'autrui ? Ce qui serait alors aboutir sans doute à "l'âge de la maturité", là où d'autres voient l'âge de la folie, car cela serait un contresens de demander à une entreprise de se soucier d'autre chose que de son propre déploiement.

Il convient donc d'envisager cette hypothèse même d' "âge de la maturité" comm étant une ambition maintenue malgré une directive qui dans sa version adoptée est affaiblie et des oppositions intactes (I). Il faut tout d'abord admettre que la notion de "maturité" cache le plus souvent un jugement de valeur lorsqu'elle est appliquée à une notion juridique (I.A.) et que cela est flagrant concernant le devoir de vigilance qui est considéré par les uns et par nature par les uns comme un bien et par les autres comme un mal (B).

Pour ne pas demeurer ce qui apparaît comme une guerre de tranchée, il faut ne pas s'enfermer excessivement dans la législation de référence de 2017 et ce qui paraît être un bégaiement européen en 2024, en se disputant avec tant d'éclats de voix qu'on les entend raisonner à l'écrit, en prêtant attention à des voies de progrès moins visibles et aujourd'hui plus prometteurs (II). En effet, le devoir de vigilance peut progresser par le seul effet de l'écoulement du temps (A), par une meilleure fixation du vocabulaire (B), par la consolidation des principes de Responsabilité et de Dialogue (C), par l'unicité de la  voie juridictionnelle (D).

Cette dernière perspective du progrès que va permettre l'unicité de la voie juridictionnelle mène vers une dernière voie de progrès. En effet et par nature les lois sont des à-coups, d'autant plus violents qu'ils sont disputés. A l'instant si l'on veut progresser, ces deux autres sources que sont le contrat et le juge doivent être favorisés (III). La directive se soucie d'ailleurs à juste titre de l'accès au juge et envisage avec mesure l'efficacité du contrat comme moyen d'efficacité du devoir de vigilance, le juge devant veiller à ce que le contrat ne détruise pas l'esprit du système. C'est écrire ce que le Droit connait déjà entre le rapport entre le contrat, le juge et l'Obligation de compliance (A). La nouveauté de 2024 tiendra plutôt dans l'institution d'un Superviseur  (B). Là encore, l'on retrouve la vigilance comme "pointe avancée" du Droit de la compliance, car celui-ci prolonge le Droit de la régulation.  

Il en résulte en cela, par l'interprétation, le maniement des principes, et pour formuler une conclusion plus générale, c'est le juge qui tient et tiendra l'équilibre du devoir de vigilance.

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🔓lire le document de travail ci-dessous⤵️

2 avril 2024

Conférences

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Les voies d'innovations juridiques face aux nouveaux "défis climatiques"", in C. Arnaud, O. de Bandt et B. Deffains (dir.), Innovations économiques et juridiques face aux défis climatiques. Nouveaux défis regards croisés : Droit Économie et Finance, Banque de France et CRED/Université Paris Panthéon-Assas, Paris, Centre de Conférence de la Banque de France, 2 avril 2024

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🧮Consulter le programme complet de cette manifestation

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🔲consulter les slides ayant servi de support à la conférence

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 Présentation de la conférence : À la question posée de la façon dont le Droit peut produire des "innovations" pour répondre aux "défis climatiques", il est procédé à partir des trois sources traditionnelles du Droit, que sont en premier lieu les lois et réglementations, en deuxième lieu les engagements des personnes et principalement les contrats, et en troisième lieu les décisions de justice.

À première vue, le Droit dans sa conception et son fonctionnement classique est faible face au changement climatique. Cette faiblesse est inhérente à la nature du changement climatique, qui est à la fois futur, global et systémique, face à ces trois sources du Droit qui s'appréhendent pas ces trois dimensions à la fois. L'on mesure donc l'ampleur de l'innovation juridique requise pour qu'une source, ou plusieurs articulées, puissent se saisir du futur, du global et du système. C'est pourtant ce qui est en train de se produire.

En ce qui concerne les lois et réglementations, elles paraissent peu appropriées parce qu'elles sont par nature une limite territoriale, les traités internationaux étant très difficiles à négocier. L'intermaillage des règlements européens, par exemple la CSRD et la CS3D qui se font miroir, peut être plus efficace. En ce qui concerne les "engagements", notion qui en Droit demeure peu précise en dehors du contrat et des hypothèses de responsabilité📎!footnote-3568, les contrats sont surtout un moyen pour les entreprises d'exécuter leurs obligations légales et un contrat suppose toujours un juge. Or, à première vue le Juge est le moins bien placé pour répondre aux "défis climatiques", notamment en France où on le dit ou on le veut sans pouvoir, où il statue sur le passé et où, surtout le juge civil, il tranche un litige ponctuel entre deux parties singulières.

Mais un changement majeur est intervenu par l'émergence d'une nouvelle branche du Droit : le Droit de la Compliance, branche téléologique du Droit dont la normativité juridique est logée dans les Buts Monumentaux📎!footnote-3572 qu'elle poursuit, à savoir la préservation des systèmes, par exemple le système climatique. En France la loi dite "Sapin 2" en 2016, puis la loi dite "Vigilance" en 2017, l'illustrent. Or, le Juge y est au centre.

Dans cette perspective globale, systémique, extraterritoriale et dont l'objet est le futur, le Droit de la Compliance étant d'ailleurs rejeté par de nombreux juristes, l'innovation législative est majeure. En effet, la loi du 27 mars 2017, dite "Vigilance" a désigné les grandes entreprises, parce qu'elles sont "puissantes", parce qu'elles sont "en position d'agir" pour "détecter et prévenir" les atteintes à l'environnement et aux droits humains. La loi de 2017 a recopié les "outils de compliance"📎!footnote-3573 mis en place par la loi Sapin 2 contre la corruption : cartographie des risques, plan, alerte, audit, enquêtes internes, etc. 

Sont sujets de droit uniquement les grandes entreprises puisqu'elles sont seules en position d'agir, ici les "sociétés-mères ou les entreprises donneuses d'ordre", et les frontières ne sont plus des limites puisque l'obligation, créant une responsabilité personnelle de l'entreprise📎!footnote-3574, se prolonge tout au long de la "chaine de valeur". Un "contentieux systémique" émerge devant le juge. Le Tribunal judiciaire de Paris en a la compétence exclusive. La législation européenne se construit plus difficilement car si l'obligation d'information sur ces sujets "extrafinanciers" sont obligatoires (CSRD), la directive sur le devoir de vigilance qui vient d'être adoptée ne va pas plus loin que la loi française de 2017.

Sur le deuxième point, à savoir celui des engagements, nous n'en sommes qu'au début. En effet, les juges ne transforment pas les propos ou les déclarations éthiques en "engagements juridiques unilatéraux" et la vigilance ne transforme pas le Droit des sociétés en cogestion des entreprises. Mais les contrats forment un intermaillage global par lequel les entreprises ajustent leurs diverses obligations légales. C'est ainsi que les arbitres, les seuls "juges globaux", vont bientôt entrer dans ce contentieux systémique📎!footnote-3575 et la jurisprudence est d'une façon plus générale à venir sur les "contrats et clauses de compliance"📎!footnote-3576.

Mais le plus innovant vient sans doute de la part des juridictions. Peut-être parce que c'est de là où l'on s'y attend le moins, le juge civil du fond, que vient l'imagination mais aussi la garde des grands principes de l'État de Droit car pour l'instant la jurisprudence est raisonnable. Cette innovation n'est pas venue proprio motu : les juges ne se saisissent pas, ce sont les ONG qui mènent une sorte de politique contentieuse, en mettant en demeure systématiquement les grandes entreprises énergétiques, mais aussi les grandes banques et les grands assureurs sur les questions climatiques en alléguant la non-conformité de leur plan de vigilance. Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris doit alors apporter des réponses dans des contentieux systémiques, dont le cas dit "Total Ouganda"📎!footnote-3577 est un exemple.

Les juridictions font preuve de beaucoup d'innovations. Le juge des référés du Tribunal judiciaire a nommé des amici curiae📎!footnote-3569, la Cour d'appel de Paris a institué une chambre spécialisée📎!footnote-3570, des conférences de formation se sont mises en place sur ce "Contentieux Systémique Emergent"📎!footnote-3571.

En conclusion, le Droit est en train de se reconstruire à travers une nouvelle branche du Droit, le Droit de la Compliance, dont l'objet même, prolongement et dépassement du Droit de la Régulation📎!footnote-3578, est la préservation des systèmes, notamment le système climatique, dans un office du juge profondément renouvelé📎!footnote-3580.

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1

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Ce qu'est un engagementin 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕L'Obligation de Compliance, 2024.

3

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, 2021.

5

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕L'Obligation de Compliance, 2024, dont un chapitre est consacré à "L'arbitrage international en renfort de l'Obligation de Compliance".

6

🕴️M.-A. Frison-Roche📝Contrat de compliance, clauses de compliance, 2022 ; 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Compliance et Contrat, 2024.

8

🕴️N. Cayrol, 📝L'amicus curiae, mesure d'instruction ordinaire, 2022.

9

Sur la création de la nouvelle Chambre 5-12, Contentieux émergent – Devoir de vigilance et responsabilité écologique v. 🕴️J. Boulard, 💬Contentieux systémique : "Il est important, pour les magistrats, de rester au plus près des réalités", 28 mars 2024; 🎤Discours du Premier Président. Audience solennelle de rentrée, 15 janvier 2024.

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🕴️M.-A. Frison-Roche💬"Nous voyons émerger aujourd’hui le contentieux systémique", 28 mars 2024 ; 🕴️M.-A. Frison-Roche, Coordination et animation du cycle de conférences-débats 🧮Contentieux Systémique Émergent