5 avril 2015
Publications
Droit et Marché à première vue ne sont pas sur le même plan, l'un étant une construction, une invention humaine, l'autre étant des marchés. Mais depuis le XVIIIième en Europe, l'on a pareillement institué, donc inventé le "Marché".
Ces deux institutions ont un rapport dialectique, puisque c'est par le droit que le Marché a été construit. La puissance des institutions dépend de ceux qui les construisent mais surtout de la foi de ceux qui les contemplent. Or, si le Droit a construit le Marché, aujourd'hui la foi se tourne vers le Marché et la croyance d'une loi qui lui sera proche et naturelle le rend universel, transportant avec lui sa "petite loi" juridique qu'est le contrat et le juge qui y est inclus, l'arbitre.
Plus encore, parce tout cela n'est qu'affaires humaines et donc affaires de pouvoir, la place de l'Institution qui fût celle de la puissance, tirée de sa source, par exemple le Peuple Constituant, est en train de descendre en-dessous de ce qui est là, c'est-à-dire le fait. En effet, que peut-on contre un fait ? Seul Dieu, et donc une Assemblée parlementaire par exemple qu'il est aisé de destituer, peut prétendre lutter contre un fait. Or, le Marché est aujourd'hui présenté comme un fait, tandis que ce qui le gouvernent seraient des phénomènes naturels, comme l'attraction entre l'offre et la demande, le fait d'offre ce qui attire, le fait de demander ce que l'on désire. Dès lors, seul Dieu, souvent brandi avec grande violence, peut prétendre encore dire quelque chose contre cela.
Aujourd'hui, Droit et Marché sont face à face. Curieusement les juristes sont assez taisant, peut-être sidérés de la destitution du Droit. Mais c'est la question de la Loi première qui est en jeu. Dans l'esprit occidental, depuis la pensée grecque l'on a pensé le sujet et la personne comme étant première, c'est-à-dire posée sans condition. Si on pose comme loi première l'efficacité de la rencontre des offres et des demandes, le monde a changé. Un monde sans Personne, avec des êtres humains plus ou moins attrayant, plus ou moins demanding , le monde des puissances ayant remplacé le monde de la volonté égale de tous. La technique devient la préoccupation première. Le droit qui était "art pratique" et les lois faites pour l'homme, devient une technique et les juristes se devront alors d'être neutres.
Depuis quelques décennies, Droit et Marché sont donc face-à-face (I), mais le Marché semble en passe de dominer parce qu'il est en train de quitter le statut inférieur d'institution pour accéder à celui, universel, de fait (II). L'enjeu devient alors de mesurer les effets d'une telle évolution et de déterminer, si le Droit devait s'effacer, quelles normes viendrait le remplacer (III).
20 mars 2015
Publications
Le 18 mars 2015, Conseil constitutionnel a rendu sur QPC la décision M. John L.. et autres, que chacun va appeler "la décision EADS".
Il est clair que le cumul de poursuite à la fois pour manquement d'initié et pour délit d'initié est déclaré non-conforme à la Constitution. Enfin.
La question pertinente est celle de la portée de la décision.
La lecture de la décision montre que sa portée est considérable. En effet, la jurisprudence jusqu'ici, Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel confondus, affirmaient per se qu'une sanction administrative ete qu'une sanction pénale n'ont pas la même nature.
Or, dans la Décision EADS, c'est fini : le Conseil constate que délit d'initié et manquement d'initié ont la même nature. Dès lors, le cumul n'est pas possible.
Il va falloir pour tous les autres cas, devant toutes les autres Autorités de concurrence et de régulation, examiner si la sanction administrative et la sanction pénale ont de fait la même nature ou non. Au cas par cas.
Le droit a donc changé le 18 mars 2015. Le Conseil constitutionnel montre que l'efficacité, socle de ces mécanismes de cumul, n'est pas tout et que les principes de procédure, par exemple non bis in idem, dès l'instant qu'il y a identité de nature, prévalent.
Accéder à l'article de presse.
Voir ci-dessous les liens pertinents vers les décisions et institutions citées citées.
Mise à jour : 20 mars 2015 (Rédaction initiale : 28 janvier 2015 )
Publications
La répression est indissociable de la façon de réprimer. C'est pourquoi les difficultés de procédure sont des révélateurs de problèmes de fond. Actuellement, le problème de fond mis à jour par les batailles autour des procédures de sanctions en matière financière est ce pour quoi sont faites les sanctions.
Pour le régulateur, la sanction est un outil parmi d'autres pour réguler les marchés financiers. La sanction, dans un continuum avec son pouvoir normatif, sont ses dents et ses griffes grâce auxquelles les marchés financiers se développent. Cette finalité de politique financière justifie une répression objective avec un système probatoire reposant souvent par présomption conduisant à imputer des manquements à des opérateurs dans certaines positions sur ou à l'égard des marchés. Le régulateur doit avoir cette carte en main et l'utiliser selon cette méthode.
Par ailleurs, s'il arrive que des personnes commettent des fautes reprochables et ressenties comme telles par le groupe social, il convient qu'elles soient punies, jusqu'à la prison. Seule la justice pénale est légitime à le faire, légitimement alourdie par la charge de prouver l'intentionnalité, etc.
Il faut distinguer ces deux catégories d'incrimination. C'est à partir de là que les deux procédures et les deux systèmes probatoires peuvent se dérouler en même temps, mais sur des incriminations différentes. Pour l'instant cela n'est pas le cas, car les "manquements financiers" ne sont que le décalque des "délits financiers", allégés des charges de preuve qui protégeaient la personne poursuivie et qui doit pour l'instant répondre deux fois.
Problème de procédure ? Non, problème d'incrimination, dont on ne sortira pas par des solutions procédurales, la plus hasardeuse étant de créer une nouvelle institution, la plus calamiteuse était d'affaiblir le système en supprimant une des voies de poursuites, mais en distinguant dans les incriminations qui sont pour l'instant redondantes.
Ainsi, la répression comme outil de régulation utilisée par le régulateur est au point, mais le véritable droit pénal financier demeure à consolider pour atteindre son objectif propre et classique : punir les fautes, y compris par de la prison.
C'est au législateur de remettre de l'ordre. Il est possible que la décision dite "EADS" du 18 mars 2015 rendue par le Conseil constitutionnel l'y pousse.
16 mars 2015
Publications
Références complètes : Frison-Roche, Marie-Anne, Les entreprises "cruciales" et leur régulation, in Supiot, Alain (dir.), L'entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, coll. "Les sens du droit", Dalloz, 2015, p.253-267.
Même si à première vue l'on ne régule que des espaces, il faut parfois « réguler l’entreprise ». Cela est impératif lorsqu’une entreprise absorbe l’espace tout entier, parce qu’elle est monopolistique ou parce qu’elle a pour projet de devenir le cœur d’un espace crucial, comme l’affirme Google. D’une façon plus générale, il faut repérer les entreprises « cruciales », dont les banques ne sont qu’un exemple, et organiser, au-delà de la supervision, la régulation directe de telles entreprises. Cette régulation doit alors prendre la forme d'une présence de la puissance publique et du Politique à l'intérieur même de l'entreprise, dans l'indifférence de la propriété des titres de capital.
Lire la présentation générale de l'ouvrage dans lequel l'article a été publié.
Accéder à la conférence du 12 juin 2014 et au working paper à partir desquels l'article a été rédigé.
11 mars 2015
Base Documentaire : Doctrine
Référence complète : Supiot, Alain (dir.), L'entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, coll. "Les sens du droit", Dalloz, 2015, 320 p.
Lire la 4ième de couverture.
Lire la table des matières.
Lire l'introduction d'Alain Supiot : L'entreprise face au Marché total.
Accéder à la contribution de Marie-Anne Frison-Roche : Les "entreprises cruciales" et leur régulation.
6 mars 2015
Base Documentaire : Doctrine
► Référence complète : J.-D. Bredin, "La loi, la mémoire et l'histoire", conférence à l'Académie morale et politique, 6 mars 2015.
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Evoque notamment :
Traite principalement la question de savoir si l'Histoire doit être enseignée par des "lois mémorielles", estimant qu'il s'agit d'un grand problème, car il y aurait une "obligation légale", en disant ce qui est bon ou mauvais dans la mémoire, et impliquant une "mauvaise conscience universelle" dont la France deviendrait de par la Loi le champion.
Cela pose alors la question de l'Histoire elle-même et de ses préjugés, car l'Histoire des historiens est emplie des idées politiques des historiens, les historiens classiques de la Révolution Française en étant un bon exemple, posant que l'Histoire libre de tout préjugé n'est pas possible mais la Loi ne peut pas plus dicter les programmes d'Histoire, l'objectivité pouvant être un objectif (citant alors Ricoeur et Duby).
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27 février 2015
Base Documentaire : Doctrine
Référence complète : Fulchiron, H., et Bidaud-Garon, C., Reconnaissance ou reconstruction ? A propos de la filiation des enfants nés par GPA, au lendemain ds arrêts Labassé, Mennesson et Campanelli-Paradiso de la Cour européenne des droits de l’homme, Rev. crit. DIP., 2015, 104 (1).
Les étudiants de Sciences-Po peuvent consulter l'article via le Drive, dossier "Bibliographie_Maternité de substitution".
21 février 2015
Blog
Le contrat de maternité de substitution, désigné souvent par le sigle "GPA", vend à la fois la mère et l'enfant, la mère consentant à se vendre afin que l'enfant auquel elle donne naissance puisse être emporté par ceux qui ont payé pour devenir ses parents, par la seul puissance du contrat qui concrétise leur "désir" d'enfant, leur "intention" d'être parent, leur "droit à l'enfant", leur "droit à la parentalité".
L'atteinte fondamentale que constitue ces contrats à la notion même de personnes, devenues des "choses" à la disposition d'autres personnes plus puissantes qu'elles, produit des surréactions. La loi adoptée le 20 février 2015 en Thaïlande, telle que le journal Courrier International , lui-même renvoyant à un article du Bangkok Post, en décrit le contenu, est une réaction à ce trafic. Mais il s'agit plutôt d'une "surréaction", car la seule solution est d'exclure radicalement ces contrats, alors que la loi thaïlandaise veut les "encadrer", les "réguler", en excluant de leur "bénéfice" les célibataires, les couples homosexuels et les étrangers.
Cette surréaction est un effet pervers. Elle montre encore plus la nécessité d'une prohibition claire et net, telle qu'elle continue d'être posée dans l'article 16-7 du Code civil en France.
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Lire les développements ci-dessous.
17 février 2015
Blog
À affaire célèbre, arrêt fameux.
Rendu le 17 février 2015, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'affaire Tapie" était très attendu.
On se souvient que la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 a estimé que lors de la cession des titres de la société Adidas, le Crédit Lyonnais avait commis des fautes dans le conseil qu'il devait au vendeur, le groupe Tapie, octroyant en conséquence une indemnisation à celui-ci pour un montant élevé.
Le CDR, structure privée de defeasance adossée à l'EPFR, structure de l'État, avait tenté plusieurs types de recours contre la sentence, dont un recours en révision. Pour réussir, celui-ci doit s'appuyer sur des "éléments nouveaux et déterminants". En outre, s'il s'agit d'un arbitrage interne (et non pas d'un arbitrage international), la Cour d'appel de Paris si elle accueille une telle voie de recours peut décider de se substituer au Tribunal arbitral et connaître de l'affaire au fond.
Le reste de l'arrêt peut paraître factuel, le dossier civil étant largement alimenté par le dossier pénal, puisque désormais une instance pénale en cours n'oblige plus le juge civile à suspendre le cours du procès qui se déroule devant lui et lui permet au contraire de puiser dans le premier dossier .
L'on se demande ainsi si l'on ait enfin à la fin de l'histoire. Ainsi en est-il de l'obligation ou non de Bernard Tapie de rembourser immédiatement les fonds reçus. Sans doute, puisque les parties sont remises en l'état du fait de la rétractation de la sentence. Dès lors, il lui faut bien rendre ce qu'il est censé n'avoir jamais reçu. Mais parce que l'arrêt ne lui ordonne pas expressément, ne va-t-il pas opposer une inertie contraignant les demandeurs à soit solliciter de la Cour une interprétation de son arrêt soit aller devant le juge de l'exécution ?
Mais l'arrêt contient également une discussion juridique de fond. En effet, suivant que l'arbitrage est "interne" ou "international", les règles de droit changent. C'est pourquoi les parties se sont beaucoup disputées à ce propos. La Cour d'appel de Paris choisit de qualifier l'arbitrage d' "arbitrage interne" : bien joué, puisque cela lui permet de trancher le litige au fond après avoir rétracté la sentence au titre de l'action en révision.
Mais la qualification est un art juridique contrôlée par la Cour de cassation. Après une longue évolution jurisprudentielle, le Code de procédure civile a fini par qualifier l'arbitrage international par l'objet sur lequel il porte : un "intérêt du commerce international". Est-ce le cas en l'espèce ?
17 février 2015
Interviews
L'arrêt de la Cour d'appel de Paris, saisie d'un recours en révision, est attendu pour le début de l'après-midi.
Le recours en annulation de la sentence arbitrale prononcée en faveur de Bernard Tapie contre le CDR a été rejeté par un arrêt précédant de la Cour d'appel, du fait d'une prescription de l'action.
Le recours en révision pourrait être déclaré recevable du fait d' "éléments nouveaux", condition de recevabilité de ce type de recours.
Ces "éléments nouveaux" pourraient être puisés par le juge civil (ici la Cour d'appel de Paris) dans le dossier en cours d'instruction par les magistrats dans l'instance pénale par ailleurs en cours.
Si l'action en révision est déclarée recevable, ce qui est un premier point, l'enjeu crucial est alors le suivant.
Soit, et c'est une question de fond, l'article est qualifié par la Cour d'appel de Paris, d' "arbitrage interne", ce qui autorise la Cour de statuer au fond sur le litige qui oppose depuis des années le groupe Tapie au Crédit Lyonnais. Mais cette qualification n'est en rien acquise.
En effet, le Code de procédure civile et la jurisprudence qualifie d' "arbitrage international" tout arbitrage qui met en cause les "intérêts du commerce international". Or, les titres cédés (les titres de la société Adidas) ne sont pas français. Les sociétés qui ont été utilisées pour le montage ne sont pas françaises. Seul le contrat de mandat donné à la banque ramène à des intérêts de droit français. Cela peut-il suffire à rendre l'arbitrage de "droit interne" ?
Si cela ne l'était pas, et beaucoup en doute, alors si les éléments sont suffisants pour ouvrir une révision qui anéantit la première procédure d'arbitrage, parce que l'arbitrage serait de nature internationale, la Cour d'appel de Paris ne pourrait pas pour autant statuer sur le fond.
Il faudrait alors que le Tribunal de commerce de Paris désigne de nouveaux arbitres. Une demande en ce sens a déjà été formée devant lui. Il a pour l'instant sursis à statuer.
Sauf à ce que la Cour d'appel de Paris, par exemple pour la bonne administration de la justice, pour des raisons d'ordre public économique, pour la protection de la place arbitrale de Paris, décide d'évoquer l'affaire, selon les principes généraux de la procédure. Pourquoi pas.
6 février 2015
Base Documentaire : 01. Conseil constitutionnel
15 janvier 2015
Conférences
Le droit prétend être un système autonome, produisant sa propre réalité, incontestable. Acte de langage, il est performatif, en cela souverain. La mondialisation le permet-elle encore ? Pourtant, le droit étant aussi une pratique sociale, soit il prend son objet comme limite (il ne peut dire qu’il fait jour la nuit), soit il prend son objet comme maître : le droit nazi établit la « loi du sang ». Aujourd’hui, l’économie est-elle la loi du droit ?
En outre, le droit n’est-il pas positif qu’une fois appliqué ? Dès lors, le droit recherche l’adhésion, par un discours qui séduit et balance les intérêts. Mais dans le même temps, le droit veut de plus en plus refléter la réalité. Sa première évolution l’éloigne de la vérité pour aller vers le consensus, la seconde prétend la rapprocher. Par exemple, qui décide de la filiation ? On en vient à douter que le Politique ou la morale aient encore une place dans le système juridique.
Avoir une première vue du programme.
Lire le programme général du colloque, Sous-détermination, incomplétude, incommensurabilité : la pensée des limites
Lire le Working Paper établissant les grandes lignes servant de base à la discussion
14 janvier 2015
Blog
Oublions un instant l'objet même de l'arrêt AZF et limitons la lecture à la question procédurale tranchée par l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 janvier 2015.
Celui-ci est très remarquable et mérite pleine approbation en ce qu'il affirme l'obligation des juges de respecter l'impartialité de l'institution juridictionnelle, mise à mal si les personnes qui ont à faire à elle peuvent établir un "doute objectif" concernant l'impartialité d'un juge.
A travers cette affirmation, c'est un jeu de présomptions, la principale étant la présomption de l'impartialité du juge, que la Cour de cassation établit, mettant en juste mesure les charges et les objets de preuve en la matière.
Lire ci-dessous un commentaire développé de l'arrêt.
17 décembre 2014
Base Documentaire : 02. Cour de cassation
17 décembre 2014
Base Documentaire : 02. Cour de cassation
3 décembre 2014
Organisation de manifestations scientifiques
3 décembre 2014, 15 h - 20 h
27 rue Saint-Guillaume, Amphi Chapsal
Sous la direction scientifique de Marie-Anne Frison-Roche et Marie-Jo Bonnet
Lire la problématique du colloque
Inscription pour une personne ayant un courriel et un identifiant la rattachant à Sciences Po
3 décembre 2014
Conférences
Cette intervention est la "vision d'anticipation" dans la session relative à L'intermédiaire entre la femme et les porteurs de projet d'enfant, dans le colloque La Maternité face au Marché, tenu à Sciences Po, le 3 décembre 2014.
Voir le programme du colloque.
Voir le diaporama de la présentation.
Voir la vidéo de la conférence.
Lire le working paper ayant servi de base à l'intervention.
Si on "imagine" le futur de la gestation pour autrui, l'on voit le développement des technologies et des entreprises, avec l'enrichissement de celles-ci grâce aux premières. Si l'on tire le trait, c'est un tableau très sombre qui se développe, dans lequel l'humain devient un produit de marché, pour le client solvable, tandis que l'humanité insolvable serait sortie du cadre.
Qu'on me dise que cela s'arrivera pas, qu'on me dise que je me trompe. Qu'on me dise que la logique dont tous les éléments sont déjà en train de fonctionner ne va pas se déployer. Dans le temps "classique", l'ordre du droit, l'ordre de la nature, l'ordre des moeurs et l'ordre du marché étaient articulés. Par des mouvements profonds, ces ordres deviennent des sous-jacents de marché, tandis que le droit lui prête son imperium ayant renoncé à sa juris-dictio. Dans ce monde empli de juristes et de contrats mais sans principes de droit, l'Humain nouveau est le premier bien de consommation de l'humain. Cela tient au fait qu'aurait disparu la Parole politique, le logos. Cela est la première puissance. Nous verrons à l'avenir si elle reste taisante ou si le Politique parle, c'est-à-dire dit ce qui doit être, parce que l'Humain ne doit pas l'objet prenant toutes les formes imprimées par les désirs dont il est l'objet. Nous verrons.
2 décembre 2014
Enseignements : Grandes Questions du Droit, Semestre d'Automne 2014
Les droits fondamentaux ont fait leur apparition dans le système juridique assez récemment, ne serait-ce que par rapport aux libertés publiques, par rapport auxquelles ils s'articulent, voire englobent de plus en plus. Les droits subjectifs naturels qu'ils constituent ont une nature difficile à déterminer, sans doute parce qu'elle évolua (I). En effet, l'on peut déterminer trois générations de droits de l'homme, pour reprendre cette expression "classique", correspondant à des strates historiques de textes, jouxtant plus ou moins des libertés, allant de prérogatives formelles à des revendications à la fois plus concrètes et moins effectives, pour aboutir à établir ce qui serait directement les droits des êtres humains. Cet humanisme, propre à l'Occident, serait ainsi le "droit commun" du système juridique occidental, qu'il soit de Common Law ou de Civil Law.
Dans une approche moins historique et plus analytique, il apparait que les droits fondamentaux se sont amplifiés et diversifiés, mais qu'ils butent plus que jamais sur la question de leur effectivité (II). L'on constate en effet un empilement de droits fondamentaux, aussi divers que foisonnants, qu'ils soient conçus de façon isolée ou dans une relation à autrui. Mais ce sont surtout développés les droits fondamentaux processuels, non plus serviteurs mais primordiaux par rapports aux premiers, autonomes et garants du système de droit. Face à cette accumulation, il convient de regrouper dans des catégories les droits fondamentaux, catégories qui sont à construire. Mais tandis que les droits fondamentaux continuent de devoir être pensés, il convient de les rendre en pratique effectifs. Or, on en est loin. Et plus ils sont splendides, moins ils sont effectifs. Ainsi, le plus magnifique des droits fondamentaux, le "droit au droit", qui réconcilie le droit subjectif et le droit objectif, quelle est son effectivité ?
1 décembre 2014
Interviews
Il s'agit d'un entretien avec les étudiants de Sciences po (Paris) travaillant sur le campus de Nancy.
Les questions portent sur les raisons d'avoir choisi le droit comme voie, sur le rapport avec les étudiants et sur les prises de position prises à l'occasion de l'enseignement.
1 décembre 2014
Publications
►Référence complète : Frison-Roche, M.A., Généralités sur le principe du contradictoire. Étude de droit processuel, coll. "Anthologie du Droit", LGDJ - Lextenso éditions, 2014, 221 p.
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►Reprint de Généralités sur le principe du contradictoire », Étude de droit processuel, Th. Paris II, 1988.
Cet ouvrage est l'édition d'une thèse d'État faite sous la direction de Jean Foyer et soutenue à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) devant un jury composé en outre de François Terré, de René Chapus, de Gérard Cornu et de Geneviève Viney.
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►Résumé de la thèse : L'idée principale est de soutenir que le principe du contradictoire est un principe simple et fondamental, sans lequel il n'y a pas de droit. C'est pourquoi il va de soi de l'étudier aussi bien en procédure civile qu'en procédure pénale, administrative ou arbitrale, pour prendre une perspective du "droit processuel" conçu par Motulsky. En effet, sans un juge qui écoute sans avoir déjà décidé la version des faits et du droit que lui présente celui dont la situation va être affectée par la décision qu'il va prendre, il n'y a pas d'État de droit.
Le principal bénéficiaire du principe du contradictoire, ce n'est pas tant la personne et c'est en cela que le contradictoire se détache des droits de la défense, c'est le juge. En effet, en accordant de l'importance aux versions contradictoires du fait et du droit qui s'entrechoquent devant lui, le juge perçoit plus exactement et plus justement le monde et l'usage qu'il doit faire du droit. Ainsi, le droit est mieux utilisé. En cela, l'on doit considérer que le principe du contradictoire est consubstantiel au Droit.
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25 novembre 2014
Enseignements : Grandes Questions du Droit, Semestre d'Automne 2014
Classiquement le droit protégea les êtres humains en les recouvrant du masque de la personnalité, posant ainsi les poser comme libres et égaux en droit. Le premier choc qui conduisit à démasquer juridiquement l'être humain afin de le protéger directement fût le constat après la seconde guerre mondiale que le nazisme avait pu se construire aussi sur le droit et précipiter les êtres humains dans l'abîme. Les droits étant alors affectés directement aux êtres humains, dont la titularité de droits ne pouvait plus être déniée puisqu'ils sont êtres humains, la concrétude apparut, c'est-à-dire le corps. Intervînt le second choc, à savoir les biotechnologies, rendant aptes à dégager des produits et éléments du corps sans blesser ou tuer. Mais si la personne est hors-marché, son corps l'est-il ? Cette concrétisation va conduire le droit à revenir sur des distinctions jusqu'ici relativement sommaires, comme celle faite entre le mineur et le majeur, ou encore entre l'homme et la femme. A partir d'une identité sexuelle, le critère biologique de l'identité, puis de la filiation, sont en train d'être remis en cause.
Cela accompagne ou traduit ce qui peut être un retournement juridique de situation, dont il n'est pas acquis qu'il soit favorable à tous les êtres humains. En effet, la pensée juridique de l'être humain se reconstruit sur la volonté, à partir de l'idée classique de la libre disposition de soi-même. Mais la personne juridique étant devenue "concrète", elle pourrait disposer de son corps dès l'instant qu'elle y consent. Le contrat devient la façon d'exprimer sa liberté. Il est aussi le mode de construction des marchés. Sont alors en train de se constituer des marchés des corps et des personnes désirés, le marché fonctionnant sur le désir. La Loi du désir, loi universelle, pourrait-elle transformer les uns en producteurs et les autres en consommateurs d'êtres humains, à travers notamment la prestation de gestation pour autrui ? Le transhumanisme, créant "l'être humain nouveau" achève-t-il la réification de l'être humain ?
21 novembre 2014
Base Documentaire : Doctrine
18 novembre 2014
Enseignements : Grandes Questions du Droit, Semestre d'Automne 2014
Il est essentiel de distinguer les personnes et les choses. C'est une distinction de base dans notre système juridique, les personnes étant "sujets de droits" et les choses étant "objets de droit". Mais cette distinction est aujourd'hui très incertaine. En effet, la notion de "personne" paraît artificielle, créée par le droit et donc disponible. En effet, est une "personne" ce qui est désigné par le droit comme un "titulaire de droits et d'obligations" (sujet de droits), comme peut l'être tout groupe accédant à la personnalité morale. Il est vrai que le droit va essayer de dépasser cette abstraction pour rapprocher cette notion de personne des êtres humains concrets qui sont jeunes ou vieux, hommes ou femmes, malades, etc. Mais on en reste à la distinction. Or, il est si efficace d'être une "personne", ne serait-ce que pour disposer des phénomènes qui sont mis par le droit dans la catégorie "chose" qu'il y a aujourd'hui de multiples prétendants pour accéder au statut juridique de personne. C'est le cas des animaux, ayant déjà gravi l'échelon de "l'être sensible", mais aussi la nature, les organisations étant depuis très longtemps des personnes morales (Etats, entreprises, etc.). Paradoxalement, c'est l'être humain qui fait les frais de cette évolution qui brouille pour l'instant la distinction entre les personnes et les choses, sans arriver à la remplacer par une nouvelle. En effet, l'être humain n'apparaît que très difficilement comme une catégorie autonome et suffisante du droit. Le masque de la personnalité étant tombé, le corps humain apparaît et sont remis en cause l'identité puisque l'apparence devient un critère, pour être aussitôt contestée au titre de l'identité sexuelle. En outre, la personne cessant d'être son corps, le droit se la représente comme ayant un corps, lequel devient une chose, dont elle dispose à volonté. Il s'agit tout d'abord de sa volonté, la personne disposant de son corps comme elle le veut. Puis, son corps, distancié d'elle-même, devient disponible, dès l'instant que la personne y consent (le consentement n'étant pas une notion assimilable à la volonté). Autrui peut alors en disposer par le consentement qu'en fait le "titulaire du corps". Le marché des corps s'organise ainsi. Les enjeux de l'avenir de ce qui fût la distinction entre les personnes et les choses sont donc cruciaux.
16 novembre 2014
Blog
On le mesure en lisant dans la presse du jour des histoires de personnes qui se réveillent à la morgue et se font entendre au fond du tiroir dans lequel on les a déjà glissées, l'acte de décès pourtant dûment rempli par le médecin.
Rappelons deux choses. En premier lieu, le droit est un système de langage, composé d'éléments artificiels, d'artéfacts. En second lieu, il établit des catégories juridiques, auxquelles il attache des régimes juridiques. A partir de là, il fonctionne en puisant dans la réalité concrète de la multiplicités des situations dont la variété est infinie : il les fait entrer dans les quelques catégories juridiques construites par la volonté du législateur, voire du juge, pour déclencher sur les réalité la puissance des régimes juridiques préétablies.
Ainsi, le mot "vivant" et le mot "mort" sont des mots juridiques, des catégories auxquelles sont attachés des régimes juridiques composés : les personnes décédées ne sont pas traitées comme les personnes vivantes. On dispose des premiers, on dresse un acte juridique public - l'acte de décès qui modifie l'état civil de la personne -, on enterre la personne, ses biens sont répartis par le mécanisme de la dévolution successorale. A l'inverse, la personne vivante va et vient, demeure maîtresse d'elle-même et de ses biens.
Il est donc essentiel de savoir si une personne est vivante ou morte. Mais qui fixe le critère du passage d'une personne de l'état d'être vivant à l'état de personne décédée ? Ce ne peut être que le droit. Pourtant, c'est une circulaire de 1968 qui a fixé cela, par référence à un élément biologique, l'état du cerveau (double encéphalogramme plat). Dans la pratique, les médecins vont plus vite : quand le coeur ne bat plus et que le corps est froid, ils informent que la personne est décédée. Le coeur et le cerveau, ce ne sont pas les mêmes organes. Le moment est différent. Il y a donc problème.
D'ailleurs, un journal relate que le 6 novembre 2014 une dame âgée dont le médecin, constatant l'arrêt de la respiration et des battements du coeur, avait signé l'acte de décès, s'est réveillée à la morgue. Certes, le cas se déroule en Pologne, mais il pourrait se passer ailleurs, tant l'image du "dernier soupir"
C'est pour faciliter le prélèvement d'organes. On en manque tant ... Et le droit, lorsqu'il déploie son pouvoir sur la plus importante des questions pour les personnes, à savoir leur passage d'être indisponible à corps disponible, se fait en toute discrétion. Il se fait aussi à un niveau peu élevé de la hiérarchie des normes. C'est une circulaire de 1968 qui fixa la définition de la mort et c'est un texte réglementaire qui a, à travers l'article R. 1232-1 du Code de la santé publique, en déploie la définition. Ne croyons pas que le plus important soit dans la Constitution...
V. par ex., Marais, A., Droit des personnes, 2014, n°42 et s., p.42 s.
15 novembre 2014
Blog
La question a été posée dans un cas d'école au Conseil constitutionnel, qui a nettement répondu dans sa décision du 14 novembre 2014, QPC, M. Alain L.
Même si le dispositif est aujourd'hui abrogé, son appréciation par les juges suprêmes vaut le détour.
Une loi du 23 juin 1941 a eu pour objectif de préserver l'art et l'histoire français. Le nationalisme se portait particulièrement bien à l'époque. Le dispositif était en deux temps. Dans un premier temps (article 1ier de la loi), l'État pouvait refuser l'autorisation de sortie du territoire de l'oeuvre, présentant un intérêt national d'histoire ou d'art. Puis, dans un second temps (article 2 de la loi), il pouvait retenir l'oeuvre pour lui-même, transférant la propriété de celle-ci à une personne publique, ayant six mois pour le faire après un refus d'exportation qu'il aurait prononcé, le propriétaire ne pouvant pendant ce délai céder le bien.
La QPC a porté sur cette seconde disposition en tant qu'elle porte atteinte au droit de propriété privée sans nécessité publique, violant ainsi l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, partie intégrante du bloc de constitutionnalité.
Le Conseil répond qu'effectivement si le refus d'exportation poursuit un objectif d'intérêt général, en revanche le droit de "retenir" ainsi le bien pendant six mois sans que le propriétaire ne puisse rien faire de son bien, puis l'appropriation forcée par une personne publique, alors que la décision d'empêcher l'exportation a déjà été prise ne correspond pas aux critères établissant une "nécessité publique".
On ne peut qu'approuver une telle décision. Tout d'abord, parce que sans doute le Législateur de 1941 avait quelques arrières-pensées en s'appropriant des oeuvres d'art que certains propriétaires à l'époque voulaient sauver de quelques griffes dans cette sombre époque. Le Conseil d'État qui a transmis la QPC et le Conseil constitutionnel ne peuvent pas ne pas y penser. Ensuite, l'art est aussi un marché. On peut porter atteinte à celui-ci et restreindre la circulation. Oui, mais le refus d'exportation suffit. Pourquoi restreindre les acheteurs ? La "nécessité publique" ne justifie pas l'expropriation.
Surtout pas en 1941, quand on songe aux personnes qui voulaient vendre leurs tableaux pour fuir. Préserver l'Histoire, c'est peut-être pour l'État français de l'époque les exproprier, c'est surtout pour les juges de 2014 de songer à cette réalité de l'époque.