21 février 2015

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La loi adoptée le 20 février 2015 par la Thaïlande pour "encadre" les contrats de mère-porteuse montre qu'on ne peut que les interdire

par Marie-Anne Frison-Roche

Le contrat de maternité de substitution, désigné souvent par le sigle "GPA", vend à la fois la mère et l'enfant, la mère consentant à se vendre afin que l'enfant auquel elle donne naissance puisse être emporté par ceux qui ont payé pour devenir ses parents, par la seul puissance du contrat qui concrétise leur "désir" d'enfant, leur "intention" d'être parent, leur "droit à l'enfant", leur "droit à la parentalité".

L'atteinte fondamentale que constitue ces contrats à la notion même de personnes, devenues des "choses" à la disposition d'autres personnes plus puissantes qu'elles, produit des surréactions. La loi adoptée le 20 février 2015 en Thaïlande, telle que le journal Courrier International , lui-même renvoyant à un article du Bangkok Post,  en décrit le contenu, est une réaction à ce trafic. Mais il s'agit plutôt d'une "surréaction", car la seule solution est d'exclure radicalement ces contrats, alors que la loi thaïlandaise veut les "encadrer", les "réguler", en excluant de leur "bénéfice" les célibataires, les couples homosexuels et les étrangers.

Cette surréaction est un effet pervers. Elle montre encore plus la nécessité d'une prohibition claire et net, telle qu'elle continue d'être posée dans l'article 16-7 du Code civil en France.

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Lire les développements ci-dessous.

 

Les juridictions et les Parlements ont posé que cette convention ne peut produire aucun effet de droit, est atteinte de nullité absolue : les êtres humains ne peuvent être vendus, les femmes et les enfants pas plus que les autres. Que les femmes y "consentent" ou non. Il est parfois si tentant, voire "nécessaire", par exemple pour nourrir ses propres parents, ou ses autres enfants, de se vendre, et de vendre cet autrui qu'est l'enfant.

Parce que les pratiques sont en train de déborder l'interdiction fondamentale faite à l'être humain par la Loi de disposer d'un être humain comme si celui-ci était une chose, les Parlements sont en train de se réveiller.

Par des lois que la sociologie désigne comme des lois "réactives", c'est-à-dire des lois faites à la fois d'un cas particulièrement scandaleux. Les "lois réactives" sont souvent exagérées, le conseil de la "plume tremblante" de Portalis n'étant pas dans la tête du Législateur qui surréagit.

En Thaïlande, l'on s'en souvient, un couple d'australien avait acheté un enfant sur commande. La mère était thaïlandaise, mais l'implantation d'ovocytes avait permis à ceux qui avaient payé pour cela d'espérer un enfant qui leur ressemblent : blanc, la mère-porteuse demeurant biologique par les multiples échanges y compris neuronaux pendant la grossesse . Comme souvent dans ces mécanisme d'implantation, deux enfants ont prospéré. A la livraison, c'est-à-dire à l'accouchement, la petite fille était "parfaite", mais le petit garçon s'est avéré être trisomique : le couple commanditaire déclara prendre l'enfant conforme et refuser l'enfant non-conforme. La mère qui avait porté l'enfant dit alors qu'elle élèvera cet enfant avec les autres enfants, parce qu'elle était sa mère.

En première surréaction, des dons affluèrent du monde entier pour aider  la jeune femme. En effet, elle avait confié n'avoir "consenti" à un tel contrat que pour nourrir ses autres enfants et qu'elle allait devoir en fait en nourrir et en élever un autre, et plus difficile sans doute, qu'elle le faisait de bon coeur mais que cela n'était bien étrange comme retournement.

Cela est une surréaction car le monde s'émeut a posteriori devant une telle situation et l'argent afflue. Alors que la situation est parfaitement normale : les "parents d'intention" veulent un enfant conforme à leur désir, tandis que la mère, qui n'a "consenti" que contrainte financièrement, prend l'enfant comme il vient.

Si les populations s'émeuvent, cela ne doit pas être d'une situation particulière, ici cette très jeune mère serrant dans ses bras le bébé atteint d'une maladie génétique, photo qui a fait le tour du monde, cela doit être de la situation générale : un contrat par lequel des personnes payent pour avoir un beau bébé, qui rejette le bébé "pas beau", lequel est gardé par sa mère qui a fait sa connaissance pendant les 9 mois de la grossesse.

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La Thaïlande elle-même a réagi en adoptant une loi le 20 février 2015.

En raison du caractère finalement banal du cas, le Parlement aurait dû réaffirmé que le corps humain est "indisponible" et que les femmes ne peuvent se vendre afin de pouvoir vendre leur enfant avant même sa conception, laquelle sera faite sur mesure puisqu'enfin dissociée de tout acte sexuel.

Le Parlement aurait dû affirmer que la réification de l'être humain est maximale, non plus seulement lorsque l'être humain est vendu mais lorsqu'il est fabriqué sur commande, après étude de divers catalogues proposés par les agences. L'achat d'enfants avant qu'ils ne soient "fabriqués" et le  contrôle de conformité à la "délivrance" - le terme médical de l'accouchement rejoignant ici le terme juridique de la vente - est une atteinte à l'idée même d'Humanité, dont le droit est le gardien.

Mais le Parlement thaïlandais n'a pas fait cela.

Le Parlement a "réservé" la GPA aux seuls couples dont l'un au moins est thaïlandais. Dans la mesure où le couple homosexuel n'est pas pour l'instant reconnu par le droit thaïlandais, cela conduit à insérer dans le droit deux conditions : la condition de nationalité mais encore la condition d'hétérosexuels du couple demandeur.

Comme c'est se tromper de cible. Comme cela est reprochable.

Comme si ces questions fondamentales pour la civilisation de la protection des femmes et des enfants, de protection de l'être humain, avaient un rapport avec le caractère hétérosexuel ou homosexuel du couple. 

En exigeant un couple "hétérosexuel", le Parlement désigne des responsables de la construction par les agences d'un marché des femmes et des enfants, qui seraient les homosexuels, ce qui est faux et constitue une législation homophobe, tout à fait condamnable.

Comme si ces questions fondamentales pour la civilisation de la protection des femmes et des enfants, de protection de l'être humain, avaient un rapport avec le fait pour les commanditaires d'être en couple ou non.

En exigeant que les hétérosexuels soient en "couple", le Parlement conçoit implicitement la GPA comme un mode palliatif de stérilité du couple, auquel cas cela serait admis. Mais le fait de ne pas "pouvoir" avoir d'enfant alors qu'on en désire ne saurait donner un privilège tel par rapport à d'autres personnes qui en désire et sauraient tout aussi bien élever l'enfant. Plus encore, la "stérilité", critère sous-entendu, ne saurait justifier l'atteinte que ces contrats constituent par rapport à ce qui doit demeurer l'indisponibilité de l'être humain.

En exigeant que l'une des personnes du couple soit de nationalité thaïlandaise, le Parlement veut lutter contre ce que l'on appelle souvent le "tourisme procréatif". Certes. Le Législateur va juste rendre celui-ci plus coûteux. Ceux qui veulent acheter des femmes et des enfants vont devoir tout d'abord épouser la mère. C'est un coût supplémentaire. Mais un beau bébé n'a pas de prix, justifiant bien la constitution d'un marché connexe à celui des esclaves et de la fabrique sur-mesure d'enfants : le marché connexe du mariage.

 

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