Jan. 11, 2014

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L'Ordonnance du Conseil d'Etat du 9 janvier 2014 "Dieudonné M'Bala M'Bala" fait-elle progresser le droit ?

by Marie-Anne Frison-Roche

Peut-être est-ce la surréaction de l'actualité et des médias qui conduit à des réactions très vives, souvent de personnes non-juristes et n'ayant lu ni l'Ordonnance du Conseil d'Etat, ni les textes de droit applicables, la jurisprudence précédente, etc., qui soit approuvent sans partage, soit considèrent que le Conseil d’État s'est perdu en perdant toute indépendance par rapport au Ministre de l'Intérieur en piétinant au passage la liberté d'expression. En effet, alors que le Tribunal administratif de Nantes, par Ordonnance du 9 janvier 2014 avait annulé l'arrêté d'interdiction du spectacle de Dieudonné, le Conseil d’État 4 heures après annule l'Ordonnance du juge au nom de la perspective de troubles à l'ordre public et en invoquant le principe de dignité. C'est certes donner satisfaction au Ministre de l'Intérieur qui l'avait saisi, puisque le Ministre est l'auteur de la circulaire incitant les maires et préfets à interdire les spectacles de Dieudonné. Mais c'est aussi donner un sens à ce qu'est un "référé-liberté", qui n'a de raison d'être que si les actes juridictionnels sont pris dans un temps très courts et c'est donc conférer de la substance à la notion de dignité de l'être humain. C'est pourquoi pour ma part je trouve que le droit, dans un rapport à la justice dont il ne doit pas jamais se séparer, est bien servi.

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Dieudonné M'Bala M'Bala, plus connu sous son nom d'artiste de "Dieudonné" donne régulièrement des spectacles, au cours desquels il tient des propos antisémites. Ce sont des spectacles humoristes et satiriques.

Il donne ces spectacles dans un théâtre parisien . Ainsi, notamment au cours de l'un de ses spectacles, il a évoqué le nom d'un journaliste juif et semble avoir fait une corrélation à son propos avec ce qui serait un regret du fait qu'il n'y ait plus de chambre à gaz.

Par ailleurs il met en doute l'ampleur des crimes nazis.

Enfin, il prend parti contre Israël et en faveur de la cause palestinienne.

Ainsi, l'on peut considérer que sur le premier terrain, il est antisémite, sur le deuxième, il est négationniste, sur le troisième, il est "antisioniste".

Sur le terrain du droit, le fait d'être violemment contre Israël et très favorable d'une façon militante à la cause palestinienne relève de la liberté politique,de la liberté d'opinion et de la liberté d'expression.

En revanche, des comportements antisémites sont passibles de sanctions civiles et pénales. Plus particulièrement, le fait de nier les crimes contre l'humanité commis par les nazis, le négationnisme, a été incriminés par la loi du 13 juillet 1990 (dite  Loi Gayssot). Le fait donc de nier leur existence est un délit, qui justifie des sanctions pénales, prononcées par un tribunal correctionnel.

Dieudonné a déjà fait l'objet de multiples condamnations pénales, en raison de comportements qui ont été qualifiés par les tribunaux pénaux comme étant des comportements antisémites. Ces condamnations ont pris la forme d'amendes. Celles-ci n'ont jamais été payées par le condamné, celui-ci affirmant être insolvable.

Par ailleurs, il affirme qu'il est libre de faire des choix religieux personnels, qu'il est libre d'avoir des opinions politiques publiques, qu'il ne met pas tant en cause les juifs mais qu'il critique le "système" du pouvoir et des élites dont le peuple est victime, système dans lequel les juifs ont partie prenante. Ainsi, pour se moquer du système, comme peut et doit le faire tout humoriste satirique (comme le faisait Pierre Desproges par exemple), il ne peut pas ne décrire la situation des juifs dans la banque et l'establishment notamment car cela serait l'empêcher de se moquer du "système".

Ainsi, sous couvert de lutte contre l'antisémitisme, c'est bien le système lui-même et ceux qui en profitent au détriment du peuple, qui cherche à écraser et à faire taire celui qui le dénonce, le système et ceux qui en font partie. Grâce à l'artifice de la lutte contre l'antisémitisme, c'est la liberté fondamentale de la liberté d'expression qui est attachée, c'est-à-dire le socle de la démocratie.

 

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Le phénomène Dieudonné prend une nouvelle ampleur lorsque cette revendication d'une "pensée anti-système", distincte d'un antisémitisme reprochable, prend la forme d'un geste de reconnaissance et de revendication : la "quenelle", qui semble être un mixte de salut nazi coupé par un bras d'honneur. La nouveauté du geste ne le rend pas automatiquement illicite, le bras d'honneur si peu civilisé soit-il n'est pas non plus illicite, le croisement des deux accroît la revendication d'une pensée "anti-système" (bras d'honneur fait à la société telle qu'elle fonctionne actuellement).

La propagation de ce geste dans de nombreuses circonstances, les troubles autour des spectacles, l'inexécution des condamnations pénales multiples, la population grandissante de Dieudonné et l'annonce par celui-ci d'une tournée prochaine dans toute la France d'une tournée d'un nouveau spectacle "Le mur" fait que le Ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, prend une circulaire s'adressant aux préfets et aux maires pour leur rappeler les pouvoirs dont ils sont titulaires.

Les circulaires ne pouvant pas avoir de portée contraignante, ce texte n'a pour enjeu que d'expliquer et d'inciter ceux-ci à prendre des arrêtés d'interdiction des spectacles un à un programmés dans les villes concernés.

L'artiste et sa société de production programment un spectacle pour le 9 janvier 2014 au Zénith de Nantes. Le 7 janvier 2014, le préfet de la Loire-Atlantique prend un arrêté d'interdiction.

L'artiste et la société Les Productions de la Plume forment immédiatement une requête, enregistrée le même jour au Tribunal administratif de Nantes, dans une procédure de référé-liberté, pour obtenir la suspension de l'arrêté d'interdiction, pour que le juge enjoigne au préfet de laisser se dérouler le spectacle.

L'audience de référé débute le 9 janvier à 10 heures du matin. A cette heure-là, 90% des places disponibles ont déjà été vendues pour le spectacle programmé pour le soir-même.

A midi, l'audience est levée. A 14 heures, le Tribunal administratif de Nantes rend l'Ordonnance de référé qui suspend l'exécution de l'arrêté d'annulation du spectacle.

L'Ordonnance se réfère à l'article L.521-2 du code de justice administrative qui permet au juge d'ordonner "toute mesure nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale" à laquelle  une personne de droit public aurait dans l'exercice de ses fonctions fait "une atteinte grave et manifestement illégale". Ce texte dispose que le juge doit statuer dans les 48 heures.

Le juge relève que l'interdiction repose ici sur le fait que le spectacle comporte "des propos injurieux à l'encontre des personnes de religion ou de culture juive, incitant à la haine raciale et à des expressions apologétiques de l'exterminations des juifs pendant la seconde guerre mondiale", ce qui constitue "en soi-même" un trouble à l'ordre public "en raison de l'indignité et du trouble des consciences que ces propos provoquent" et sur le fait qu'il est de nature à créer de "sérieuses difficultés au maintien de l'ordre aux abord de la salle...".

Mais le juge rappelle que, de par la loi, la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique.

Il considère "qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure destinée à prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières interdire un spectacle qui, pour l'essentiel, porte atteinte à la dignité humaine";

Il considère que "aussi ambiguë que soit l'affiche retenue pour le spectacle de M. M'Bala M'Bala au travers d'une gestuelle connotée, elle ne saurait suffire à faire regarder ce spectacle comme portant atteinte à la dignité humaine" ; que s'il est vrai que des propos choquants et provocants ont été tenus lors des spectacles qui ont eu lieu et peuvent relever de qualifications pénales car leur présentation excède la liberté d'expression, il n'est pas établi que le spectacle ait été construit sur eux ni qu'ils en constitue la partie essentielle. Le juge en déduit que le principe de dignité humaine n'est pas violé.

En second lieu, les pouvoirs de polices doivent être exercés dans des mesures nécessaires par des interdictions justifiées par des troubles qu'il s'agit de prévenir, l'atteinte faite à la liberté devant être proportionnée à la nécessité de prévenir ces troubles. Or, s'il est vrai que les comportements passés de M. M'Bala M'Bala ont été pénalement sanctionnés, il n'est pas acquis qu'il va commettre les mêmes infractions dans le spectacle programmé, et qu'il faudrait sinon prendre des dispositions pour qu'elles soient constatées et poursuivies devant les juridictions pénales. Il est certes possibles que des manifestations aient lieu autour de la salle mais il doit possible pour le préfet de prendre des dispositions pour assurer le maintien de l'ordre public, mesures moins radicales que l'interdiction.

C'est ainsi que l'Ordonnance du Tribunal administratif de Nantes estime que l'arrêté préfectoral du 7 janvier 2014 qui interdit la tenue du spectacle Le Mur constitue une atteinte grave à la liberté d'expression, qui n'est pas ici justifiée, et qui doit être suspendue.

 

Le Ministre de L'Intérieur ayant perdu forme alors un recours. Puisque nous sommes en référé, le spectacle étant programmé à 20 heures, l'Ordonnance de suspension ayant été rendue à 14 heures, soit le recours était examiné dans l'après-midi, soit il était inutile de le former, seule une instance au fond, donnant lieu à un jugement dans un ou deux ans devant alors être attendu.

Le Ministre obtient un audiencement à 17 heures devant le Conseil d'Etat, compétent pour connaître en la forme des référés des recours en matière de référé-liberté.

L'Ordonnance du Conseil d'Etat est rendu le 9 janvier 2014 à 18h30.

Le Ministre soutient que le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a entaché son Ordonnance d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que les troubles à l'ordre public susceptibles d'être provoqués par le spectacle programmé n'étaient pas suffisants pour justifier une interdiction.

 

Le Conseil vise avant toute chose trois arrêts qu'il avait rendu au fil de sa jurisprudence : l'arrêt du 19 mai 1933, Benjamin, l'arrêt du 29 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge (dit du Lancer de nain et l'avis du 19 février 2009, Mme Hoffman-Glemane.

Le Conseil d'Etat commence par poser que "l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés".  Il souligne que les atteintes qui lui sont faites "doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées".

Il relève que le préfet a pris en compte que le spectacle "tel qu'il est conçu"", contient des propos antisémites, incitant à la haine raciale et font, "en méconnaissance de la dignité humaine", l'apologie des "discriminations, persécutions et exterminations perpétrées pendant la Seconde Guerre Mondiale", que le préfet souligne en outre, que Dieudonné a été condamné 9 fois au pénal pour des propos de même nature, que le préfet fait état de réactions à la perspective du spectacle du 9 janvier qui "font apparaître, dans un climat de vives tensions, des risques sérieux de troubles à l'ordre public qu'il serait très difficile aux forces de police de maîtriser".

Le Conseil estime que la réalité et la gravité de ces risques sont établis

Il estime qu'au regard du spectacle prévu et annoncé, "les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves  atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine.

Il souligne enfin que l'autorité administrative doit prendre des mesures pour éviter la commission d'infractions pénales.

Ainsi, le préfet en exerçant son pouvoir de police administrative n'a pas commis d'illégalité grave et manifeste.

Dès lors, le Conseil d'Etat, par une Ordonnance du 9 janvier 2014, annule l'Ordonnance du Tribunal de Nantes du même jour.

 

 

 

I. LE SOUCI DE L'EFFECTIVITÉ DU DROIT PAR LA RAPIDITÉ PROCÉDURALE

Le droit est un art pratique. Il ne sert à rien s'il est bien élaboré, finement rendu mais ne prend forme qu'après la cristallisation des situations qu'il a vocation à régir.

Ici, l'exemple est parfait : 9 condamnations pénales et aucun effet produit. Dieudonné ne paye rien, puisqu'il a organisé son insolvabilité. Cela ne diminue pas son train de vie, puisque son argent est confié à des tiers et placé dans ces pays avec lesquels nous n'avons pas d'entre-aides efficaces ou rapides.

Ainsi, parce que les juges n'ont pas le courage par ailleurs de le mettre en prison, de crainte d'être qualifiés de liberticides, le droit pleut sur lui comme sur un canard. Il peut continuer comme si de rien n'était, comme si l'interdiction pénale de propos antisémites, de négationnisme et d'incitation à la haine raciale ne coûtait rien.

Dès lors, comment dans l'esprit des personnes, la haine ou le mépris du droit ne pouvait-il pas venir ? Quand une personne peut méconnaître le droit quand que de fait il ne lui arrive rien ?

Arrive la programmation d'un spectacle, dont l'affiche reproduit le geste de la "quenelle", dont la question est seulement de savoir si cela n'est "que" un salut nazi inversé ou bien un geste plus globalement "anti-système".

La première réaction juridique est l'adoption par le Ministre de l'Intérieur d'une circulaire à la direction de ses préfets, qui sont à ses ordres et qui sont sur place dans chaque département et dans chaque région pour le maintien de l'ordre.

La circulaire n'a pas de portée normative, elle indique aux préfets - et pour information aux maires - dans quelles conditions ils peuvent faire usage de leurs pouvoirs de police administrative. La circulaire leur rappelle que les spectacles sont certes le lieu de la liberté d'expression, dont la liberté artistique est une forme, mais qu'il peut y avoir des limites. Que ces limites peuvent être sanctionnées a posteriori. Mais qu'il peut aussi arriver qu'il faille intervenir a priori, c'est-à-dire avant la tenue d'un spectacle.

Lorsque le titulaire du pouvoir de police administratif intervient a priori et utilise son pouvoir d'interdiction, comme le fit le préfet de Loire-Atlantique, le Code de justice administrative organise une procédure spécifique de "référé-liberté". Il s'agit d'une procédure accélérée. Le droit de faire un recours contre l'arrêté préfectoral est un droit de l'homme, la déclaration de 1789 dit même que sans recours "il n'y a point de Constitution".

Le juge, ici, le tribunal administratif de Nantes, est saisi immédiatement, et doit statue dans les 48 heures.

Il rend son Ordonnance le jour même du spectacle programmé, à 14 heures. Le spectacle est à 20 heures. Les spectateurs vont sans doute arriver vers 19 heures.

La partie qui perd la procédure de référé a un droit fondamental à contester cette ordonnance devant le Conseil d'Etat.

Ici, soit on en reste à un certain formalisme juridique et l'on ne se soucie pas de savoir, par rapport à l'objet du litige, quand le Conseil d'Etat statuera. La question est de savoir si le spectacle doit ou non être interdit, mais peu importe que le Conseil d'Etat l'examine une fois que le spectacle se sera tenue, 3 jours après ...

Si l'on avait procéduralement fait cela, c'est admettre que le droit ne sert à rien.

En effet, en raison de la question qui se posait, puisqu'il existait un droit de contester l'Ordonnance du juge administratif de Nantes devant le Conseil d'Etat, il fallait que celui-ci rende une décision avant l'heure d'arrivée des possibles spectateurs. Sinon, cela n'était pas la peine d'avoir organisé dans notre système de droit un référé-liberté.

Le Conseil d'Etat l'a fait, sans doute en admettant un enrôlement rapide du dossier, un audiencement immédiatement de l'affaire, pas de mise en état. L'audience s'est ouverte à 17 heures, l'Ordonnance était rendue et disponible à 18h40.

Certains y ont vu la marque d'une complaisance à l'égard du Ministre de l'Intérieur, puisque celui-ci obtint ainsi immédiatement satisfaction. Mais l'on peut soupçonner de tout juge qu'il a voulu plaire à tout gagner.

Bien plutôt, même s'il avait donné raison à Dieudonné, il aurait fallu qu'il statue avant que les spectateurs ne se présentent et surtout avant que les autres spectacles programmés ne se mettent en place. En effet, sans l'intervention rapide et de fait normative du Conseil d'Etat, les divers tribunaux administratifs saisis, du fait de la volonté des différents maires d'interdire les spectacles, Alain Juppé à Bordeaux par exemple, et les saisines juridictionnelles auxquelles Dieudonné auraient procédé, auraient produit des jugements disparates. Il fallait donc que le Conseil d'Etat intervienne immédiatement pour donner le la.

Ainsi, la procédure qui, sous l'influence européenne, devient de plus en plus concrète, donne aucun un droit fondamental aux parties d'avoir une décision "en temps utile" (article 15 du Code de procédure civile) et grâce aux juges, les personnes bénéficient de plus en plus d'un droit effectif.

 

 

 

II. LA DIGNITE HUMAINE, LIMITE JUSTIFIANT EX ANTE L'ATTEINTE A LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

Dans la majorité des commentaires pour l'instant disponibles, qu'ils soient rédigés par des juristes ou non, l'Ordonnance rendue par le Conseil d'Etat est très critiquée au nom de la liberté d'expression.

Elle l'est d'une part d'une façon que l'on pourrait dire "savante", en ce que jusqu'ici le Conseil d'Etat n'avait jamais admis que l'on interdise un spectacle sur la présomption qu'il allait être antisémite, les trois cas visés par l'Ordonnance ne correspondant pas à la situation du "cas Dieudonné".

Elle l'est d'autre part d'une façon que l'on pourrait dire "principielle" (et du coup plutôt par des non- juristes, des politistes, des philosophes, des internautes, etc.), en ce que la liberté d'expression aurait dû être préservée, plus encore lorsqu'elle prend la forme de l'humour et de la satire, derniers refuge de la démocratie, le rire étant la marque de l'homme libre.

 

A. Les cas cités par l'Ordonnance du Conseil d'Etat sont-ils pertinents pour fonder la solution retenues par celui-ci ?

Le Conseil d'Etat a posé en tête de son raisonnement trois arrêts. Le premier est l'arrêt Benjamin du 19 mai 1933, qui visait l'interdiction qu'un maire avait prononcée d'une manifestation organisée autour d'un écrivain d'extrême-droite, Benjamin, du fait de très probables contre-manifestations. Or, le Conseil d'Etat annule l'arrêté car il estime que le principe est la liberté d'expression, qu'elle ne butte que sur la notion de trouble à l'ordre public dont le maire a en charge le maintien et qu'interdire la manifestation est une mesure disproportionnée au regard du principe de la liberté d'expression, qu'il aurait fallu plutôt prévoir des mesures de sécurité pour contenir ses éventuels débordements.

L'on mesure ainsi que l'arrêt de référence est très libéral, pose que le principe est la liberté d'expression, que ce qui lui est contraire a statut d'exception et doit se justifier par la menace à la probable survenance d'un trouble à l'ordre public et ne prendre la forme que de mesures proportionnées.

Le Conseil d'Etat entend bien partir de l'arrêt canonique, qui pose la liberté d'expression en principe. Il ne se réfère pas à toute la doctrine et jurisprudence sur les libertés que l'on peut prendre avec les personnes et les libertés des autres lorsque l'on est par ailleurs un artistes (mais Benjamin lui-même était un écrivain) et plus encore un humoriste. Il est vrai que cette qualification a surtout été prise en considération dans le cas des actions en diffamation, qui sont des actions pénales et pour lesquels c'est le juge judiciaire qui intervient a posteriori. Soit le Conseil d'Etat ne veut se référer qu'à sa propre jurisprudence, sans se soucier plus avant des nuances du droit pénal, soit il distingue les critères d'une punition ex post avec ceux d'une interdiction ex ante.

 

La deuxième référence posée en visa par le Conseil d'Etat est celle de l'arrêt dit du "lancer de nains", l'arrêt du 27 octobre 19995, Morsang sur Orge. C'est par cet arrêt que le Conseil d'Etat a fait évoluer sa jurisprudence. En effet, alors que les lois de bioéthique de 1994 n'avaient pas encore inséré dans le Code civil un article 16 visant le principe de "dignité de la personne", le Conseil a admis que ce spectacle, car la qualification était ici incontestable, consistant à utiliser des nains, consentants et rémunérés, ayant contractuellement consentis à se prêter au jeu, comme projectiles pour atteindre des cibles, pouvaient être interdits ex ante par le maire car contraires à leur dignité.

Cet arrêt peut effectivement servir de précédent (car la technique de précédent existe de fait pour asseoir l'autorité d'une décision). En effet, l'ordre public est "substantiellement" troublé, alors même qu'il n'y aurait pas de manifestations et de trouble, s'il y a atteinte à la dignité de la personne humaine.

En faisant référence à l'arrêt, le Conseil d'Etat indique qu'il se base donc sur le primat de la liberté d'expression (arrêt Benjamin), mais que l'ordre public dont le maire a la garde est défini substantiellement à travers la notion de dignité de la personne (arrêt Morsang sur Orge).

La difficulté tient alors dans la solidité de l'analogie entre l'atteinte à la dignité lorsque l'on lance des nains et l'atteinte à la dignité lorsqu'il est possible que l'on profère des propos antisémites, racistes et négationistes. En effet, dans le premier cas, il était acquis que des nains seraient lancés (c'est le principe même du spectacle : le "lancer de nains"), dans le second cas, cela n'était pas acquis, d'abord parce que Dieudonné soutenait que cela n'était pas le "coeur" du spectacle et ensuite parce qu'il avait dit qu'il s'abstiendrait de tenir ses propos et ferait le reste de son spectacle, lequel ne faisait donc plus problème, la présomption de licéité d'une chose non encore advenue devant donc lui bénéficier.

Ici, intervient une double appréciation, car n'oublions pas que nous sommes sur le terrain juridique de l'erreur manifeste d'appréciation qui peut seule entacher d'illégalité la décision de police administrative. En premier lieu, le préfet a estimé que, même s'il était moins net que l'antisémitisme était la structure même du spectacle alors que le lancer de nains était le spectacle même, s'il était moins net qu'il s'agisse d'un rassemblement politique plutôt qu'un spectacle alors que les réunions autour de Benjamin étaient des rassemblements de l'Extrême-Droite, il a considéré que cela était consubstantiel au spectacle.

En second lieu, le juge du recours, c'est-à-dire le Conseil d'Etat, pendant l'audience, a considéré que  l'affirmation à l'audience selon laquelle les propos antisémites et négationnistes ne seraient pas tenus le soir ne suffisent pas à éteindre la perspective d'atteinte à la dignité de la personne.

Ainsi, le Conseil a considéré que l'ordre public n'est pas seulement troublé par la perspective de manifestations (que l'on peut contenir par des moyens appropriés - arrêt Benjamin), mais encore par l'atteinte à la dignité (dont on ne peut arrêter le trouble que par l'interdiction).

Il faut donc considérer qu'il y a atteinte à la "dignité de la personne" lorsqu'il y a des propos systématiquement antisémites et négationnistes. Ce caractère systématique a été établi par le fait que l'artiste a été condamné 10 fois au pénal pour en avoir tenus dans ses spectacles, que le spectacle programmé et qui s'est déjà tenu à Paris en contient, et que sa promesse de les expurger pour le spectacle qui va se tenir dans 2 jours - puis 2 heures au moment de l'audience - n'est pas crédible non seulement en raison de sa personnalité mais encore parce que parce que sans ces propos le spectacle n'a plus d'ossature et s'écroule.

Il en aurait été différemment d'un spectacle qui aurait eu une structure autonome, dans laquelle se seraient logées, comme des piques, de tels propos, et à propos desquelles il y aurait promesses, et ce d'autant si celles-ci avaient été faites de la part de quelqu'un qui n'avait pas été condamné de multiples fois pénalement.

Mais ici, - et c'est tout le statut du futur en droit qui est en jeu -, le juge peut appréhender le futur : le spectacle ne peut se tenir qu'en intégrant de tels propos, parce que l'artiste est antisémite et négationniste (10 condamnations pénales, ce que souligne l'Ordonnance du Conseil d'Etat) et parce que s'il enlève la partie antisémite du spectacle, il n'y a pas plus de spectacle.

Ainsi, le préfet et le juge peuvent intervenir ex ante parce qu'en raison de ces circonstances très particulières, ils connaissent l'avenir, ce qui se passera s'il n'y a pas d'interdiction : à savoir, un spectacle comprenant la commission des délits que constituent des propos antisémites et négationnistes.

Quant à la dignité de la personne, notion qui se superpose ici sur le constat qui aurait été suffisant de la commission certaine d'infractions pénales, il ne s'agit pas comme on le dit dans beaucoup de commentaires d'une notion incertaine et non juridique.

Après l'arrêt Morsang sur Orge, les lois du 23 juillet 2009 ont inséré un article 16 dans le Code civil qui pose le droit de chacun à la dignité. De nombreux travaux juridiques ont été consacrés à la dignité de la personne. Ainsi,et parce que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a été souvent évoquée et qu'elle est également présente dans l'esprit des magistrats du Conseil d'Etat (que l'on a au passage qualifié d'ignorants alors qu'ils sont les auteurs d'ouvrages sur le droit européen des droits de l'homme, aussi bien Jean-Marc Sauvé que Bernard Stirn), la dignité de la personne est préservée par le droit même après la mort de celle-ci.

Si l'on cherche à résumer les textes, la jurisprudence et la doctrine, la dignité d'une personne, c'est sa reconnaissance par tous qu'elle est un être humain en tant que tel et quoi qu'il arrive, l'idée (occidentale) qu'en chacun réside l'Humanité toute entière dans sa liberté, sa rationalité et sa sensibilité. C'est pourquoi utiliser un être humain comme un projectile, parce qu'il est par la nature physique des choses de petite taille est une atteinte à la dignité car il n'est plus considéré comme un être mais comme un objet, de bonne dimension pour être lancé.

Ainsi, concrètement, dire que les chambres à gaz n'ont pas existé, que les juifs sont des parasites, etc, c'est les traiter comme des insectes, c'est nier dans le premier cas qu'on a exterminer des êtres humains comme on nettoie une charpente des termites qui l'auraient envahie. C'est une atteinte à la dignité.

A partir de la notion générale et abstraite de la dignité de la personne, c'est aux titulaires de l'autorité publique et aux juges, au cas par cas, de subsumer si les circonstances font qu'il y a dans la situation donnée une négation portée à une personne ou à une catégorie de personnes de leur statut même d'être humain. Par exemple pour en faire des objets (lancer de nains) ; par exemple pour en faire des parasites (antisémitisme).

Cela est relatif, puisque le droit dépend de la société dans laquelle on vit. Ainsi, ceux qui ont vu Le loup de Wall Street ont assisté à un lancer de nains, puisque le droit nord-américain, très libéral, ne veut pas d'obstacle à traiter des humains comme des choses. On y voit les puissants se demander comment rendre plus amusant le lancer, etc. Pourquoi pas ? Ce n'est pas notre culture juridique. La Seconde Guerre Mondiale nous a rendu sans doute moins amusants dans les soirées.

 

C'est pourquoi le Conseil d'Etat met en troisième visa de son Ordonnance l'avis qu'il rendit le 16 février 2009, Mme Hoffann-Glemane. Cet avis avait été sollicité par un juge administratif saisi par cette personne qui avait été déportée à Auschwitz avec son père et demandée au juge l'engagement de la responsabilité de l'Etat français à ce titre. Par cet avis, le Conseil d'Etat a affirmé que l'Etat français pouvait être déclaré responsable de déportations dans les camps de concentration.

Il est remarquable que le Conseil ait opéré ce visa, ait mis en place ce tryptique de trois décisions (l'avis étant donc qualifié de "décision"), car cela constitue implicitement une motivation.

En premier lieu est le principe de liberté d'expression auquel seul et par exception le trouble à l'ordre public peut justifier qu'une limite soit apportée (arrêt Benjamin), mais le trouble à l'ordre public peut se définir non seulement matériellement mais encore substantiellement (arrêt Morsang-sur-Orge) et l'Etat français est responsable sans prescription possible car ce sont des crimes contre l'humanité des déportations vers les camps nazis d'extermination (avis Hoffman-Glemanes).

Ces seuls visa permettent de déduire le reste de la décision.

 

B. La limite du principe même de la liberté d'expression

Les commentaires qui ont plu sur l'Ordonnance du Conseil d'Etat, généralement critiques, ont insisté sur le fait que le Conseil d'Etat avait piétiné la liberté d'expression et la liberté des artistes, en opérant une censure a priori.  Ils ont en outre insisté sur les effets pervers d'une telle décision, qui va exciter l'artiste pour lequel l'Ordonnance est une aubaine, une publicité gratuite et une incitation pour ces fans, qui découvrent au passage l'existence d'un dénommé Dreyfus, d'aller plus nombreux regarder ses prestations sur Internet.

 

1. Le sort de la liberté d'expression

La liberté d'expression vient en premier. Le Conseil d'Etat lui-même l'a affirmé, en se référant avant toute choses à l'arrêt Benjamin, qui a dans la jurisprudence du Conseil d'Etat la conception la plus libérale, et donc la plus restrictive, de la façon dont les titulaires du pouvoir de police administre peuvent exercer leur pouvoir d'interdiction.

En outre, on aurait pu surenchérir en affirmant que cette liberté d'expression prend une force particulière lorsqu'il s'agit d'artiste exerçant un métier satirique, selon l'expression "l'on peut rire de tout", et si l'on se souvient de Nietzche, l'affirmation selon laquelle le rire est le dernier refuge de l'homme libre.

Mais nous ne sommes pas aux Etats-Unis et la liberté d'expression portée par le 1ier amendement (qui connaît d'ailleurs aussi des limites) n'a pas la même puissance. Ainsi, l'incitation à la haine raciale ou l'antisémitisme sont prohibés en France, certains peuvent le regretter mais c'est ainsi et le Conseil constitutionnel l'admet.

Le Conseil d'Etat a mis comme limite à ce principe non pas le trouble matériel à l'ordre public (car alors il aurait suffi d'envoyer des policiers lors de la tenue du spectacle pour contenir les troubles), mais ce principe substantiel qu'est la dignité de la personne, évoquée précédemment.

Des commentateurs de l'Ordonnance ont protesté à propos du considérant n°6 en ce que  la dignité de la personne humaine y est présentée comme "consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen". Et de se gausser en disant aux conseillers d'Etat : "bandes de nuls, relisez vos textes, rien de tel n'est écrit, vous êtes vraiment des incapables".

Sans même aller chercher la querelle entre les "activistes" et les "originalistes" telle qu'on la trouve au sein de la Cour suprême des Etats-Unis, un texte juridique est vivant. Son sens se développe à partir de sa lettre dans l'application qui en est faite. Ainsi, les droits de l'homme au fil du temps se sont transformés, qu'on en soit content ou pas, en droits des êtres humains, précisément pour éviter les effets pervers du formalisme juridiques qui ferait des droits de l'homme des droits "vides". Ainsi, les droits de l'homme devenant les droits des êtres humains, la dignité de la personne humaine, des êtres concrets, morts ou vivants, est rétrospectivement contenue dans la déclaration de 1789.

D'ailleurs, le considérant n°6 vise plus largement (car on cite souvent d'une façon tronquée) : "le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes , notamment de dignité de la personne humaine, consacrées par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine".

Précisément, la tradition républicaine est de préserver les droits des êtres humains, concrets, ici et maintenant.

Le Conseil d'Etat veut que le droit soit effectif, ici et maintenant, pour les personnes concrètes.

Si l'on n'adopte pas cette conception pragmatique du droit, le droit ne sert pas à rien. Il regarde passer les trains, les personnes injurier les autres, piétiner les mémoires. Les juges arrivent quelques années après, pour prononcer deci-celà quelques amendes qui ne sont jamais payées de toute façon. Pour ma part, je ne veux pas d'un droit qui n'est garant des personnes que sur le papier. S'il doit y avoir quelques limites à la liberté d'expression, dans les conditions très strictes de l'arrêt Benjamin et à travers l'exception de l'arrêt Morsang-sur-Orge, il ne doit l'être que d'une façon effective.

 

 

2. L'argument des effets pervers de la sanction

C'est précisément sur le terrain de l'effectivité que se situent toute une autre batterie de critiques faites à l'Ordonnance.

En effet, il est affirmé que le Conseil d'Etat dans les faits s'est transformé en manager gracieux de Dieudonné et que grâce à cette publicité d'enfer, celui-ci pourra sur Internet, espace que le juge ne peut atteindre, faire tout ce qu'il veut, tandis que tous ses supporters lui enverront de l'argent afin que la lutte "anti-système" progresse.

N'allons pas même sur la discussion de savoir dans le cas précis d'où viennent les fonds dont dispose cette personne, qui sont les personnes qui font le regarder, etc.

Là aussi, le débat est classique.

De la même façon que l'on affirme que l'on devrait ne mettre aucune barrière à la liberté d'expression, permettre à quiconque à dire tout ce qu'il veut, appeler à l'extermination ou se louer de celles qui ont été faites, le sens critique de l'opinion publique suffisant à faire le tri entre le bon grain de l'ivraie, les français étant particulièrement fins et perspicaces et n'ayant pas à recevoir de leçons de juges incultes et prétentieux, l'on affirme que ceux-ci, qui sont de fameux crétins, encouragent le crime.

L'affaire n'est pas nouvelle.

Ainsi, lorsqu'on fait un procès à un criminel, cela crée des vocations.

Les serial killers ont pour motivation notamment le fait d'avoir un procès public qui les rendra célèbre avant leur exécution, le temps d'attendre celle-ci leur permettre de recevoir une multitude de demandes en mariage.

Les procès, les condamnations, le souffre, les condamnations comme moyens de se revendiquer comme victime, le droit présenté comme le bras armé d'un pouvoir ignoble, le juge plat serviteur du pouvoir en place, qu'on le dise dans un bar ou dans des revues de sociologie sous la plume de Pierre Bourdieu, sont des discours qui ont toujours prospéré, et qui consistent à nier le droit.

Nier le droit consiste à dire que du fait du caractère démocratique de l'Etat de droit, les punitions, les sanctions, les interdictions, etc., ne pouvant se faire sans droits de la défense, publicité et débat contradictoire, cela offre nécessairement un instant de gloire à celui qui doit répondre de ces agissements.

Le moyens d'éviter ces effets liés à l'Etat de droit, sous la forme de la procédure notamment, serait de faire taire le droit et d'admettre l'impunité.

Le veut-on ?

Quant à l'extension de ce qui va se passer sur Internet, là non plus la question n'est pas nouvelle. Pour prendre un exemple, Mein Kempft est interdit à la vente mais facile à trouver sur Internet. C'est un souci pour ceux qui pensent que l'idéologie itlérienne est une atteinte à la dignité de la personne humaine. Les moyens de lutter sont difficiles à mettre en place. Mais, là encore pour prendre un exemple, l'association "prévention de la haine" a passé un accord avec Facebook pour que les pages portant sur l'ouvrage comprennent un appareillage pédagogique minimal.

De semblables accords peuvent être trouvés concernant des spectacles antisémites ou négationnistes, en application de la jurisprudence judiciaire, là aussi très libérale et très protectrice des libertés, rendue par la Cour de cassation en 2011, DailyMotion.

Il convient donc d'arrêter de ricaner devant ce qui serait l'impuissance des juges et du droit, mais plutôt d'aider à l'effectivité du droit.

 

 

 

 

III. L'EXISTENCE D'UN DÉBAT

 

On doit se réjouir d'une chose : un débat se construit à propos du "cas Dieudonné".

En effet, lorsque la circulaire Valls a été prise, le professeur Danièle Lochaks a dès le 6 janvier fait un article dans Le Monde pour dire qu'elle doutait de sa pertinence juridique, article d'opinion mais article juridique citant la jurisprudence, etc. Cela est particulièrement remarquable car il est important que les universitaires s'expriment plutôt avant que les décisions ne sont prises qu'après, sous forme de critiques.

Pendant la journée du 9 janvier, des juristes et des non-juristes sont intervenus pour dire, suivant et leurs conceptions, et leurs connaissances - juridiques et non juridiques, si le Tribunal administratif de Nantes devait suspendre l'arrêté préfectoral, puis si le Conseil d'Etat devait annuler l'Ordonnance du Tribunal de Nantes. Leur discussion était facilitée par le fait que les propos d'audience étaient reproduits en direct via un blog d'Internet.

Après l'Ordonnance du Conseil d'Etat, Dieudonné M'Bala M'Bala a écrit que selon lui le Conseil d'Etat n'était pas impartial du fait que Bernard Stirn, président de la section du contentieux, est juif et descendant de Dreyfus (un inconnu de ses fans, qui sont allés vers des recherches sur Internet). Le vice-Président du Conseil d'Etat Jean-Marc Sauvé a immédiatement donné  un interview au journal Le Monde pour justifier l'Ordonnance et dire qu'il était scandalisé des propos tenus à propos du Président Bernard Stirn.

De nombreux professeurs de droit ont immédiatement commenté l'Ordonnance dans la presse générale, généralement en la critiquant - le plus souvent au nom de la liberté d'expression -, d'autres l'ont défendue. Certains ont écrit dans la presse juridique, par exemple au Dalloz qui a sorti un article du professeur Frédéric Rollin dans les 24 heures. Des billets de blog sont sortis immédiatement, souvent très critiques.

Ainsi, le professeur

Peu importe dans quel sens les juristes se sont exprimés, mais ils se sont exprimés. Ils se sont exprimés avant et après.

D'autant plus que la bataille juridique n'est certainement pas finie, Dieudonné ayant indiqué qu'il allait donner un "nouveau" spectacle.

On doit se réjouir grandement de cela, parce que les juristes estiment enfin en France qu'il est de leur devoir de participer très activement au débat lorsqu'un cas met au coeur de l'actualité une question de société : la liberté d'expression, la liberté artistique, l'antisémitisme, le rôle de la police et des maires, la dignité de la personne, la Shoah, le pouvoir du juge.

Que ne reviennent plus des tribunes écrites par des professeurs de droit et dont le titre était : Juristes, taisez-vous !

 

 

 

 

 

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