25 novembre 2018

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Un journal nous raconte comment un jugement vient d'être rendu aux Etats-Unis qui ordonne la libération d'un éléphant isolé dans un cage étroite, et cela sur le fondement de l'habeas corpus.

Le demandeur à l'instance est une association : "nonhuman rights project". Le demandeur au litige est un éléphant. Il est exact qu'en droit processus qu'on peut distinguer le demandeur à l'instance et le demandeur au litige.

Le demandeur à l'instance parle pour le demandeur au litige demande la libéralisation de l'éléphant qui est enfermé seul dans le zoo de New-York sur le motif suivant : "« Happy est un être autonome qui a évolué pour parcourir au moins 20 km par jour en tant que membre d’un grand groupe social multi-générationnel », et qu'elle parcourt pour l'instant 1 pour cent de l'espace naturel que connaît son espèce, tandis qu'elle ne voit plus aucun autre membre de son espèce.  

Le juge a été convaincu et a ordonné la libération de l'animal, pour qu'il retrouve un mode de vie correspondant à sa nature. Le juge le fait en application de l'habeas corpus , principe anglais et américain, qui interdit d'emprisonner toute personne sans justification. C'est une des principes les plus anciens et les plus fondamentaux du droit de Common Law pour protéger les personnes.

Il s'agira peut-être d'une libération pure et simple, puisque l'article raconte comment les personnes s'occupant des animaux dans ce zoo ont cherché à lui trouver d'autres éléphants pour lui tenir compagnie, mais cela fût un échec. Il s'agira peut-être de lui trouver un espace plus grand. Peut-être de la remettre dans la nature, d'où elle fût extraite lorsqu'elle était encore éléphanteau.

Ce n'est pas la décision qui est étonnante, car il y aurait sans doute beaucoup à dire sur la façon dont les animaux sont traités dans les zoos (comme dans les cirques).

Mais pour l'instant, pour se soucier de la façon dont les êtres humains traitent les animaux, le Droit, civil comme pénal) prend comme base l'interdiction de traitement cruels ou/et injustifiés. C'est-à-dire institue un devoir des personnes à l'égard des animaux sans pour autant instituer ceux-ci en personnes.

Ici, en appliquant l'habeas corpus, c'est-à-dire l'interdiction de priver de liberté sans raison les personnes, le juge décide de traiter l'animal comme une personne. 

Et là, c'est briser la spécificité des êtres humains qui sont recouverts par le Droit du "masque' (en latin "persona") de la personnalité juridique, tandis que les autres réalités, comme les animaux ne le sont pas, ce qui implique que la personnalité, qui confère à son titulaire des droits subjectifs (comme le droit de propriété et un patrimoine - d'une façon obligatoire) et des obligations (sans qu'on puisse s'y dérouler) ne pouvait s'appliquer aux animaux ni aux choses.

La distinction des personnes et des choses est la distinction fondamentale en Droit.

Lorsque le Droit français a posé que les animaux sont des "êtres sensibles", il n'a pas pour autant remis en cause cette distinction, car c'est toujours le régime juridique des choses qui leur est applicable : c'est ainsi que l'on peut "donner" un chat ou un chat tandis que l'on ne peut pas "donner" un enfant. C'est donc toujours le régime juridique des biens qui est applicable aux animaux. Et l'on peut, voire l'on doit, protéger les animaux par d'autres façons que de les qualifier de "sujets de droit non-humains".

Car si l'on choisit cette voie-là, si l'on pose sur eux le "masque" de la personne, ici en leur appliquant l'habeas corpus qui interdit l'emprisonnement injustifié d'une personne, ils auront des avantages consubstantiellement liés à la personnalité, deviendront par exemple propriétaires, pourront hériter, pourront faire des contrats (par le biais d'avocats ou des associations qui les représenteront, etc., mais ils en auront aussi les inconvénients.

Revenant au Droit médiéval, lorsqu'ils tueront quelqu'un ils seront aptes à être sanctionnés et emprisonnés (avec certes l'habeas corpus pour les protéger).

Ainsi, la fin de l'Ancien Régime, l'on avait roué en place de Grève une truie pour avoir mangé un nouveau-né que la mère avait placé dans sa mangeoire le temps de faire le repas. La truie avait eu un procès et avait été condamné à mort.

Depuis, Beccaria avait demandé à ce qu'un Droit pénal s'instaure, qui ne confonde pas les personnes et les autres formes de vie, ne confonde pas les êtres humains, les animaux et les choses. Voltaire aussi l'avait demandé. 

31 octobre 2014

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Les systèmes politiques sont désorientés face aux mouvements terroristes nouveaux, notamment celui qui a l'audace de prendre l'appellation d'État islamique.

Les États pensent à des solutions, mais la difficulté vient du fait que les personnes auxquelles ils sont confrontés n'ont pas encore commis d'actes. Leur acte consiste à partir pour rejoindre un mouvement, concrétisation de leur liberté d'aller et venir. Certes, l'État sait que ce déplacement n'a de sens que pour participer à des actions interdites, à savoir tuer en masse. Mais "sur le moment", l'acte en lui-même ne semble pas répréhensible.

Le Royaume-Uni a l'ingéniosité de faire renaître l'interdiction de la "double allégeance" pour affirmer que le seul fait de prétendre agir par obéïssance à un autre que la Couronne suffit à constituer un acte criminel (la "Haute trahison").

Dans sa chronique du 31 octobre 2014, Brice Couturier se demande s'il convient de "juger les jihadistes plutôt que de les refouler".

En effet, et d'une façon logique, il se demande s'il ne convient pas, plutôt que de restreindre leur liberté d'aller et de venir, de les laisser partir, passivement en les empêchant, peut-être activement en les autorisant.  Si par la suite, s'il s'avère qu'ils commettent des actes répréhensibles, dans ce second temps, il sera possible, adéquat de les appréhender et de leur reprocher efficacement l'acte criminel enfin perpétré.

Brice Couturier affirme que cela serait plus légitime que de procéder comme le fait le projet de loi de lutte contre le terrorisme, déjà votée par l'Assemblée Nationale le 29 octobre 2014 et soumis désormais au Sénat.

En effet, ce texte réprime un comportement consistant notamment à consulter des sites Internet, à préparer des explosifs,  à détenir des armes, à repérer des cibles, etc., sans qu'un acte ait été encore commis. Pour les pénalistes, cela n'est pas conforme à l'exigence du droit pénal classique, lequel exige un acte pour que la personne soit sanctionnée. La seule intention ne peut justifier une condamnation. L'infraction comprend non seulement l'élément légal et l'élément intentionnel, mais encore l'élément matériel. Nous verrons ce que le Conseil constitutionnel en dira.

Mais suivons ce raisonnement. Plutôt que de sanctionner avant l'acte, expulsons les personnes pour mieux qu'elles le commettent et ainsi, dans le respect de Beccaria, les sanctionner par la suite, les trois attributs de l'infraction étant réunis.

Comment attrape-t-on les personnes ayant rejoint le mouvement terroriste, à la fois international et infiltré, une fois que l'État a concrétisé leur liberté d'aller et venir par le biais paradoxal de l'expulsion ?