21 avril 2017

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Hayao Miyazaki explique que les dessins de jeux videos faits par des machines sont des "insultes à la vie"

par Marie-Anne Frison-Roche

Par le site "Open culture", il est possible d'écouter Hayao Miyazaki qui, en mars 2017, affirmait que les jeux videos dont les dessins sont faits par des procédés d'intelligence artificielles sont des "insultes à la vie".

Lire ci-dessous l'histoire, les propos que le Maître a tenus, son conception de ce qu'est la création et un travail "réellement humain", ce qui est fait écho aux définitions données par Alain Supiot, qui lui aussi réfléchi sur ce que font les robots.

Cela ramène à la notion même de "création" et de travail créateur.

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Lire ci-dessous.

 

Le Maître rend visite à des élèves qui ont mis au point par l'intelligence artificielle un petit dessin animé, qu'ils lui montrent. Ils expliquent que l'intelligence artificielle leur a "appris" (learned) des mouvements "grotesques" et nouveaux qui conviendront très bien pour des zombies, personnages idoines pour des jeux vidéos performants (nul doute que cela conviendra à la clientèle). C'est pourquoi ils ont travaillé à développer cette bonne idée, adéquate.

Le Maître regarde le dessin animé ainsi accompli par les élèves sous l'inspiration de l'intelligence artificielle.

Ils lui demandent ce qu'il en pense.

Le Maître répond qu'il est "dégoûté" par ce qu'il vient de voir et qu'il n'intégrera jamais une telle technique dans son propre travail.

Puis il leur pose cette questions : "pourquoi avez-vous fait cela ?".

Les étudiants sont étonnés. Peut-être parce que la question du but ne leur est pas souvent posée. Seulement l'exigence du "bien faire" leur est posée, mais pas la question du "pourquoi faire".

Ils répondent qu'ils ont utilisé les machines pour produire le dessin "tel qu'un homme l'aurait fait".

Le maître en conclut avec une voix égale : "nous avons perdu foi en nous-même".

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La question de l'intelligence artificielle est aujourd'hui une question majeure, centrale. C'est la question même de l'avenir de l'humanisme, "augmenté" ou "pulvérisée", les opinions divergent.

Ce cas magnifique du maître et des élèves, croise à la fois la question de la création et du travail, dans le cas le plus parfait de l'apprentissage. Apprentissage des enfants par la machine ou par le vieux Maître.

Les élèves ont pensé "bien faire". Le maître pose qu'il est dégoûté du résultat. La conclusion du Maître est, non qu'ils sont mauvais élèves - car précisément (et c'est là le drame) ils ne le sont pas) -  mais que l'homme a perdu foi en l'homme.

Pourquoi une conclusion si dramatique ? De la part du créateur qui a exprimé dans son œuvre dans l'âme des forêts (dans Princesse Mononoké ) et l'âme des torrents (dans Le voyage de Chihiro  et l'âme du vent (dans Le vent se lève), c'est-à-dire l'âme de l'être humain ?

Pour mieux le comprendre, il faut revenir à la définition de ce qu'est le travail.

 

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Alain Supiot a donné la plus exacte définition du travail dans une conférence :Qu'est-ce qu'un régime de travail réellement humain.

Alain Supiot expose que le travail est une activité proprement humain. En effet, il suppose un "projet" qui est "conçu" par l'esprit humain, seul ou en groupe. Ce projet se concrétise dans un second temps, par un travail manuel ou un travail lui-même intellectuel, par la main ou par la main, par un seul ou dans un groupe. Mais il y a toujours un projet. Et ce projet est humain. C'est pourquoi le travail est une activité "réellement humaine".

Les robots interviennent dans l'activité laborieuses dans le second temps de ce l'on appellera volontiers le "process".

Avec une grande efficacité. Ils ne se fatiguent pas. Ils ne meurent pas. Ils n'ont pas de droits opposables, de congés maternité, etc.

Les robots sont des fabricants performants. Depuis toujours. Ils sont de plus en plus performants.

Mais ils ne conçoivent pas.

Ils calculent, de plus en plus. Ils croisent par le calcul de plus en plus de données. Mais ils n'ont pas de "projets". En cela, ils n'apprennent pas.

Le travail créateur, l'intelligence artificielle ne peut le faire.

Alain Supiot le dit. Hayao Miyazaki le dit, Yves Saint-Laurent le dit.

Ils le disent avec la même force. Et l'on pourrait dire : avec le même "dégoût".

 

Miyazaki conclut de ce qu'il vient de voir avec calme que l'homme a perdu foi dans l'homme.

Il voit que l'homme accorde donc si peu d'importance à son âme, à celle des forêts, des torrents des vents, et donc à la sienne, qu'il ne se pose pas de questions, qu'il ne cherche aucun maître humain pour lui en poser, qu'il se tourne vers une machine pour lui "apprendre" à bien faire des gestes dont il ne cherche pas à savoir quel est le but.

C'est transformer en industrie la vie.

C'est pourquoi Miyazaki  dit que cela est "une insulte à la vie même".

Ces élèves ne sont que des robots, qui seront moins performants que leur maître-robot, devenu leur étalon de performance, robot qu'ils miment avec application.

Ils ont perdu foi en eux-mêmes.

On sait que Miyazaki  a rendu son tablier, Le vent se lève étant le plus beau des tabliers que l'on puisse rendre à l'humanité.

Comme Yves Saint-Laurent le fit, habillé de sa blouse blanche, ses mains humaines d'artisan sur la table, expliquant qu'il ne pouvait que se retirer de la couture puisque des entreprises avaient envahi cette activité et qu'il n'y avait pas sa place. Quel parfait autre exemple. Il suffit de regarder les croquis, tous ces projets qu'il avait et qu'ensuite l'on concrétisait. Peu de performance. Rien à la chaîne. Alors, il se leva et il partit.

 

Ce que le Maître vient d'enseigner en mars 2017 à ces élèves, ce que qu'aucun algorithme ne pourra leur inculquer : l'art, y compris celui des jeux vidéos, n'est pas affaire de performance dans le dessin, c'est affaire de civilisation, c'est-à-dire un projet humain.

 

Si nous l'oublions, alors la civilisation des robots pourrait commencer, celle où il n'y aurait personne.

Ce qu'est le "travail", c'est le Droit qui le dit, par un "régime" qui soit "véritablement humain".

Pour cela, il faut que l'on distingue encore les êtres humains d'une part et les choses d'autres part. Si la distinction n'a plus de pertinence, parce qu'elle aura fondu sous le seul soleil de la "valeur", car il est bien certain que beaucoup de choses ont plus de "valeur" que beaucoup d'êtres humains, alors nous seront dans un monde sans personne.

 

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