3 septembre 2010

Conférences

La gouvernance de la profession dans la perspective de l'avocat de demain

par Marie-Anne Frison-Roche

Bureau de la Conférence des Bâtonniers, Carcassonne

C’est à partir de l’identité de l’avocat, telle qu’elle est actuellement et telle que les avocats veulent eux même qu’elle se profile que la profession doit se dessiner et se gouverner.

Par un mouvement en retour, la gouvernance de la profession s’appuie sur la notion très particulière de profession, groupe de personnes qui se reconnait comme appartenant à un ensemble distinct des acteurs atomisés de la société générale ou du marché par l’adhésion, à un ensemble de valeur, notamment déontologique.

Ainsi, les ordres et les structures d’enseignement doivent inculquer aux jeunes avocats l’idée même de leur identité et le sentiment d’appartenance à une profession, laquelle ne les conduit en rien à être hors marché, mais bien au contraire à constituer par ses valeurs morales de crédibilité un tiers de confiance.

Les ordres sont donc des sortes de régulateurs de la profession mettant en équilibre une organisation interne la plus efficace possible et une action économique externe la plus bénéfique possible tant que cela ne porte pas atteinte aux libertés et droits fondamentaux car avant tout l’avocat a pour identité d’être, comme le juge, celui qui défend le faible et, y compris contre l’État les droit et libertés fondamentaux.

Regarder les slides ayant servi de support à la conférence.

Cette conférence à servi de support à un entretien dans Le Journal des Bâtonniers de novembre-decembre-janvier 2010 :  lire l'article,

Lire ci-dessous un développement du thème.

La gouvernance est un modèle qui découle de la façon dont la profession qui en est l'objet se définit elle-même. D'une façon dialectique, la gouvernance qui porte sur une profession façonne l'identité qui sera celle de la profession dans les temps à venir. Ainsi, la gouvernance exprime toujours un continuum dans le temps avec l'idée d'une acceptation et d'une internalisation de la règle, à l'inverser du modèle hiérarchique dont le parangon est la loi, qui intervient de temps en temps d'une façon brutale et intemporelle, à laquelle l'assujetti obéit sans nécessairement adhérer. C'est pourquoi on ne peut pas dissocier les principes de gouvernance des réflexions prospectives sur l'identité d'une profession.

La gouvernance est un modèle retrouvé de manœuvre de nouveaux espaces et de groupes sociaux, lorsque le modèle autoritaire est renié ou n'a plus les moyens de ses principes, notamment parce que la mobilité des agents et la concurrence mondialisée sur la marché du droit a privé les États de la puissance de fait de recourir au modèle classique de la hiérarchie.

La profession d'avocat est très à l'aise dans le nouveau modèle de la gouvernance car c'est pour elle demeurer dans le modèle antérieur à l'état moderne, dans lequel la règle est intériorisée dans la profession, où les règles sont produites par celle ci et où le système disciplinaire est gardé par des institutions qui émergent elles-mêmes de la profession.

Cette gouvernance peut fonctionner par vertu si l'on croit à l'hypothèse du stoïcisme moral des avocats, mais il faut faire preuve de réalisme quant à sa difficulté de perdurer dans un système marchand. Il convient bien mieux de poser que le marché, les agents économiques et les professionnels ont intérêts à être loyaux car la crédibilité et la confiance sont aujourd'hui des valeurs économiques essentielles.

la gouvernance de la profession d'avocat doit demeurer exogène à l'État car elle ne doit jamais se dissocier de l'identité de l'avocat, lui même défini comme l'adversaire structurel du pouvoir politique, qui peut être tenté par le totalitarisme. C'est pourquoi l'expansion de l'aide juridictionnelle, pavée de bonnes intentions, pose néanmoins un problème majeur à la profession, non seulement parce qu'elle la paupérise, crée un bas clergé, mais encore parce qu'elle transforme de fait nombre d'avocats en fonctionnaires. De ce fait, l'idée de profession peut disparaître et la lutte contre la paupérisation n'est pas seulement un combat économique mais encore un combat déontologique.

Ce que l'on désigne comme une bonne gouvernance pourrait être en conséquence l'établissement d'un numerus clausus, barreau par barreau transmis aux instituts d'études judiciaires qui organisent l'accès aux écoles de formation.

Un autre piste doit constituer pour les ordres pour préserver l'unité de la profession, malgré la diversité des spécialités techniques et des revenus entre les avocats. Cela requiert une collaboration étroite entre la conférence générale des bâtonniers et le Conseil national des barreaux, ainsi qu'une mixité plus grande entre la profession et l'université dans les formations avant et pendant l'exercice de la profession d'avocat.

Il est en outre essentiel que les ordres inculquent aux avocats qu'ils n'exercent pas un métier ordinaire sur un marché et que les différentes structures, comme par exemple les écoles de formation du barreau, en étroite collaboration avec la magistrature, développent un sentiment d'appartenance à l'institution judiciaire, en relation avec le sentiment éthique de justice. Cela s'articule avec la valeur économique d'une profession sur un marché puisque l'avocat est un tiers de confiance.

On arrive alors à la définition de l'identité de l'avocat, laquelle produit la notion de profession, laquelle implique les lignes de gouvernance, triptyque qui fonctionne dans les deux sens.

L'avocat, d'une façon fonctionnelle et constitutive est celui qui défendra les besoins et droits fondamentaux. Il est celui qui peut constituer pour les agents économiques un tiers e confiance.

A cet titre l'avocat doit faire ce que les agents ordinaires ne font pas, à savoir les prestations gratuites, la désobéissance à l'État ou le refus opposé à son propre client. De la même façon, l'avocat ne fera pas ce que l'agent économique ordinaire fait, il se détachera de la seule règle de l'efficacité  économique du droit, et plutôt que de redoubler la puissance des agents dominant, l'avocat protègera le faible, comme le fait le juge et défendra non seulement les innocents mais encore les possibles coupables.

Il en résulte les choix d'organisation de la profession avec le rapprochement des barreaux autour des cours d'appel s'il l'on fait prévaloir la notion de famille judiciaire, soit autour d'un bassin économique si l'on fait prévaloir la notion de tiers de confiance sur marché.

Quant aux ordres eux-mêmes, on peut les concevoir comme des régulateurs, qui mettent en balance l'efficacité d'organisation interne de la profession économique et l'efficacité économique externe de celle-ci d'une part, et la défense offensive des valeurs fondamentales de la profession d'autre part. Ainsi, si l'on devait dégager une règle d'or l'on pourrait dire que la profession doit être gouvernée de la façon la plus efficacement possible dès que aucune liberté ni droit fondamental n'est touché.

Par exemple, pour que les droits de la défense s'exprime il faut qu'un bâtonnier fasse face à tout procureur ce qui va dans le sens du maintien des barreaux auprès de tout tribunal de grande instance, mais en revanche, l'organisation des CARPA est de nature technocratique et supporte dans difficulté une mutualisation de ses coûts d'organisation sur un plus large territoire.

En conclusion, sans doute les avocats, qui exercent leurs activités sur des marchés, et les ordres, qui gouvernent la façon dont ils l'exercent doivent expliquer à l'intérieur même de la profession et à l'extérieur de celle-ci la notion même de la profession, car c'est au sein de celle-ci que l'identité de l'avocat demeure et il faut comprendre et justifier notamment à l'égard du droit de la concurrence, qu'un avocat soit présent et précieux et en même temps soustrait aux règles ordinaires de celle-ci.

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