16 décembre 2010

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Publication : Article dans une publication collective juridique

Les commissions interbancaires : le bras de fer entre concurrrence et régulation, in "Commissions interbancaire. Le modèle relationnel en danger ?"

par Marie-Anne Frison-Roche

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Les commissions interbancaires : le bras de fer entre concurrence et régulation, in Commissions interbancaire. Le modèle relationnel en danger ?, Banque Droit, numéro hors série, décembre 2010, p.6-8

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La décision de l'Autorité de concurrence du 20 septembre 2010 dans l'affaire dite des "Images-chèques" illustre une confusion entre système de concurrence et système de régulation. En effet, sur un marché concurrentiel, les agents sont atomisés et leur mobilité permanente permet l'émergence des prix exacts, le prix étant la première référence du modèle. Mais certains secteurs sont marqués par une défaillance de marché, il en est ainsi du secteur bancaire, menacé par un risque systémique de défaillance en série des acteurs. Pour cela, le régulateur, la banque de France, met en place une régulation, sous-jacente au marché bancaire, qui assure des systèmes solides, stables et permanents dans le temps, accompagnés d'une sorte de tarification. L'autorité de concurrence a appréhendé ce système de régulation à travers le modèle inverse qu'est l'instabilité concurrentielle. Il s'agit là d'une confusion épistémologique dommageable.

Lire le résumé de l'article ci-dessous.

N.B. : la décision de l'Autorité de la concurrence a été sur recours réformée par la Cour d'appel de Paris.

Il ne s'agit pas d'étudier en détail la question technique des commissions interbancaires, puisque cela est fait d'une façon exhaustive par l'étude centrale de François Schwerer.

Mais par la décision du 20 septembre 2010, décision dite Images-chèques", l'Autorité de la concurrence a condamné les principale banque de la place, y compris la Banque de France, pour avoir organisé une sorte de tarification des commissions interbancaire pour le traitement des images-chèques entre les banques des tirés et les banques des tireurs.

La présente étude revient à une perspective plus globale, et en cela plus classique, relevant de cette perspective ancienne où l'on cherchait à comprendre une réalité que l'on ne posait pas par avance comme fragmentée, cette fragmentation étant attestée par les spécialisations du savoir.

En effet, si l’on en revient aux données simples, il apparait que l'opération de paiement n'est pas une opération de marché puisqu'elle en constitue le fluide et non pas l'objet, l'instrument de paiement étant le moyen d'éteindre la dette par le paiement, le paiement n'étant pas l'objet d'un marché. C'est ici le droit civil qui a montré que la notion qui exprime la relation entre le banquier et le client est celle de compte, qui recueille la succession des paiements.

On nous dit aujourd'hui que la réalité est plus complexe, mais cela est inexacte : ce sont les savoirs qui sont plus fragmentés : en effet, la notion de compte appartient au droit civil et le droit de la concurrence qui n'appréhende que le marché ne peut pas la reconnaître.

Ainsi, parce que le marché concurrentiel est l'acte de naissance du droit de la concurrence, l’autorité ne « voit » pas que le mouvement de paiement interbancaire est un mécanisme de régulation sous-jacent au marché bancaire. Plus encore, si la Bande France a ouvertement organisé le système ordonné et tarifé de ces paiements interbancaires, c’est en tant qu’elle supervise les banques et régule le secteur. L’incompréhension systémique est démontrée lorsque l’Autorité qualifie la Banque de France de « petite banque », partie à l’entente alors qu’elle est le maître de l’organisation, son Régulateur.

La question des commissions interbancaires est donc un des exemples le plus net du bras de fer entre concurrence et régulation.

L’Autorité de concurrence, parce qu’elle n’est pas une autorité de régulation se refuse à admettre que des régulateurs établissent normativement des organisations stables et à long terme, asymétriques entre les parties prenantes, diminuant les coûts globaux. En effet, la technique de commission interbancaire adoptée ressemble fort à celle classique en régulation de péréquation.

Il est très dommageable que de bonne foi, ou afin d’accroître l’ampleur et le domaine de leurs pouvoirs, les Autorités de concurrence confondent les deux branches du droit et se comportent comme des autorités de régulation. En effet, l’Autorité de concurrence devrait se limiter à être intervenir ex post, ponctuellement et pour rétablir le marché dans l’état où il aurait été si les comportements interdits n’avaient pas été entrepris par les agents. D’une façon  tout a fait distincte, une autorité de régulation peut être établie pour un secteur qui le requiert, par exemple le secteur bancaire, s’il y a une défaillance de marché, ici un risque systémique. Dans un tel cas, le régulateur, en l’espèce la Banque de France, prendra ex ante des mesures, pour faire en sorte que le système fonctionne d’une façon solide et sûre, ce qu’il n’aurait pas fait spontanément.

Si l’Autorité de concurrence se saisit d’une telle organisation à travers sa propre grille de lecture, elle commet une double erreur de perspective. En premier lieu, elle méconnaît l’organisation ex ante à long terme des rapports bancaires à travers la notion de compte, c'est-à-dire le « contrat relationnel » qui caractérise la relation économique entre le banquier et son client, rapport inverse au contact toujours instantané et infidèle sur les offreurs et les demandeurs sur les marchés ordinaires. En second lieu, l’Autorité de concurrence se substitue de fait au régulateur sectoriel, ici avec d’autant plus d’assurance qu’elle a condamné celui-ci au titre de la prohibition des ententes.

Dès lors, peut-on considérer que ce modèle relationnel serait en « danger  ? ». Il est certain que le secteur bancaire a besoin de stabilité, aussi bien dans ses institutions, ses entreprises, que dans ses relations, à travers notamment la notion clef de compte. Or, le marché concurrentiel a pour loi l’instabilité car c’est la double élasticité de l’offre et de la demande qui engendre sa vertu et son aptitude à produire le prix exact des biens qui y circulent.

En infiltrant le modèle concurrentiel dans le modèle relationnel, par un effet mécanique, l’Autorité de concurrence injecte dans le schéma une atomicité des opérations et une mobilité des agents qui accroît le risque systémique et nuit au secteur bancaire, risque contre lequel le régulateur, la banque de France a été notamment instituée.

On peut donc conclure que la confusion entre système de concurrence et système de régulation est profondément dommageable.

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