A la mi-juillet 2022, toute la presse bruisse de cela : la volonté du gouvernement français de supprimer la taxe audiovisuelle et qui a pris la forme d'une disposition législative dont le projet est examiné par le Parlement au cours de sa session extraordinaire, disposition qui semblait jusqu'ici être accueillie favorablement, se heurterait à un écueil : la Constitution elle-même.
C'est ce qu'aurait affirmé un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), dont semble-t-il très peu de personnes ont pris connaissance, mais qui l'affirmerait, au titre des "risques juridiques".
Les conclusions ont donc été reprises par de multiples journaux, par exemple Les Echos, le 15 juillet 2022 ou Le JDD du 17 juillet 2022.
On peut s'étonner que des corps de l'Etat dont ce n'est pas la fonction analysent la constitutionnalité de projets de loi, car cela relève de la fonction du Conseil d'Etat. Il peut en résulter des désordres si, en quelques sortes, chaque corps se reconnaît une plénitude de compétence et apprécie les perspectives sous tous les angles, non seulement financiers ou de management public mais encore dans la hiérarchie des normes juridiques. Mais l'on peut estimer que cela peut créer un dialogue institutionnel interne à l'Etat, tant qu'il n'y a pas de conflits, par exemple si les organes expressément en charge d'apprécier la conformité à la hiérarchie des normes ne le conçoivent pas différemment et que le système n'est pas contraint d'articuler les deux. Et, comme pour le "dialogue des juges", il faut manier cela avec précaution.
Toujours est-il que l'affirmation elle-même qui semble résulter du rapport est assez simple : il ne peut y avoir de véritable indépendance de l'audiovisuel public que si celui-ci dispose d'un financement sur lequel le Gouvernement n'a pas de prise conjoncturelle. Il en résulte dans ce rapport, qui n'est pas encore disponible publiquement, une série de propositions qui empêcherait le Gouvernement de s'immiscer dans les choix faits par les opérateurs de l'Audiovisuel public grâce à ce que l'on appelle parfois "l'arme budgétaire".
Sans aller sur la discussion politique à propos d'un rapport que je n'ai pour ma part pas davantage pu lire que les autres, cela offre la possibilité de revenir sur la relation complexe entre l'autonomie budgétaire et les mécanismes du Droit de la Régulation, lequel implique des garanties budgétaires.
En effet il semble que l'on veuille transposer à des entreprises des mécanismes conçus pour des Autorités de Régulation dont l'indépendance est une qualité consubstantielle à leur statut et à ce titre garantie par la Constitution (I). C'est pour cela que l'on voit empêcher le pouvoir, non plus tant exécution mais législatif, d'utiliser son pouvoir de voter chaque année la Loi de finances, voire de l'ajuster, afin de permettre aux opérateurs publics de l'Audiovisuel de développer sur plusieurs années des programmes en-dehors de ce qui est présenté comme une contrainte extérieure. Le fait que ce pouvoir financier de l'Etat prend aussi comme appellation les "lois de régulation" entraîne de la confusion (II).
Cela permet à chacun de proposer sa vision des choses. Revenons plutôt au Droit de la Régulation.
I. LE LIEN ENTRE L'AUTONOMIE BUDGETAIRE ET LE DROIT DE LA REGULATION
Le Droit de la Régulation est une branche du Droit qui se saisit des secteurs spécifiques au sein desquels des Autorités publiques doivent bénéficier d'une indépendance par rapport à ceux sur lesquels elles exercent une autorité.
Leur indépendance n'est pas une qualité liée au seul régime d'exercice des prérogatives, c'est une qualité consubstantielle à l'organe de régulation lui-même, qui explique que les Cours constitutionnelles en sont les gardiennes.
🔴O. Storch, Les conditions et modalités budgétaires de l'indépendance du régulateur, 2004.
Cela justifie que les Autorités de Régulation aient un statut particulier vis-à-vis de la LOLF, afin qu'elles ne soient pas mendiantes vis-vis du Gouvernement.
🔴M.-A. Frison-Roche, Régulateurs indépendants versus LOLF, 2006
A comprendre ce qui est écrit dans ce rapport et ce qui est écrit à propos de celui-ci, il s'agirait de transposer au bénéfice des entreprises du secteur public régulé elles-mêmes les mécanismes conçus par les Régulateurs.
Les entreprises du secteur public sont donc juridiquement traitées comme les Autorités de Régulation. Cela n'est pas inconcevable, mais cela signifierait aussi que le Gouvernement devrait aussi cesser d'en nommer les mandataires sociaux, etc.
Sur le principe même traiter les opérateurs cruciaux d'un secteur selon les mêmes critères, exigences et pouvoirs que ceux qui sont la marque des Autorités de régulation est un changement qui modifie en profondeur la perspective, non seulement dans les finances publiques mais encore dans le Droit des sociétés.
En effet les entreprises en question sont le plus souvent des sociétés contrôlées par des actionnaires et régies par des organes qui expriment des choix qui limitent leur indépendance. Si l'Etat contrôle les organes sociétaires, cela poserait alors la même difficulté. Elle est d'ailleurs régulièrement soulignée, notamment dans des rapports parlementaires, car c'est davantage par le Droit des sociétés, et le pouvoir par exemple de nommer les mandataires sociaux et de leur demander des comptes, que les actionnaires, par exemple l'Etat-actionnaire, peuvent exprimer leur puissance.
Les rapports entre Droit de la Régulation et Droit des sociétés est donc complexe.
C'est d'ailleurs ce même raisonnement qui a par exemple conduit l'ARAFER à demander par un avis du 9 décembre 2019 au titre du Droit de la Régulation à ce que le Groupe Public Ferroviaire via sa structure faîtière ne puisse pas avoir prise sur sa filiale de transport, laquelle doit être consubstantiellement indépendante. En effet le Droit des sociétés a le même effet de contrôle que celui produit par le Droit des finances publiques.
II. AU NOM DU DROIT DE LA REGULATION, DROIT TELEOLOGIQUE, FAIRE DISPARAITRE LE POUVOIR LEGISLATIF D'ADOPTER DES LOIS DE REGULATION FINANCIERE
L'une des solutions proposées est de bloquer le principe de l'annuité des Lois de finances, en imposant des lois programmant sur plusieurs années l'action des opérateurs publics. Mais le principe de l'annuité est lui-même de nature constitutionnelle et il n'y a pas été porté exception au bénéfice des Autorités de Régulation.
Là aussi n'allons pas sur le terrain politique, très occupé par les uns et les autres, pour plutôt rappeler ceci : le pouvoir de "régulation" dans le Droit des finances publiques vise l'adoption de lois qui assouplissent la rigidité de la Loi de finances en ajustant le budget en cours à de nouvelles nécessités, comme dans la LOLF le directeur de programme est doté d'un "pouvoir de régulateur" pour procéder à des ajustements au fur et à mesure que le programme se découle.
Le rapport de l'IGF propose qu'au nom de l'indépendance des entreprises du secteur public audiovisuel, il soit mis fin au pouvoir financier du Gouvernement de "régulation" en cours d'année.
L'on mesure l'enjeu de vocabulaire, car le Droit est un ordre dans lequel il est difficile d'associer à un même terme deux sens non seulement différents mais, comme dans le cas présent, opposés : dans le cas des finances publiques, le pouvoir de régulation est ce qui permet au gouvernement d'ajuster en cours de route un engagement pour intégrer des contraintes du moment, tandis qu'en Droit de la Régulation c'est l'inverse, puisqu'il s'agit au contraire de détermine la finalité poursuivie (notamment par des "contrats de régulation") à l'aune de laquelle des engagements sur le moyen terme sont pris, les opérateurs pouvant ou devant déployer leurs actions dans la durée.
Le rapport propose d'externaliser le suivi de cette "régulation", non plus au sens des finances publiques mais au sens du Droit de la Régulation, en y associant l'Arcom, ce qui est logique puisque celle-ci est l'Autorité française de Régulation et de Supervision des médias.
L'on peut préférer le Droit de la Régulation au Droit des finances publiques, lequel intègre des "pouvoirs de régulation" qui contredisent le premier.
Mais pour cela il faudrait sans doute réformer la LOLF.
Et transformer les entreprises du secteur public de l'Audiovisuel comme les Régulateurs indépendants de celui-ci.
Cela reviendrait donc à organiser ce qui paraît proche d'une auto-régulation.
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