25 septembre 2014

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Par un avis de deux lignes du 22 septembre 2014, la Cour de cassation ouvre le marché des mères et des bébés : que fait le Politique ? Que peut faire la Cour de cassation ?

par Marie-Anne Frison-Roche

J'écoutais la radio dans le taxi en sortant de mon cours.

Les journalistes parlent sur toutes les ondes ce qui serait un "arrêt" rendu par la Cour de cassation. Celui-ci aurait admis l'efficacité en France de la procréation médicalement assistée (P.M.A.), lorsque l'une des femmes d'un couple lesbien l'a réalisée à l'étranger, sa conjointe voulant procéder par la suite à l'adoption de l'enfant.

Les journalistes affirment que l'arrêt est justifié par "l'intérêt supérieur de l'enfant" et qu'il "tire les conséquences de la loi du 17 mai 2013". Les journalistes expliquent que l'arrêt est conforme au Code civil et aux engagements internationaux de la France.

Cela suffit à écarter la prohibition du droit français de recourir à la P.M.A. par convenance, sans constat d'une stérilité médicalement constatée.

Rentrée à mon bureau, j'écoute les médias sur lesquels l'information repasse en boucle et je vais chercher le document.

Il ne s'agit en rien d'un arrêt, mais de deux avis, que les journalistes n'ont pas lus. En revanche, ils ont lu le "communiqué" que la Cour a diffusé dans toutes les salles de rédaction, qui exprime la philosophie de ce qui est présenté comme une décision. C'est de ce communiqué qu'est tirée cette sorte d' "auto-commentaire" que la Cour fait de ses avis, pourtant si laconiques, selon lequel sa position est conforme au droit interne et international de l'adoption.

En revanche, les deux avis, qui se réduisent à une phrase, ne contiennent aucune discussion et ne développent aucun motivation. Dans l'unique phrase, il est posé  : il suffit désormais que le droit de l'adoption soit respecté et que l'intérêt de l'enfant ne soit pas contrarié pour que le non-respect du droit français par la pratique des adultes ne fasse pas obstacle à l'établissement de la filiation de l'enfant.

Par un simple avis, à peine motivé, la Cour anéantit et la loi et sa propre jurisprudence.

Sous l'Ancien Régime, l'on connaissait les arrêts de règlement. Nous connaissons désormais les "avis de règlements".

 

Lire les avis de la Cour de cassation du 22 septembre 2014

Lire les conclusions de l'avocat général.

 

 

 

1. Un avis qui balaie l'existence d'une stérilité physique médicalement constatée, comme condition d'accès aux pratiques d'engendrement

 

Une telle formulation balaye l'article L.2141-2 du Code de la santé publique qui posait la condition d'une "stérilité physique médicalement constatée".

Dès lors, il faut mais il suffit que les adultes aient un "désir d'enfant", que ce désir se transforme en "volonté d'avoir un enfant", et que cette "demande d'enfant" rencontre une "offre d'engendrement" (ici un donneur anonyme et rémunéré de sperme, disponible à l'étranger), puisque que l'engendrement non seulement s'opère, mais qu'il s'impose en droit.

 

2. Un avis qui, du fait de sa formulation abstraite, vaut aussi bien pour la G.P.A. que pour la P.M.A.

 

Les juges du fond n'avaient posé une question que sur la P.M.A.

Mais c'est une seule phrase, très générale, que la Cour de cassation répond.

Elle pose que l'exigence du droit français contourné par le couple, car c'est cela qu'il est allé à l'étranger, ne doit plus être plus en considération, dès l'instant que, d'un part, les règles de l'adoption sont respectées et que, d'autre part, l'intérêt de l'enfant n'est pas contrarié.

Mais une telle affirmation, dans son peu d'exigence, vaut aussi bien pour la G.P.A.

Le raisonnement que l'on croit comprendre dans les deux lignes qu'occupent l'avis de la Cour de cassation est que les "conditions légales de l'adoption sont réunies". Or, cela sera le cas aussi pour ce que certains appellent la "gestation pour autrui -G.P.A.", le contrat de maternité de substitution.

Un couple va à l'étranger, l'homme donne son sperme. Il est le "père biologique". Il rentre avec l'enfant. Son conjoint(e) demande l'adoption. Il y a pas de contrariété avec les "conditions légales de l'adoption". Certes, "l'autre" (le donneur de sperme, dans la P.M.A. ; la mère-porteur dans le contrat de maternité de substitution) est effacé, mais cela n'est pas l'affaire du droit de l'adoption.

Les deux lignes de l'avis, en n'excluant pas expressément ce cas-là, risquent bien d'inclure ce cas-là, puisqu'il correspondent aux deux seules exigences qu'il a posé. Il aurait suffi qu'il ajoute par exemple que la protection du corps de la mère n'était pas en jeu, pour que la limitation de la portée de cet "avis de règlement" soit acquise. En ne le disant pas, en posant deux conditions, qui valent aussi bien pour la G.P.A. que pour la P.M.A., l'interprétation de l'arrêt va l'étendre du premier cas à l'autre.

Ainsi, par ces deux lignes, le marché des bébés est ouvert. Les entreprises qui vendent des spermes "aryens" et des "ovocytes garantis" ont place libre.

En effet, les deux seules conditions sont : 1° Le respect formel du droit de l'adoption ; 2° La conformité à l'intérêt de l'enfant.

Or, lorsqu'il y a un contrat de maternité de substitution, le conjoint de celui qui a fourni le "matériel génétique" (sperme ou ovocyte) adopte selon les conditions légales et l'intérêt de l'enfant ne semble pas contrarié.

En effet, puisque lorsque les avis font deux lignes, il faut tout lire dans son silence, le fait que l'enfant par exemple ne puisse jamais connaître son père (dans la PMA) ou sa mère (dans la GPA), qu'il soit privé de son droit à connaître ses origines, ne nuit pas à ses intérêts. La volonté des adultes en dispose.

Certes, on pourrait penser que l'avis ne concerne que la P.M.A. Il conviendrait donc "de ne pas en faire toute une histoire" car une solution retenue pour la P.M.A. ne vaut pas pour le contrat de maternité pour autrui (que certains appellent G.P.A.). Ainsi, nous pourrions dormir tranquille. Le caractère très laconique de l'avis nous y invite.

 Il est très regrettable que par exemple la Cour de cassation n'est pas trouvé opportun de faire comme l'a fait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, c'est-à-dire insérer un obiter dictum, technique de rédaction utilisée pour répondre à une question non posée, consistant à poser que cette ouverture est conforme à la Constitution dès l'instant que cela n'implique pas la marchandisation des corps par les contrats de maternité pour autrui. Il aurait été judicieux pour la Cour de cassation, interrogée pour la PMA de dire explicitement que si la PMA "de convenance", c'est-à-dire par la seule volonté d'avoir un enfant, devait désormais devenir juridiquement efficace, il ne pouvait en être de même pour ce que certains appellent la GPA. La cour de cassation est restée hélas silencieuse. Son silence est déjà interprété par toutes les associations comme un laisser-passer en faveur de la licéité des contrats de mères porteuses.  

Et les commentateurs de l'avis ne s'y sont pas trompés. Ainsi, dans le journal Libération, les associations gays et lesbiennes saluent cet avis, comme ouvrant le libre accès à la procréation sans condition et affirment que celle-ci doit devenir désormais accessible pour "tout couple homosexuel".

Si le couple homosexuel est masculin, cela ne peut prendre la forme technique que du recours à un contrat de mère-porteuse.

Juridiquement, le principe d'égalité entre les couples, le droit fondamental de fonder une famille, la disparition par le jeu de ce simple avis, aboutissent à l'avènement juridique de l'efficacité juridique en France d'un contrat de mère-porteuse réalisé à l'étranger, quand bien même le droit français le prohiberait. Dans son avis, la Cour de cassation n'a pas hésité à écarter la loi française qui exige une stérilité physique médicalemement constatée comme condition du recours à la P.M.A., on ne voit pas pourquoi le droit français gênerait davantage les juges dan le futur.

D'ailleurs, les associations s'en réjouissent déjà et considèrent que la "légalisation de fait" du contrat de mère-porteuse est ainsi opérée. Il n'est plus même besoin de recourir au Législateur. Ou peut-être pour que celui-ci prenne acte d'une "pratique", ou "valide l'efficacité des actes légalement efficace sous l'empire des lois étrangères".

 

3. Un avis qui raye en deux lignes les arrêts de la Cour dont il émane

Les deux lignes des deux avis font lit de toute la jurisprudence précédente basée sur l'ordre public international et sur la fraude à la loi.

Cela est dû à son laconisme et à l'établissement de ces deux seules conditions (respect du droit de l'adoption et filiation biologique) que respecte également le contrat de mère-porteuse fait à l'étranger, sans que l'avis ne mentionne la question du respect dû à la personne.

Comment un simple avis peut-il s'autoriser en deux lignes à anéantir une jurisprudence de la Cour ? Sans motivation ni discussion ?

C'est à tout le moins à une Assemblée plénière de prendre une telle responsabilité, et de rendre un arrêt, un arrêt et non un avis, et de le faire en motivant sa décision.

 

4. Que fait le Politique ?

L'on mesure à quel point les juges sont actifs.

Ils le furent pour poser avant tous le caractère absolument illicite du contrat de maternité pour autrui, par l'arrêt de l'Assemblée plénière du 31 mai 1991.

Ils le furent pour poser la contradiction à l'ordre public international de ces contrats, même réalisés à l'étranger, ce qui interdit qu'ils produisent effet en France, notamment par le biais d'une inscription d'une filiation sur l'état civil français. Ils le furent pour affirmer qu'une telle inscription ne peut se faire car elle constitue une fraude à la loi.

Ils le sont pareillement et en sens inverse pour poser que, tout bien considéré et toutes choses pesées, l'intérêt de l'enfant justifie l'inscription de la filiation, la légalisation de fait du contrat de mère-porteuse n'étant un argument de poids suffisant, par deux arrêts du 26 juin 2014 de la Cour européenne des droits de l'homme.

Ils le sont aujourd'hui, par ces avis du 22 septembre 2014, pour également écarter la loi française et admettre l'efficacité d'une P.M.A. ayant pour seule cause la volonté d'avoir un enfant.

Mais il s'agit de choix de civilisation.

Est-ce aux juges de le faire ? Dans un sens, dans un autre.

Non.

C'est au Politique de le faire.

Or, que fait le Politique ?

Rien.

Le Gouvernement français ne fait pas appel devant la Grand'chambre de la Cour européenne des droits de l'homme des deux arrêts de section du 26 juin 2014. Il le dit dès le lendemain, alors qu'il a jusqu'au 26 septembre pour prendre cette décision politique majeure.

Que dit le Législateur ?

Rien.

A entendre certains, le Législateur devrait être "neutre" : puisque "cela se fait", alors la loi devrait "suivre". Cet argument de la "neutralité" du droit est une négation de ce qu'est le Droit et le Politique. De la même façon que pour prétendre que le droit n'est qu'une technique et que les juristes n'auraient pas pour fonction et encore moins pour devoir de défendre les valeurs, certains soutiennent qu'ils sont des techniciens neutres. Aujourd'hui, c'est au Législateur que la même leçon est faite : puisque cela se fait, le législateur devrait en prendre acte ; puisque le trafic des mères et des enfants est difficile à combattre, car la traite des être humains est efficacement organisée, le législateur ferait mieux d'en admettre l'existence en le validant.

S'il y a "légalisation de fait", alors il ne resterait plus qu'à opérer une "légalisation de droit".

Autant nous dire en face que le Politique, c'est-à-dire qui pose ce qui doit être le futur du groupe commun, n'existe plus.

 

5. Que pourrait faire désormais la Cour de cassation ?

La Cour de cassation a fait formellement le pire : elle a rendu un avis contenu en une phrase, laquelle occupe deux lignes. Mais elle a disserté dans son "communiqué de presse".

Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ont aussi cette habitude, ce qui conduit le lecteur à se demander où est le pouvoir de jurisdictio, entre ceux qui rendent l'avis ou ceux qui rédigent le communiqué. Dans notre société de communication, nul doute qu'il soit entre les mains de ceux qui rédigent le communiqué.

Il convient donc de relire le "communiqué de presse".

Or, celui-ci part de la loi du 17 mai 2013 relative à l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et présente la solution retenue par la Cour comme la conséquence directe de la loi.

Ainsi, le juge se présente comme "neutre", puisque tirant les conséquences de la loi et rayant de l'ordre juridique français un article du Code de la santé publique un article que le Législateur étourdi avait oublié. C'est donner raison au "Manifeste des 347 fraudeuses" qui elles-aussi revendiquaient sur le fondement de la loi du 17 mai 2013 la violation faite du droit français en allant à l'étranger faire des P.M.A.

On observera que publier un tel communiqué 10 jours avant une "manif pour tous", c'est exacerber les sentiments homophobes de beaucoup, alors que ces questions de filiations n'ont précisément rien à voir avec l'homosexualité et c'est rendre encore plus difficile la défense des femmes et des enfants, accusés de ce seul fait d'homophobie.

Publier un tel communiqué 4 jours avant l'expiration du délai pour la France de faire appel de l'arrêt de la CEDH du 26 juin 2014, c'est encore mettre un peu plus en difficulté le Gouvernement et le pousser à ne pas le faire, pour qu'il n'apparaisse pas comme donner des gages à des courants réactionnaires, alors qu'il faudrait le faire, pour la défense des femmes et des enfants, dont le respect est fondamentalement méconnu dans le contrat de maternité pour autrui.

 

Il est donc très importante que la Cour de cassation parle de nouveau.

Sous la forme qu'elle veut, puisqu'aujourd'hui la soft Law a autant d'effet que les lois et les arrêts en bonne et due forme. Mais il est vrai que serait adéquat une réunion d'assemblée plénière sur premier pourvoi sur la question de ce qui doit demeurer l'inefficacité d'un contrat de maternité de substitution fait à l'étranger, tandis que notre Législateur tente de résister au discours comme quoi par un "don magnifique" des femmes pauvres en France pourraient, comme en Inde ou en Thaïlande, porter contre une simple "contrepartie financière, porter puis abandonner l'enfant commandé.

Si la Cour de cassation ne le fait pas, si elle compte sur une interprétation "bienveillante" pour que le lecteur ne s'arrête pas à la généralité de deux seules conditions par l'avis, pour que le lecteur se souvienne de la réserve d'interprétation posée par le Conseil constitutionnel, alors la puissance de l'argument de la "filiation biologique" d'une part et du principe d'égalité entre les couples d'autre part (couples de femmes / tous les autres couples) l'emportera.

Le mouvement dit "pro-GPA", qui ne parle jamais du sort des mères, qui ne se soucient pas du fait qu'on achète des bébés dont on a déterminé par avance les qualités qu'il doit avoir, l'anticipent déjà, et l'ont exprimé dans les commentaires qu'ils ont fait des deux avis du 22 septembre 2014.

 

C'est pourquoi, d'une façon ou d'une autre, la Cour de cassation doit reprendre la parole.

….

 

il faut que la Cour de cassation rende un arrêt pour dire que la solution ne vaut pas pour le contrat de maternité pour autrui, car le raisonnement (mariage homosexuel + filiation « biologique » + règles de l’adoption) est suffisamment puissant pour écarter une condition de la procréation (stérilité par le code de la santé publique) mais pas pour écarter le fait que le corps des femmes et des enfants sont hors-commerces (article 16-7 du Code civil), ce qui conduit d’exclure la GPA, même par le biais d’un voyage à l’étranger, même s’il y a « matériel biologique » des commanditaires utilisés.

 

Il est alors impératif que la Cour de cassation le dise.

 

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