Mise à jour : 23 avril 2025 (Rédaction initiale : 5 avril 2023 )

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document de travail

🚧Le juge requis pour une Obligation de Compliance effective

par Marie-Anne Frison-Roche

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 Référence générale : M.-A. Frison-Roche, Le Juge requis pour une Obligation de Compliance effectivedocument de travail, juin 2023.

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📝 Ce document de travail sert de base à un article à paraître dans l'ouvrage sur L'Obligation de Compliance

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 Résumé du document de travail : Le Juge est un personnage qui parait faible dans un Droit de la Compliance qui lui paraît si puissant dans un monde où la technologie développe une puissance encore plus impressionnante. Mais les cas présents et futurs montrent au contraire sa place centrale et que son rôle doit pourtant être de mettre la force qui lui est propre à demeurer ce qu'il est : le gardien de l'État de Droit, ce qui n'est pas si évident car de nombreux outils de la Compliance, de nature technologique, sont en quelque sorte "insensibles" à ce à quoi nous sommes attachés, la protection des êtres humains qui s'appuie sur les diligences des entreprises (I).  Le deuxième rôle que nous pouvons attendre du Juge est  que non seulement il aide à permettre la permanence de cet État de Droit qui repose en grande partie sur lui face à un monde futur, en ce que celui-ci nous est inconnu, principalement dans sa dimension numérique et climatique, perspectives que le Droit de la Compliance veut, en renouvelant le Droit de la Régulation, saisir, en agissant à l'égard des entreprises dont le rôle est actif, ce qui conduit le Juge à les contrôler et à connaître les prétentions que l'on peut formuler contre celles-ci, sans se substituer au pouvoir de gestion de celles-ci (II). Cela suppose une méthode renouvelée (III), ce sont alors tous les juges, pourtant si divers, qui vont converger dans un dialogue actif des juges, qui va permettre que puisse en premier temps perdurer le rôle classique du juge, lié à l'Etat de Droit, dans un monde en plein mouvement et en second lieu que chaque juge puisse porter ce nouvel rôle qu'implique le Droit de la Compliance (IV).

Se mettra alors en place ce triangle parfait, dont la force et la simplicité permet l'usage du singulier et la conservation des majuscules à chacun de ces trois termes : Régulation Compliance Juge.

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🔓lire le document de travail ci-dessous⤵️

 

1. Première source de la difficulté d'une vision synthétique quand on associe Régulation, Compliance et Juge : la diversité des situations ⚖️Les trois termes "Régulation", "Compliance" et "Juge" paraissent d'avoir peu de points de contact entre eux. A les rapprocher, l'on a une double impression désagréable. La première impression est que le respect des réalités techniques doit plutôt éloigner des généralités impliquées par ces trois termes si abstraits, mais  il ne faut se garder aussi de s'enfermer dans le cas par par cas, la casuistique pulvérisant les analyses et conduisant à des approches toujours plus variées afin de respecter la technicité des objets qui sont les objets de régulation, de compliance et de litige : car quel rapport entre les cryptos, le climat, l'électricité, le rail, etc., qui sont tous trois objets de techniques de régulation et de compliance puis de contentieux ?. Plus encore, l'abstraction de propos trop généraux peut apparaître comme l'aveu de l'incompétence et de la méconnaissance des réalités par ceux qui les tiennent ces propos, ces trois termes recouvrant des réalités si multiples et singulières qu'il faudrait n'en parler qu'au pluriel : régulations, compliances, juges. La multiplicité des réglementations, la multiplicité des entreprises dans lesquelles celles-ci sont internalisées, la multiplicité des juges procéduralement compétents y conduiraient. 

 

2. Seconde source de la difficulté d'une vision synthétique quand on associe Régulation, Compliance et Juge : les trois termes semblent comme se repousser les uns les autres ⚖️La seconde impression est plus désagréable encore, excluant à première vue la corrélation, vient que ces trois termes, semblent se repousser les uns les autres....En effet, la Compliance exclurait le Juge (puisque c'est pour éviter le Juge que l'entreprise internaliserait la réglementation), la Régulation et la Compliance seraient sans rapport (la Régulation relevant du Droit public, la Compliance relevant du Droit privé), etc. Ainsi, pour bien traiter de l'un il faudrait maltraiter des autres, soit les exclure, soit en méconnaissant les termes qui seront moins mis en valeur parmi les 3. L'idée serait que pour qu'un des termes gagne, il faudrait que les autres perdent, se soumettent, s'effacent. Mais ces difficultés viennent avant tout de la définition incertaine de la Compliance.

 

3. Une difficulté née avant tout d'une définition incertaine, voire inexacte, de ce qu'est la Compliance, réduite à ses seuls outils ⚖️En effet, la difficulté d'appréhension du sujet semble principalement imputable, à la "Compliance". Cela tient tout d'abord  à la définition encore peu solide ce qu'est la Compliance📎!footnote-2914. D'une façon minimale, même si l'on écarte cette sorte de Bataille d'Hernani permanente qu'est la définition du Droit de la Compliance pour se contenter d'une description des mécanismes juridiques de compliance, l'on risque aussi un peu de s'embourber dans une description minutieuse des programmes, des plans, des audits, des calculs, des contrôles. L'on s'en tient alors ensuite aux seuls "Outils de la Compliance"📎!footnote-2921qui sont eux-mêmes si divers. Avoir alors choisi de décrire plutôt que de définir rend hélas plus difficile de trouver le rôle du juge. L'on décrit chacun des outils, chacune des réglementations, sans se mettre en surplomb, sans les rattacher en amont au Droit de la Régulation ni en aval au Juge, sans tirer profit en rien à tout ce que le Droit processuel de la Régulation a déjà développé.

 

4. La conception faible d'un couple Régulation & Compliance, dont l'efficience dispenserait d'un juge actif  ⚖️Si l'on réduit la Compliance à la seule addition de ses outils et à la description d'un ensemble de mécanismes par lesquels des entreprises prennent en charge par des méthodes spécifiques (gestion des risques) à la demande des Autorités publiques des enjeux que celles-ci leur désignent, l'on comprend alors bien le lien entre le Droit de la Régulation et le Droit de la Compliance, la compliance étant alors a minima un outil du Droit de la Régulation ou d'une façon plus autonome ce par quoi le Droit de la Régulation se déploie grâce à la puissance des entreprises. une sorte de "Régulation, acte 2". 

Mais si les liens entre Régulation et Compliance sont ainsi mieux mis en valeur, leur continuum se développant dans l'Ex Ante, les entreprises s'activant et montrant qu'elles respectent la réglementation qui leur est applicable, agissant pour atteindre des buts fixés par l'Etat dans des secteurs qui ne sont pas nécessairement régulés, le Droit de la Compliance ayant réussi ce tour de force de déployer l'esprit de la Régulation au-delà des secteurs économiques régulés, ce seul couple n'appelle pas en soi une activité de jugement qui soit spécifique. Plus encore, dans la perspective de ce couple, la présence du juge, car il y en a toujours, face à des entreprises qui prennent elles-mêmes en charge des lois, à tel point que certains hésitent à désigner comme assujetties des entreprises qui coopèrent, adhérent, voire contractent avec les Autorités, même s'il s'agit d'autorités de poursuite pénale.

 

5. La conception faible de la Compliance by design qui rendrait le Juge inutile  ⚖️De fait, dans le monde de la compliance, empli d'experts extérieurs au Droit et dans lequel les algorithmes prennent une place grandissante, l'on trouve pour l'instant.  peu de place pour les juges. Certaines vont jusqu'à dire que non seulement les juges n'ont pas à avoir de place mais ils ne devraient avoir aucun rôle, puisque ce serait aux entreprises de tout faire. Certaines soutiennent que le juge, ce personnage du pathologique, devrait se retirer du peu de place qu'il aurait pris, à l'occasion des quelques litiges auxquels la Compliance a donné lieu. la Compliance by design insérant les règles dans les structures informatiques semble bien exclure le juge📎!footnote-2920. Par cette alliance de l'Ex Ante et du principe de "corégulation" ou de "coopération", avec le Régulateur et l'Autorité de poursuite (le procureur étant un magistrat mais n'étant pas un juge), le Juge pourrait bien n'avoir pas ni place, ni rôle. Tout ce que l'on peut observer en droit positif montre l'inverse.

 

5. La puissance du Juge du seul fait qu'il est saisi de questions de principe, auxquelles il doit répondre ⚖️En effet, le Juge a été saisi de litiges spectaculaires, dans tous les pays du monde, par exemple en France dans le cas dit Total Ouganda📎!footnote-4315. Même si les questions qui lui sont posées concernent un système complet, le juge devra répondre, même s'il est juge du fond, même s'il est juge de l'urgence.

Cela peut n'être pas nouveau, car des entreprises particulières, comme les banques ou les entreprises énergétiques, pharmaceutiques ou des télécommunications, sont astreintes depuis toujours à des obligations de compliance, et depuis toujours les juges en connaissent.

Mais en premier lieu, cela visait des secteurs précis, et par le Droit de la Compliance cela n'est plus le cas, les obligations de compliance, dépassant la référence à des secteurs, pouvant viser des entreprises, par exemple d'une certaines tailles pour l'obligation de vigilance, ou s'appliquer à toutes les entreprises (pour les obligations de cybersécurité). Or, il était courant d'affirmer que le juge administratif était le juge naturel de la Régulation mais le juge de la Compliance, laquelle est pourtant le prolongement de la Régulation, peut être un juge judiciaire civil, un juge consulaire, voire un arbitre.

En deuxième lieu, les Buts Monumentaux de la Compliance s'ajoutent aux perspectives régulatoires et le juge doit regarder la façon dont les entreprises contribuent à leur concrétisation, ce qui renouvelle leur office. Or, ces Buts Monumentaux peuvent conduire les juges sur des questions qui n'étaient pas portées devant eux précédemment.

En troisième lieu, de nouveaux systèmes sont apparus, s'additionnant aux anciens systèmes et interférant avec ceux-ci. Le système numérique, le système climatique, le système algorithmique, et les intérêts qui leur sont spécifiques, sont portées à la connaissance du juge. Des questions en découlent, formulées juridiquement. Il devra y répondre. 

Si les réglementations sont absentes, parce que les situations n'ont pas été encore appréhendées, sont lacunaires (notamment parce que trop bavardes), ou se contredisent (les textes étant tous en interférence), l'article 4 du Code civil trouve alors pleinement à s'appliquer : Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.

Le juge S'il est juge du fond, il se tournera vers les Juges du Droit📎!footnote-2915. S'il est juge national, il formera une question préjudicielle. Si la "cause" est de dimension systémique globale📎!footnote-2928, il pourra prêter attention à ce que font les Juges d'un autre système, notamment parce que le Droit de la Compliance est naturellement extraterritorial.. Plus encore, dès l'instant qu'il y aura des actions ouvertes devant les juges, droit de saisir le Juge que les lois ouvrent, par la politique du private enforcement pour renforcer les systèmes, qui se répand du Droit de la concurrence au Droit financier au Droit des données, c'est d'abord parce qu'un juge sera saisi et qu'il élaborera une jurisprudence que cette branche du Droit de la Compliance, si "étrange"📎!footnote-2922 peut-elle paraître, trouvera sa cohérence. On le voit si fortement à propos de la vigilance ou à propos des données, qui relèvent l'un et l'autre du Droit de la Compliance.

Souvenons-nous de l'arrêt si surprenant Google Spain de 2014📎!footnote-2916 par lequel la Cour de Justice de l'Union européenne écouta la prétention d'un commerçant et qui, cette action ainsi ouverte, inventa pour le protéger le "droit à l'oubli. Le même Président de cette Juridiction écrivit en 2019 dans l'ouvrage Pour l'Europe de la compliance📎!footnote-2917 un article sur "Le juge de l'Union européenne dans une Europe de la Compliance"📎!footnote-2918montrant que les questions de concurrence, d'information et de données étaient et allaient être appréhendés par le Droit de la Compliance dans une même unité. Il y montrait que les entreprises étaient en charge de donner plein effet au Droit de l'Union européenne, lui-même indissociable de l'Etat de Droit, que le Juge vient en appui de cela, que pour cela elles développent de multiples normes (droit souple) et que le Juge contrôle l'usage qu'elles font de ce pouvoir nécessaire qu'elles exercent afin que le système général atteigne ses finalités.

 

6. Construction de l'étude⚖️Dans cette démonstration programmatique de 2019, dans cet article lui-même proche de ce "droit souple" si lié aux mécanismes de compliance📎!footnote-2919, le Président Koen Lenaert revient souvent sur le fait que l'Union européenne ne repose pas d'une façon première sur le principe du marché ou sur des volontés d'acteurs : elle repose sur l'État de Droit. Le rôle du Juge, personnage qui parait faible dans un système de la Compliance où il ne faudrait qu'obéir, mécanismes si puissants dans un monde où la technologie développe une puissance encore plus impressionnante, pourrait être de mettre la force qui lui est propre à continuer à être ce qu'il est : à savoir être le gardien de l'État de Droit, ce qui n'est pas si évident car de nombreux outils de la Compliance sont en quelque sorte "insensibles" à ce à quoi nous sommes attachés (I).  Le deuxième rôle que nous pouvons attendre du Juge est qu'il aide à permettre la permanence de cet État de Droit qui repose en grande partie sur lui face à un monde futur, en ce que celui-ci nous est inconnu, principalement dans sa dimension numérique et climatique, perspectives que le Droit de la Compliance veut, en renouvelant le Droit de la Régulation, saisir (II). Dans ce qui suppose à la fois un maintien profond d'un Juge que l'on voudrait exclure par des accords divers ou remplacer par des algorithmes, et une transformation profonde d'un office tourné vers le futur (III), ce sont tous les juges, pourtant si divers, qui vont converger (IV). Se mettra alors en place ce triangle parfait, dont la force et la simplicité permet l'usage du singulier et la conservation des majuscules : Régulation Compliance Juge

 

 

I. LE RÔLE PERSISTANT DU JUGE : DANS DES TECHNIQUES DE COMPLIANCE "INSENSIBLES", GARDER LES PRINCIPES CARACTÉRISANT L'ÉTAT DE DROIT

7. Ce qui est requis du Juge : restituer le sens et maîtriser la conduite⚖️Dans la "masse réglementaire" dont la mise en oeuvre a été transférée sur les entreprises et dont elles affirment qu'elles ne peuvent pas la maîtriser en raison de son ampleur, de sa variabilité et de son imprévisibilité, le Juge doit non pas garder cette "masse" car il ne peut pas le faire plus qu'un autre, mais garder "l'esprit des lois" (A). Notamment, alors qu'on décrit souvent la compliance comme une série de process, le Juge, et cela ne lui est-il pas naturel ?, doit préserver le Droit processuel dans cette masse de process, si souvent confiées à des algorithmes (B). 

 

 A. GARDER L'ESPRIT DES LOIS DANS LA MASSE RÉGLEMENTAIRE

8. Ce qui est requis du Juge : garder l'esprit des lois dans la masse réglementaire⚖️Les réglementations pleuvent. Le Conseil d'Etat📎!footnote-2925, comme Carbonnier avant lui📎!footnote-2924, a montré les dommages que cette "inflation" cause au système juridique. La structuration dans les entreprises d'un département en charge de la "compliance" qui soit distinct du service juridique pourrait aggraver les choses puisqu'il s'agit alors, faute à mettre des juristes dans le premier service, d'assurer à la lettre la conformité des structures et des comportements à toutes ces réglementations. Pour tenter de maîtriser cette masse, l'on segmente : ainsi, en matière de compliance, chaque réglementaire semble faire système autosuffisant : la compliance concurrentielle, la compliance financière, la compliance alimentaire, etc.📎!footnote-2929

Au fur et à mesure que se consolide ce qui serait par exemple le "système RGPD", objet de centaines d'études, le système juridique général dans lequel il se développe semble s'effacer : chacune des virgules étant une donnée, les systèmes juridiques étant comme effacé, le système européen ou le système juridique français. Le législateur français avait pourtant prit grand soin dans la transposition qu'il fut fait du Règlement européen de l'insérer dans la loi de 1978 dont le titre a été conservé). La constitution de plateformes documentaires consacrées à cette seule compliance-là accroît cet isolement. Cela sera le Juge, notamment la CJUE, qui, en revenant à l'esprit des lois, rétablit l'articulation entre les réglementations en se référant aux finalités et en présumant par méthode leur convergence!footnote-4316.

Ainsi dans cette masse où tout se vaut, se connecte mais aussi s'isole, il est indispensable que le Juge qui lui connait de tous les textes, garde l'esprit des lois : là où elles sont nées, là où elles s'étendent, là où elles s'entrechoquent dans des systèmes juridiques construits dans l'Etat de Droit où d'autres considérations existent. Le Juge doit garder l'esprit du Droit de l'Europe, cette histoire et ce projet auxquels les algorithmes sont insensibles, mais qui est commun à toutes ces régulations concrétisées par des comportements de compliance.

Les juges le font non seulement parce qu'ils appliquent les textes, mais cela l'administration ou les entreprises le font aussi, l'administration particulièrement pour le Droit de la Régulation, les entreprises particulièrement pour le Droit de la Compliance. Les juges le font d'une façon spécifique grâce aux disputes des parties, le rôle du Juge étant en cela indissociable de celui de l'Avocat📎!footnote-2926. En effet dans les cas qui lui sont soumis les parties peuvent évoquer les systèmes de Compliance les uns contre les autres, par exemple l'obligation d'informer au titre de la lutte contre la corruption et l'obligation de ne pas informer au titre de la protection des données personnelles. Les deux obligations qui paraissent contradictoires (transmettre l'information / ne pas transmettre l'information) retrouvent leur unité si le Juge, saisi par les prétentions contradictoires des deux parties dégage l'esprit du Droit de la Compliance : toujours protéger les êtres humains, parfois protégés par le secret et parfois protégés par la divulgation (ce que la technique du lancement d'alerte affine, les différences entre les systèmes juridiques montrant à quel point l'esprit des lois n'est pas le même aux Etats-Unis et en Europe📎!footnote-2927). 

 

8.1. Là où le Juge trouve l'esprit du Droit de la Compliance : les Buts Monumentaux⚖️Dès lors, seul le Juge, qui fût déjà qualifié de "Régulateur des régulateurs"📎!footnote-2923 exprimant ainsi l'unicité du Droit de la Régulation au-delà des régulations sectorielles, peut exprimer l'unicité du Droit de la Compliance, à travers l'esprit de celui-ci. Ce qui donne l'esprit  du Droit de la Compliance, ce qui permet de passer de la pluralité des compliance à l'unicité d'une branche du Droit, ce sont les Buts Monumentaux. Parce que l'ensemble des techniques visent le futur, le Juge va rechercher les principes qui sont dans les buts pour interpréter chaque disposition réglementaire et donner non seulement cohérence , mais encore simplicité et force à l'ensemble📎!footnote-2951.  

 

9. Ce qui est requis du Juge : garder le temps et les principes dans l'espace de justice qui lui est propre ⚖️Le Juge, quel qu'il soit, agit dans un espace qui lui est propre, le tribunal, même si celui-ci est ouvert sur la cité. Dans ce qui doit demeurer l'espace de justice📎!footnote-4317, le temps n'est pas fulgurant. L'on entend beaucoup de critique à ce propos mais ce temps juridictionnel qui s'étire est au contraire un atout parce que le Juge peut être celui qui demeure, qui prend le temps d'écouter, celui devant lequel l'on peut revenir. La question de la durée des procès de compliance est un sujet en soi, notamment parce qu'on demande au juge d'intervenir très rapidement, d'autant qu'il s'agit d'éviter la survenance d'un évènement systémique néfaste, mais le respect qu'il doit imposer des droits processuels ralentissent. La question des exécutions judiciaires immédiates et forcées est donc posées, comme celui des droits de la défense, n'a pas encore trouvé de réponses cohérentes.

Même si le juge doit se penser comme un juge d'appui, notamment dans le dialogue entre les entreprises et les parties prenantes, qui marque le lien entre le Droit de la Compliance et la gouvernance et est aussi la conséquence du fait que l'entreprise elle-même est juridictionnalisée par le Droit de la Compliance, le Juge doit demeurer dans cet espace de justice.  C'est au sein de celui-ci que le dialogue des Juges peut se développer. Le Juge ne doit pas devenir manager à la place des managers, législateur à la place du législateur, militant à la place des militants.

 

10. Ce qui est requis du Juge : garder les êtres humains comme mesure dans les projections des grands nombres promue comme modèle de l'art réglementaire⚖️L'analyse critique menée par Alain Supiot dans son ouvrage de référence La gouvernance par les nombres montre que la réglementation a du mal à s'extirper du calcul et de la quantification  📎!footnote-2952, comme si la puissance algorithmique étant son modèle d'excellence. Le temps viendra où l'on pensera que le système algorithmique serait le meilleur des Législateurs (d'ailleurs, l'on affirmera que les majuscules n'ont pas de place dans les textes). 

Dans cette perspective, qui est parfois promue, parfois tentée, la présence du Juge permet de préserver le Droit de la Compliance de ne pas sombrer dans ce vaste calcul pour s'ancrer dans le souci d'autrui. En effet, si le rôle du Juge ne devait être que de sanctionner l'inobservation par les entreprises de la masse des réglementations qui sont applicables à celles-ci, alors un algorithme le ferait beaucoup mieux que le Juge, qui est un être humain. La perspective d'une justice algorithmique n'est d'ailleurs pas une hypothèse d'école📎!footnote-2930, notamment parce qu'on y associe la compliance by design et ladite "intelligence artificielle.

 Mais si l'on associe Régulation et Compliance, il ne s'agit pas d'application mécanique mais d'agir pour atteindre des finalités pour que l'intérêt des systèmes et des êtres humains qui y vivent et y vivront soit préservé. Cette finalité, au centre du Droit de la Compliance, droit téléologique comme l'est le Droit de la Concurrence, requiert que le Juge veille à ce que ce souci demeure la mesure de l'interprétation et de l'application des règles : le principe majeur de la proportionnalité📎!!footnote-2931, si puissant en Europe, demeure actif grâce à lui.

 

 B. PRÉSERVER LE DROIT PROCESSUEL DANS LA MASSE DES "PROCESS"

 

11. Ce qui est requis du Juge : passer du rôle de "Régulateur des Régulateurs" à celui de "Superviseur des entreprises en charge de la compliance⚖️Le Droit de la Régulation a institué le Juge "régulateur des régulateurs📎"!footnote-2932. Une branche du Droit se construisant d'abord par la procédure, c'est d'abord en rappelant que les Autorités de Régulation qui sanctionnent un manquement et qui tranchent un différend exercent une fonction de tribunal "au sens européen", ce qui les obligent à être impartial. La culture commune des juges a fait que la règle a été exprimée par voix concordante de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat, du Conseil constitutionnel, de la Cour de justice de l'Union européenne. 

Passant De la Régulation à la Compliance, il est logique que le Juge exerce à l'égard des entreprises un rôle  analogue à celui qu'il a joué pour les Autorités de régulation : prendre acte des pouvoirs que le Droit de la compliance donne aux entreprises, les incitant à émettre du droit souple, leur reconnaissant le pouvoir d'exercer tous les pouvoirs requis pour exercer les missions que leur ont confiées les Autorités publiques📎!footnote-2933, par exemple les pouvoirs d'enquête et d'audit au sein de leur organisation et des chaînes de valeur dont elles sont maîtresses, les pouvoirs de sanctions, etc.

 

12. Ce qui est requis du Juge : l'exercice du pouvoir  de requalifier pour faire perdurer le droit processuel classique dans les process de compliance internes aux entreprises ⚖️Le premier rôle du Juge, exprimé par l'article 12 du Code de procédure civil, est de donner aux situations leur exacte qualification, la qualification donnée par les parties, voire par les lois, n'étant qu'une présomption de cette correspondance entre la réalité et les catégories juridiques du système juridique dont le Juge est le gardien.

Le Droit de la Compliance place les entreprises non seulement dans une situation d'obligation, à travers l'Obligation de Compliance à laquelle les lois les assujettissent📎!footnote-4318, ou l'obligation d'être vigilante📎!footnote-2934, et encore leur confère les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour satisfaire une telle charge📎!footnote-4319, par exemple afin de détecter et prévenir les risques le pouvoir d'évaluer les tiers, d'obtenir des informations, de refuser d'en transmettre, de sanctionner, etc.,

Dans l'exercice de ces pouvoirs, l'entreprise aura tendance à adopter une conception managériale, de gestion de risque impliquant l'obtention d'informations et leur mise en corrélation. le Juge doit pouvoir imposer le respect du Droit processuel dans la manière dont les entreprises agissent, dès l'instant qu'elles punissent, enquêtent, poursuivent.

Cela s'impose d'autant plus dans ce continuum qu'est "Régulation, Compliance, Jug", que la même façon que le Droit de la Régulation s'est déployé par cette emprise du Droit processuel dans les autorités📎!footnote-2935, l'on peut penser que les juges vont développer un souci pour les droits de la défense, par exemple dans les enquêtes internes ou les conventions judiciaires d'intérêt public. Cela dépend des qualifications juridiques précises retenues pour les unes et les autres et c'est donc le rôle du Juge que d'apporter une réponse à cela, dans un Droit processuel de la compliance📎!footnote-2957 qui ne fait que débuter📎!footnote-2936, permettant que l'on passe des process de compliance à des procédures telles que l'Etat de Droit les conçoit📎!footnote-2937.

Dans ce premier rôle, le Juge est donc le gardien de l'État de Droit, faisant en sorte qu'à travers la "masse réglementaire" et la "masse des process", ce soit bien l'esprit des réglementations, esprit commun au Droit de la Régulation et au Droit de la Compliance qui perdure, et que ce soit bien non pas une masse de technologies mécaniques mais des procédures ayant pour souci de mettre en balance l'efficacité de recherche des faits et de protection des systèmes avec la protection des êtres humains, qui constitue cette nouvelle branche du Droit. Ce rôle essentiel du Juge, centré sur l'État de Droit, est que la conception classique du Droit demeure dans ces outils si puissants de compliance.

Ces outils correspondent à la 4ième révolution industrielle, celle de la technologie, ces prouesses et ces dangers. En cela, la compliance est à la fois le reflet de cette révolution et ce qui pourrait permettre d'en conserver les bénéfices et de se soustraire à ses dangers qui menacent les systèmes et les êtres humains, en les détectant et en prévenant leur transformation future en catastrophe. Dans cette perspective, le rôle du Juge est nouveau parce que si le Droit de la Régulation s'est transformé en Droit de la Compliance, c'est parce qu'il s'est lui-même renouvelé pour faire face à un monde nouveau.

A monde nouveau, branche du Droit nouvelle et rôle nouveau du Juge qui doit faire plus que de préserver l'Etat de Droit. Il doit non seulement demeurer, il doit lui-même se renouveler.

 

 

II. LE RÔLE NOUVEAU DU JUGE : AGIR DANS LE DÉPLOIEMENT DU DROIT DE LA COMPLIANCE 

13. Un monde nouveau ⚖️Le Droit de la Compliance confie aux entreprises la charge de détecter les risques et de prévenir des événements futurs, participant ainsi directement à la construction du monde à venir. Or, la part de "nouveauté" de ce monde futur est sans doute plus élevé aussi bien dans ce qu'il a de sombre et dans ce qu'il peut recueillir d'ambitions nouvelles. C'est en cela que le Droit de la Compliance est la réponse juridique à de nouveaux risques (ce à quoi se réfèrent les buts monumentaux négatifs📎!footnote-2939) et l'appui pour de nouvelles ambitions, notamment humanistes, relevant des buts monumentaux positifs, dont le Digital Services Act donne pleine forme. Le Droit de la Compliance se saisit de ce monde nouveau, né sur les technologies et de risques globaux, dont le risque climatique est l'archétype.

Cette nouveauté systémique requiert beaucoup plus qu'un juge qui garde les principes, il requiert un juge qui lui-même se pense d'une façon nouvelle, en agissant d'une façon nouvelle (A), ne serait-ce que parce qu'on porte devant lui des prétentions nouvelles (B).

 

 A. LA NOUVEAUTE DES CONTRÔLES NORMATIFS EXERCÉS PAR LE JUGE VIA LE DROIT DE LA COMPLIANCE

14. Ce qui est requis du Juge : assurer un premier degré de contrôle normatif de compliance en contrôlant les actes souples de régulation par lesquels les Régulateurs intègrent dans les entreprises la façon dont elles doivent se comporter ⚖️Par le Droit de la Régulation, les normes de droit souple émises par les Autorités de Régulation en direction des entreprises pour leur indiquer la façon dont elles doivent se conduire, frontière avec la compliance puisque le Régulateur dit à voix douce ce qu'il attend des entreprises, soft law contre lequel le Conseil d'Etat en 2016 a ouvert la voie de l'action en justice. C'est bien le juge qui noua ainsi Droit de la Régulation et Droit de la Compliance. Doit-on aller plus loin dans les degrés ?

 

15. Ce qui est requis du Juge : opérer un deuxième degré de contrôle normatif de compliance en opérant le contrôle des actes souples de régulation par lesquels les entreprises recopient d'elles-mêmes les réglementations qui les régissent ⚖️Mais l'initiative peut venir de l'entreprise qui adopte des charges et autres lignes directrices par lesquelles elle affirme son consentement à exécuter directement les réglementations pour que ceux-ci produisent les effets pour l'obtention desquels les Autorités publiques les ont édictés. C'est pourquoi la jurisprudence judiciaire a affirmé qu'une entreprise peut mettre fin à une relation contractuelle pour violation par son co-contractant de la charte de la première en ce que celle-ci ne fait que reprendre une législation d'ordre public, en l'espèce relative à la lutte contre la corruption.

 

16. Ce qui est requis du Juge : opérer un troisième degré de contrôle normatif de compliance en contrôlant les actes juridiques ou les organisations de fait  par lesquels les entreprises vont au-delà des exigences que les Autorités publiques ont formulées ⚖️Autant il est acquis qu'une entreprise, sujet de droit comme un autre, ne peut produire des normes allant à l'encontre des réglementations, autant l'on peut supposer qu'elle peut, en tant que personne juridique, utiliser sa volonté pour ajouter celle-ci à celle de l'Autorité publique pour aller plus vite ou plus loin que ne l'a fixé celle-ci📎!footnote-4320. L'entreprise le fera en édictant des normes générales par des chartes ou des contrats-cadres ou des normes techniques, sanctionnant les manquements qui pourront y être faits par différentes personnes que sont ses collaborateurs, ses contractants, voire les "membres de sa communauté".

Mais une entreprise ne peut être assimilée à un Etat ou/et à un législateur, même dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire ou de son pouvoir d'organisation. Ainsi, le juge contrôlera ces engagements📎!footnote-4321lorsqu'ils prennent la forme d'une clause contractuelle, nul doute, le Droit des contrats l'y conduit, la finalité spécifique de Compliance qui imprègne alors la clause infléchissant son office📎!footnote-2943Lorsque l'entreprise utilise sa liberté pour s'organiser afin d'exécuter son obligation légale de compliance, le juge pourra y réagir en considération cette situation de fait, si la personne qui allègue celle-ci lui démontre l'existence d'un faute ou d'une négligence ayant causé un dommage, le juge engageant alors la responsabilité de l'entreprise📎!footnote-4322.

 

 B. LA NOUVEAUTÉ DE L'APPUI APPORTÉ PAR LE JUGE AUX ENGAGEMENTS REQUIS PAR LE DROIT DE LA COMPLIANCE

17. Ce qui est requis du Juge : la cristallisation des engagements juridiquement pris les entreprises selon les dispositions légalement organisées ⚖️Peut-on aller plus loin et soutenir que le Juge ait pour rôle dans ce monde nouveau, où la puissance des entreprises globales excède celle d'Etats qui demeurent dans leurs frontières pour faire en sorte que tout à quoi une entreprise s'engage à l'égard de tous devrait être exécuté ? Non, car les entreprises ne gouvernent pas le monde et si le Juge reconnaissait une telle portée aux déclarations générales et abstraites des entreprises pour l'avenir à l'égard d'un ensemble de personnes ou de choses (par exemple les océans, l'air, etc.), cela serait leur reconnaître de jure  un pouvoir constitutionnel puisqu'elles pourraient fixer les règles valant pour le monde.

En les rendant responsables pour tous et pour tout, le Juge rendrait les entreprises légitimes à gouverner de jure le monde, notamment dans l'avenir de celui-ci.  Le juge ne doit pas les reconnaitre responsables d'une façon générale car cela serait les instituer régente de tout et de tous pour maintenant et pour l'avenir📎!footnote-4323. La responsabilité doit rester dans son ordre, qui est celui des situations de fait, et ses trois éléments déclenchant : une faute ou une négligence, un dommage et un lien de causalité.

A l'inverse, les programmes de compliance imposées par un régulateur ou par un juge sont par définition des engagements, qui acquièrent cette qualité du fait de l'intervention du juge. Ainsi, en matière pénale, l'ordonnance de validation qui donne force à la convention judiciaire d'intérêt public scelle l'engagement de l'entreprise qui consent à la proposition faite par le procureur. Puisqu'il y a eu négociation entre l'entreprise et l'autorité de poursuite, c'est bien un engagement volontaire de l'entreprise, qui peut choisir de ne pas accepter et d'aller combattre devant le Juge pénal, préférant l'application unilatéral du Droit pénal à l'engagement apporté à la proposition du procureur, devenu obligatoire par la puissance de la validation conférée par le président du Tribunal judiciaire📎!footnote-2953

Il faut qu'il y a des dispositions légaux précis pour que le Juge ou le Régulateur soit habilité à engendrer des engagements de la part des entreprises. Cela est développé dans l'étude "A quoi engagent les engagements"📎!footnote-4326, notamment à propos de la CJIP et des engagements pris à l'égard des Autorités de concurrence ou de régulation financière dont les décisions créent leur nature juridiquement obligatoire.

 

18. Le  Juge ne peut transformer en engagements juridiquement contraignants des simples méthodes d'organisation ou des informations communiquées : le juge garde la distinction entre les obligations de dire et les obligations de faire ⚖️Peut-on aller plus loin et soutenir que le Juge ait pour rôle de transformer en engagements juridiquement contraignants ce que les entreprises désignent comme étant leur cadre d'action et leurs objectifs ? Non, car les entreprises ne gouvernent pas le monde et si le Juge reconnaissait une telle portée aux déclarations générales et abstraites des entreprises pour l'avenir à l'égard d'un ensemble de personnes ou de choses (par exemple les océans, l'air, etc.), cela serait leur reconnaître de jure  un pouvoir constitutionnel puisqu'elles pourraient fixer les règles valant pour le monde. 

Les entreprises établissent des stratégies dans lesquelles elles expliquent leurs actions futures dans lesquelles qu'elles ont commencé à se déployer, à s'engager (au sens d'une action débutée et qui se prolonge), mais le juge ne peut pas sur cette seule base transformer cette action en engagement juridique. Plus précisément, le juge ne peut pas transformer l'obligation qu'a une entreprise d'informer sur cette stratégie, notamment en matière éthique, sociale et environnement, (obligation de dire impliquée par la CSRD), en obligation de faire une telle stratégie. De l'obligation de dire ne découle pas une obligation de faire : le juge ne peut pas inventer un engagement de faire d'une obligation légale d'informer📎!footnote-4325.

En les rendant responsables pour tous et pour tout, le Juge rendrait les entreprises légitimes à gouverner de jure le monde, notamment dans l'avenir de celui-ci.  Le juge ne doit pas les reconnaitre responsables d'une façon générale car cela serait les instituer régente de tout et de tous pour maintenant et pour l'avenir📎!footnote-4323. La responsabilité doit rester dans son ordre, qui est celui des situations de fait, et ses trois éléments déclenchant : une faute ou une négligence, un dommage et un lien de causalité.

 

 

 C. LA NOUVEAUTÉ DES REMÈDES, À L'ÉLABORATION DESQUELS LE JUGE CONTRIBUE POUR L'EFFICACITÉ DU DROIT DE LA COMPLIANCE

19. Ce qui est requis du Juge : l'incitation à trouver des remèdes s'appuyant sur la puissance des parties ⚖️C'est encore dans le Droit de la concurrence, branche du Droit que l'on peut qualifier de systémique puisqu'il vise le système concurrentiel, ce qui est particulièrement net dans sa branche techniques visant les structures de marché c'est-à-dire le contrôle des concentrations et du contrôle substantiel qu'en font les juges du recours📎!footnote-2942, que l'on trouve la technique des remèdes.

 

20. L'activation par le juge du DMA par l'esprit et la technique de la Compliance⚖️Le Juge va respecter l'esprit du Droit de la Compliance, branche du Droit tourné vers le futur et tendu vers les buts monumentaux, en contribuant à dégager des remèdes, c'est-à-dire des solutions : réparer, obliger à faire, ouvrir des dialogues, faire intervenir des tiers, inciter à des engagements, obliger à des cessions, nommer des moniteurs, élaborer lui-même des programmes de compliance. Tout ce que le Droit des contrôles de concentrations, Droit de la régulation logé dans le Droit de la garde Ex Ante de la structure concurrentielle des marchés, esprit que le Digital Markets Act applique à l'espace digital.

Le Juge européen, qu'il soit lui-même européen ou national, va pouvoir activer la puissance des entreprises pour qu'elles gardent par l'usage de cette puissance la structure concurrentielle des marchés numériques sur lesquelles elles se déploient. En ayant à l'esprit ce but structurel Ex Ante, dont la concrétisation repose sur les entreprises systémiques elles-mêmes, responsables du seul fait qu'elles sont puissantes, rendues "gardiennes" Ex Ante du système de ce seul fait. Dès lors, de la même façon que la jurisprudence a pu poser que tout juge national est juge du système européen de la concurrence, elle pourra poser que tout juge national est, via le DMAjuge du système européen de régulation Ex Ante du dynamisme concurrentiel de l'espace numérique📎!footnote-2954. La décision de la Commission européen du 23 avril 2025 qui ne poursuit pas son enquête contre Apple concernant des clauses parce que l'entreprise a remédié aux risques d'abus que celles-ci recélait au regard de l'ouverture des concurrents dans le système des applis en  modifiant les clauses par une collaboration active avec les services de la Commission est une illustration de cela📎!footnote-4327

 

21. L'activation par le juge du DSA par l'esprit et la technique de la Compliance⚖️Plus encore, le Juge va agir  de la même façon lorsqu'il va connaître des contentieux engendrés par la mise en application du Digital Services Act. L'on a pu expliquer que ce texte fondateur est entièrement animé par un esprit de compliance puisqu'il s'appuie sur la puissance des opérateurs numériques pour veiller à ce que l'espace numériques se développe comme un espace civilisé📎!footnote-4328. S'opère alors un dialogue entre le Régulateur, c'est-à-dire les différents régulateurs, et le Juge, c'est-à-dire les différents juges.

L'usage du DSA par le juge, dans le contentieux systémique qui va en naître devant lieu va être sans commune mesure avec les enjeux qui se développent pour l'instant dans les chaines de valeur car l'espace numérique pourra ainsi être régulé alors qu'il ne constitue pas ni un secteur ni un territoire, par l'internalisation dans les opérateurs cruciaux de l'impératif de durabilité de l'ensemble de cet espace.

A ce titre, les noms de domaines, constituant un élément essentiel de l'architecture de l'espace numérique et un élément technique de sa durabilité, ont des spécificités qui relèvent du Droit de la compliance et de sa logique, à savoir des Buts Monumentaux qui s'imposent aux opérateurs et tiennent à la technique même, auxquels des législateurs peuvent éventuellement ajouter des buts politiques sociétaux mais ne peuvent retrancher des objectifs techniques qui pourraient mettre en cause cette durabilité technique, pour la réalisation de laquelle les opérateurs des noms de domaines sont libres de choisir les modes techniques, sous la supervision des autorités publiques📎!footnote-4329. Dans cette architecture globale, le Juge assure cette articulation entre le pouvoir des Autorités publiques de fixer les buts et les pouvoirs des opérateurs cruciaux de mettre en oeuvre les moyens adéquats pour les atteindre📎!footnote-4330.

 

 D. LA NOUVEAUTÉ DU RENFORT DE DURABILITÉ APPORTÉ PAR LE JUGE AU DROIT DE LA COMPLIANCE

 

22. Le rôle du juge de la Compliance, constructeur de durabilité d'espaces nouveaux dont l'enjeu est de demeurer ⚖️Le Droit de la Compliance est le prolongement du Droit de la Régulation en ce que comme celui-ci il se situe en Ex Ante, les entreprises s'organisant pour s'informer, informer, bâtir des systèmes d'alerte, élaborer des textes à portée mondiale, etc., pour que demain soit identique, par exemple que la corruption ou la pollution ne s'installe pas, voire que demain soit meilleure aujourd'hui, par exemple que la probité progresse ou des forêts soient replantées. Les notions de durabilité et de transition sont des notions-clés. Empruntés à ce qui était propres à des Régulations, la durabilité étant ancrée dans la Régulation bancaire, la transition étant ancrée dans la Régulation énergétique, c'est désormais dans l'ensemble du Droit de la Compliance qu'on les retrouve.

La Vigilance étant "la pointe avancée" de la Compliance📎!footnote-4331, l'on y retrouve cet impératif de durabilité, la durabilité n'étant pas le propre des questions climatiques ou des droits humains, mais le propre des systèmes📎!footnote-4332.

De la même façon que les notions de faute ou de marché ont pu être considérées comme étant des notions de droit, parce qu'elles méritaient d'être contrôlées, la notion de durabilité mérite la même qualification parce qu'elle appelle la même garde par les Hautes Juridictions. La durabilité importe avec elle les techniques de transition et de supervision. Elle est une notion centrale du Droit de la Compliance, et notamment des techniques de Vigilance. Cela explique que des textes ayant des objets techniques différents, comme la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui développe des obligations d'information, et la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligences Directive) qui développe des obligations de faire, sont des textes gémellaires📎!footnote-2967 et doivent être articulés dans une interprétation cohérente, ce dont le Juge a la garde.

 

23. Le rôle du juge de la Compliance, constructeur de durabilité de l'espace numérique ⚖️L'Dans cette extraordinaire codification que l'Union européenne est en train de construire pour exprimer sa tradition humaniste à travers un Droit européen de la Compliance📎!footnote-4333, ce que l'on ne voit pas dès l'instant que, confondant Droit de la Compliance et simple "conformité, l'on n'y voit qu'une "masse réglementaire", l'on ne perçoit pas que chaque texte est en corrélation avec les autres. Qu'est que l'on plan Europe vient d'adopter deux textes de Droit de la Compliance : le Digital Markets Act et le Digital Services Act, le premier rendant les entreprises directement comptables (accountable) de la structure concurrentielle de cet espace-là, le second confiant aux opérateurs numériques le soin de veiller, sous la supervision du Régulateur et le contrôle du Juge, à ce que ce qui se crée, se fait, se dit, dans un espace où nous vivons tous, ne détruise pas la civilisation. La mise en oeuvre du DSA suppose que le Juge intègre cette finalité comme étant la norme d'interprétation de l'ensemble des textes, l'esprit de la loi à l'aune de laquelle le contrôle des textes, le prononcé des sanctions et les disputes des parties doivent être menés par les juridictions. 

 

24. Le rôle du juge de la Compliance, constructeur de durabilité de l'espace des filières (exemples de l'agro-alimentaire et de la distribution)⚖️C'est la même idée qui justifie la puissance de la Compliance dans l'espace des filières, par exemple la filière agro-alimentaire. Ainsi de la même façon que la notion de "secteur" se superpose sur la notion de "marché", n'en a ni les mêmes contours ni la même substance et n'appelle pas les mêmes règles, la notion de "filière" trouve enfin sa place en Droit📎!footnote-2968. L'économie agricole a souffert d'être juridiquement insérée dans le Droit civil, ce qui contribua à ce qu'elle ne soit guère techniquement saisie que par le biais des subventions. La "régulation agricole", qui intègre enfin la durée, va pouvoir se développer, intégrer l'amont et l'aval, intégration que le Droit de la concurrence n'a pas de raison de briser, sauf à apporter des justifications. 

A l'inverse et avec le même effet heure, la distribution, qui est pour l'instant toujours saisie par un "Droit de la distribution" qui n'est qu'un mixte de Droit de la concurrence (à travers la transparence tarifaire, etc.) et de Droit des contrats (à travers les contrats-cadre, groupe de contrats, etc.), la notion de "réseau" va pouvoir être directement saisie📎!footnote-2969

 

25. Le rôle du juge de la Compliance constructeur de durabilité de l'espace des "chaines de valeur"⚖️La notion de "chaines de valeur" est la plus nouvelle et la plus attachée au Droit de la Compliance, mettant plus encore le Juge au cœur du dispositif. C'est en effet la loi de 2017, dite "Vigilance" sur le devoir de vigilance qui a visé les chaînes de valeur pour mettre à la charge de la société-mère ou de l'entreprise donneuse d'ordre ce devoir légal d'être vigilant afin de détecter et de prévenir les atteintes à l'environnement et aux droits humains. La nouveauté de la notion "d'entreprise donneuse d'ordre" et l'absence de lien juridique nécessaire même par transitivité contractuelle ou sociétaire, une relation économique établie suffisant, a conduit à intégrer en Droit ce qui est maîtrisé en sciences économique et de gestion : la "chaine de valeur". L'analyse de cette innovation est développée dans l'étude "L'Obligation de Vigilance, pointe avancée et part totale de l'Obligation de Compliance"📎!footnote-4334.

Si le juge ne saurait se substituer à l'entreprise assujettie dans l'élaboration de sa stratégie qui intègre cette obligation de vigilance pas plus qu'il ne peut transformer cette obligation en garantie que devrait offrir les grandes entreprises à toute personne et à toute chose d'être prémunie de la personne de tout dommage sans qu'il ne soit plus nécessaire de démontrer l'imputation d'une faute ou d'une négligence et d'un lien de causalité📎!footnote-4335, il demeure qu'il rend effectif, efficace et efficient cette obligation de prévenir les atteintes à l'atteinte à l'environnement et aux droits humains : pour cela, le juge contrôle l'effectivité de la mise en place des structures de vigilance (obligation de résultat) et les moyens librement mis en place par l'entreprise qui réagit aux effets produits par ceux-ci au regard des buts légalement posés (obligations de moyens)📎!footnote-4336.

 

III. LA TRANSFORMATION DU JUGE POUR RÉPONDRE AUX PRÉTENTIONS DE COMPLIANCE DÉVELOPPÉES DANS DES CAUSES SYSTÉMIQUES

26. Souvenir du prêteur romain ⚖️Oublions un instant le Juge américain dont on nous parle tant pour  demander qu'on y "réagisse" afin de le rejeter, pour nous souvenir plutôt du prêteur romain, qui laissa tant de traces dans le Droit britannique et dont nos systèmes gardent la trace, ne serait-ce que dans les lignes de l'article 4 du Code civil. Ce juge romain qui, saisi de questions par des personnes venues le voir pour lui exposer leur situation, lui demandaient en premier lieu de les entendre, au sens juridique du terme, c'est-à-dire de leur reconnaitre un droit d'action. En Droit de la Compliance, c'est avant les questions de qualité à agir et d'intérêt à agir que les Hautes Juridictions doivent fixer. Si l'on écoute davantage ce que disent les parties, aussi bien en demande qu'en défense, ce qu'elles soutiennent, ce qu'elles allèguent, ce sont des "prétentions systémiques" (A). Face à ce nouveau type de causes, par leur objet et par le nouveau type de prétentions qui se développent de part et d'autre, le juge doit adapter sa méthode, voire en inventer d'autres (B).

 

A. LES PRÉTENTIONS DE COMPLIANCE, PRÉTENTIONS SYSTÉMIQUES DANS DES CAUSES SYSTÉMIQUES

27. Les "causes systémiques"⚖️La notion de "cause systémique" a été dégagée en doctrine en 2021📎footnote-2959 et formulée lors d'un colloque qui s'est tenu à la Cour de cassation, dans lequel intervenaient juge administratif, juge pénal et juge civil📎!footnote-2961. Un cause systémique correspond en effet peu à un de ces 3 contentieux isolés, de la même façon que le Droit processuel, commun au 3, leur sied📎!footnote-4337.

La notion de cause systémique est centrale parce qu'elle vise des causes particulières qui implique un système tout entier, par exemple le système bancaire, financier, numérique, climatique, etc. Par définition, le contentieux de la Compliance engendre des litiges entre des personnes particulières qui sont des causes systémiques. L'effet jurisprudentiel en est par naturel de grande portée📎!footnote-2960 : ce n'est pas par volonté de pouvoir du juge, c'est par l'effet de la nature de la cause elle-même car en statuant (et il ne peut pas refuser de statuer) sur un fait climatique ou un fait de plateforme ou un fait de chaine de valeur, l'impact sur les situations systémiques futur a lieu.

 

28. Mixité de la dimension objective et subjective de la cause⚖️Dans toutes les causes qui sont soumises aux juges, il y a des intérêts subjectifs (les parties au litige ont un intérêt) et souvent des droits subjectifs en jeu : par exemple les droits à la vie privée, les droits de propriété, les droits à l'information des investisseurs. Ces droits et intérêts sont allégués aussi bien par celui qui a place processuelle de demandeur que par celui qui a celle de défendeur. Mais sont également impliqués les intérêts objectifs des systèmes. C'est cela qui rend la cause systémique.

Les deux s'entremêlent et peuvent soit se renforcer soit se contrarier. Cette mixité est l'ordinaire du contentieux administratif, qui marque de son empreinte tout le Droit de la Régulation, y compris lorsque celui-ci prend place devant des juridictions judiciaires, comme la Cour d'appel de Paris, et l'on retrouve cette même mixité dans le contentieux devant les juridictions judiciaires, bien au-delà de celui des sanctions, notamment à propos des engagements, par exemple à propos des contrats d'assurance, qui sont imprégnés de compliance📎!footnote-2948.

 

29. Les contentieux de compliance, causes systémiques⚖️En effet, la notion de "cause systémique" est une notion qui doit être intégrée plus généralement dans les causes de compliance, puisque le Droit de la Compliance est lui-même de dimension systémique📎!footnote-2945. Dans de nombreux  cas qui impliquent le Droit de la Compliance, un système est en jeu, par exemple le système bancaire, ou le système climatique, ou le système ferroviaire, etc. Dans un même cas, plusieurs systèmes peuvent converger, par exemple le système de paiement et le système numérique, mais aussi des systèmes peuvent se contrarier, par exemple le système de protection des données et le système de lutte contre la fraude fiscale. Dans ces causes systémiques, le Juge va devoir, comme le fait souvent l'Etat ou l'entreprise eux-mêmes, tenir les systèmes en équilibre pour dégager la solution. Ce qui fut désigné comme l'interrégulation📎!footnote-2947 est alors l'opération délicate qu'il doit opérer.

 

30. Les contentieux de compliance, une organisation probatoire spécifique⚖️Le Juge prend alors connaissance des situations par l'exposé que demandeurs et défendeurs lui en font, la mise en état étant la phase essentielle. Cette dimension probatoire étant essentielle, alors que le système probatoire de la Compliance est encore assez embryonnaire📎!footnote-2958, la jurisprudence devant, de cas en cas, au fur et à mesure que le Juge donnera son autonomie à la détection et à la prévention des risques comme obligation (ou/et comme devoir)  par rapport au manquement qu'il s'agit d'éviter, comprendre tout le système de prévention, et la façon dont l'entreprise, selon son identité, sa position dans le système et ses choix stratégiques, doit y participer. Toute la perspective probatoire est elle-même systémique, reposant sur l'articulation entre l'obligation d'action reposant sur les entreprise et leur liberté dans la mise en oeuvre de leur obligation légale de compliance📎!footnote-4338.

 

B. POUR CE NOUVEAU RÔLE DU JUGE IMPLIQUÉ PAR LE NOUVEAU DROIT DE LA COMPLIANCE : UNE MÉTHODE RENFORCÉE

31. Un Juge qui, par méthode, toujours écoute les intérêts divergents mais garde la mesure des intérêts défendus⚖️Puisque le Droit de la Compliance prolonge et déploie le Droit de la Régulation en l'internalisant dans les entreprises sans oublier pour autant les buts d'intérêt public pour lesquels le système a été mis en place, le Juge qui va contrôler une situation pour apprécier sa légalité, régler une dispute ou sanctionner un manquement est en quelque saisi de tous les côtés dans des contentieux souvent spectaculaires et violents, même lorsqu'ils se déroulent devant un juge civil, par exemple en matière de Vigilance. Le conflit pouvant être un mode d'expression du Droit, le juge écoute les uns et les autres, son office procédural de toujours puisque, comme le rappelle l'article 16 du Code de procédure, il respecte et fait respecter le contradictoire.

Mais la tendance est forte de la part de certaines parties non seulement de se prévaloir de leurs qualités et intérêts, mais encore de ce qui serait une sorte d'intérêt universel, allant au-delà de l'intérêt général, intégrant l'intérêt global dans l'espace et dans le temps, ce que l'on pourrait appeler les "tiers lointains" (les populations géographiquement éloignées et les générations futures, notamment), à l'aune duquel l'intérêt général défendu par l'Etat apparait restraint.

Les juges n'ont pas accepté cette extension, ni le Tribunal judiciaire de Paris, ni la Cour d'appel de Paris dans ses arrêts du 18 juin 2024, ni la CEDH dans son arrêt du 9 avril 2024, ni la Cour d'appel de La Haye du 14 octobre 2024. Ces juridictions ont rappelé que la partie ne peut saisir le juge que si elle peut se prévaloir d'un intérêt concret, particulier et direct par rapport à l'objet de la demande. Dans le cadre de l'Obligation de Vigilance, la Cour d'appel de Paris a précisé que la satisfaction de cette exigence suffit à lui donner accès au juge, même si elle n'a pas participé aux étapes préalables de la mise en demeure, ce qui montre la pertinence du critère de l'intérêt particulier du litigant.

 

32. Un Juge qui , par la méthode téléologique, garde à l'esprit la simplicité des buts visés par les textes à appliquer et reconnait l'extrême complexité et évolution des moyens techniques impliquées ⚖️Tout le Droit de la Régulation, de la Compliance et de la Vigilance repose sur la simplicité des Buts Monumentaux posés par les Autorités politiques (lutter contre le blanchiment, la discrimination, la corruption, le changement climatique néfaste, etc.) et la très grande complexité des moyens à mettre en oeuvre, laissée aux entreprises. De cette conception essentielle📎!footnote-4339, découle logiquement la méthode que le Juge doit adopter.

En effet, le Juge doit avoir une vision simple de la finalité des réglementations et une conscience de la grande technicité des moyens mis en oeuvre pour l'atteindre. C'est par la simplicité des buts que cette masse de dispositions techniques peut être maniée, puisque le Juge va leur appliquer une interprétation téléologique, en imprimant aux dispositions techniques le sens que leur confèrent les buts simples voulus par les auteurs des textes.

Ainsi le juge peut d'une part en se reposant sur le principe de liberté des moyens par l'entreprise et d'autre part en interprétant les textes à partir des Buts Monumentaux (qui sont simples et clairs), construire la jurisprudence cohérente produisant la sécurité que l'on attend de lui  .

 

33. Un juge qui, par méthode, écoute les Régulateurs, superviseurs des entreprises ⚖️Dans les systèmes de compliance, les opérateurs sont donc tenus par les finalités mais libres de choisir les moyens sur la mise en place desquels ils sont comptables, étant supervisés par des Régulateurs que le Droit de la Compliance a transformés en Superviseur📎!footnote-2949. L'Arcom est exemplaire de cela📎!footnote-2950. Le plus souvent les textes articulent expressément Autorités de Régulation et juges, par exemple en matière financière ou en matière numérique.

S'ils ne le font pas ou si le juge n'est pas saisi sur le fondement d'un texte spécial mais sur celui du droit commun (notamment droit du contrat ou de la responsabilité), le juge gagnera toujours à les écouter, car ils sont les mieux placés pour formuler une opinion à son bénéfice. Car en raison de la technicité et de la diversité des intérêts, le premier mérite du juge est sans doute de poser qu'il ne sait pas et que même des pouvoirs inquisitoriaux ne lui permettent pas de trouver seul le remède le plus adéquat à une cause systémique de compliance.

 

34. Un Juge qui, par méthode, pose qu'il sait qu'il ne sait pas : le renouveau du débat ⚖️Dans les procédures de compliance, ce sont les parties qui apportent les informations, l'entreprise étant recevable à se constituer une preuve ce qui pourrait lui être contesté puisqu'on lui demande de montrer qu'elle exécute son obligation légale de compliance📎!footnote-4340. Le juge, qui est le maître de la procédure et ce d'autant que le "système" dont les intérêts spécifiques engendrent la spécificité du contentieux n'est pas à proprement représentée puisque les litigants ont leur intérêt propre à défendre, doit pouvoir organiser un débat plus nourri que celui-ci que celui qu'aurait produit une procédure simplement accusatoire, telle que le principe dispositif l'engendre.

En effet, si l'on lie le débat avec l'inquisitoire, le juge peut alors dessiner le débat en fonction de ce dont il a besoin lui de s'instruire, afin de juger "en connaissance de cause".  C'est pourquoi l'usage d'un amicus curiae, qui est une mesure technique ordinaire📎!footnote-2963 et auquel le juge administratif a recours📎!footnote-2964 notamment en raison de la dimension systémique des causes dont il est saisi, est un procédé qui va alors de soi. Plus encore, non seulement, la technique du débat est adéquate mais celui-ci doit être organisé par le juge, en fonction de ce qu'il veut en apprendre : par écrit et par oral, au rythme des questions qu'il veut aussi poser, dans la confrontation des thèses soutenues(cross-examination). Dès l'instant que le débat a cette première fonction heuristique, les parties au litige y ont place naturelle, mais plus forcément exclusive.

 

35. Un Juge qui, par méthode, écoute les opinions de ceux qui ne sont pas "parties au litige" mais gagneront à être "parties à l'instance" ⚖️Le système juridique français a été construit procéduralement sur la distinction entre les intérêts individuels et l'intérêt général, ce qu'exprime l'adage Nul ne plaide par procureur, l'articulation se faisant entre les deux📎!footnote-2970. Mais en premier lieu la notion d'intérêt collectif, récusée par le Droit Intermédiaire, resurgit peu à peu, non seulement seulement dans les structures sociétaires à travers notamment la loi dite Pacte de 2019 suite notamment du rapport dite Notat-Sénart📎!footnote-2971,  mais encore en Droit processuel, implique un rôle accru des associations, auxquelles le Droit de la Compliance, notamment en matière de Vigilance, fait une place importante, dès l'instant que l'objet du litige correspond à l'objet social.

En second lieu et plus encore, Motulsky, maître du Droit processuel et grand Législateur, a pris soin de distinguer, à la suite d'Hébraud, la partie au litige et la partie à l'instance :  toute personne qui a un intérêt dans la dispute est de droit partie à l'instance, mais cela ne signifie pas que quelqu'un qui n'a pas un intérêt singulier à la dispute n'est pas un accès à l'instance, notamment au débat contradictoire qui s'y déroule devant le Juge. Comme le formule Thibault Goujon-Béthan, c'est alors "l'arrière-litige"📎!footnote-4341, par exemple l'égalité entre les femmes et les homme, la souveraineté énergétique, le respect des personnes dans l'espace numérique, etc., pour lesquels des associations, des Administrations, d'autres juges, des savants, ont des choses à dire, voire des prétentions abstraites à formuler.

En effet, parce que le débat contradictoire est dans l'intérêt des parties au litige parce qu'elles peuvent y défendre leurs intérêts, le contradictoire rejoignant alors les droits de la défense, ce débat est aussi au bénéfice du Juge, puisque c'est ainsi qu'il s'agit sur les faits et le Droit, le débat étant un mode probatoire. A  ce titre, toute personne représentant un intérêt collectif ou portant un système impliqué ou une place économique et financière📎!footnote-2973 ou les générations futures, ou l'état d'une science (climatique, biologique, médicale, algorithmique, etc.).

Comme le fait le Droit processuel américain, ces parties à l'instance qui ne sont pas parties au litige doivent être soumises au débat, notamment à 'interrogatoire croisé📎!footnote-2974.  Cet exemple montre que les techniques procédurales de l'arbitrage international gagneront à être importées dans les causes systémiques de compliance, au-delà de cette technique de cross-examination.

 

36. Un juge qui, par méthode, recherche des solutions pour l'avenir⚖️Même si la procédure est une branche du Droit à ce point autonome du Droit substantiel qu'on a fini à la suite de Motulsky par admettre qu'elle ne soit plus la "servante" de celui-ci📎!footnote-4342, il demeure que les deux convergent pour aboutir aux résultats souhaités, le cœur processuel commun n'ayant pas anéanti le lien qui demeure entre la procédure choisi et le droit substantiel revendiqué. Mais le contentieux systémique met au cœur du procès la préservation des systèmes à l'avenir, préservation à laquelle chacun doit participer.

Ainsi parce que le Droit de la Compliance a pour objet l'avenir, le Juge va développer les mécanismes processuels pour favoriser les "solutions pour l'avenir". Trancher le litige peut constituer une solution en ce que cela "arrête" la dispute. L'on a tant écrit pour le caractère exact ou inexact d'une telle affirmation, qui sembla incontestable, aujourd'hui davantage remise en cause. Mais trancher et dire le droit concerne surtout le passé et le présent. En pratique, c'est plutôt dans le dispositif, partie moins étudiée des jugements, que peuvent se développées des techniques juridictionnelles📎!footnote-4343

Le Droit de la Compliance, par nature Droit Ex Ante et dont l'objet est donc l'avenir puisque sa normativité juridique est ancrée dans des Buts qu'il s'agit de concrétiser📎!footnote-4344, développe des techniques dont l'objet est l'avenir. Cela est vrai pour les process dans l'entreprise ; cela dot l'être aussi pour le Juge dont l'office se déploie ainsi également en Ex Ane. Il s'agit notamment des "peines de conformité"📎!footnote-2975 ou les programmes de compliance et autres engagements, plus ou moins spontanés, que les juges suscitent ou imposent. Plus le juge sera apte à amener à de telles solutions et plus le contentieux de la Compliance ne sera pas pathologique mais intégré dans le déploiement du Droit de la Compliance lui-même📎!footnote-4345.

 

37. Pour donner concrètement les moyens au juge : une question de textes, de moyens ou de culture ?⚖️Pour développer cela, faut-il changer les Codes qui régissent respectivement la procédure pénale, la procédure civile, la procédure administrative, voire arbitrale📎!footnote-4346 ?  Peut-être si les pouvoirs dont a besoin le Juge pour rendre effective l'Obligation de Compliance sont de nature violente, car le principe de la légalité des délits et des peines l'implique. Mais n'a-t-il pas plutôt besoin d'inciter, d'écouter et de réunir ? N'a-t-il pas plutôt besoin d'être aidé, autrement que par le choc des thèses de ceux qui s'affrontent ? N'a-t-il pas plutôt besoin de changer de culture, ce dont il s'acquitte déjà plutôt bien puisqu'à lire les jurisprudences à l'égard de l'Etat, des entreprises cruciales et des organisations représentant la société civile, c'est bien une nouvelle culture que le Juge exprime. C'est encore plus vrai dans les procédures arbitrales car ce n'est qu'une question de culture pour que des tribunaux arbitres viennent en soutien des obligations de compliance, notamment dans sa pointe avancée que sont les obligations de vigilance📎!footnote-4347.

L'essentiel est en effet que se développe une culture commune à tous ces juges qui vont se saisir de l'Obligation de Compliance car celle-ci va se déployer dans toutes les branches du Droit et, en conséquence, devant tous les juges. Qu'il s'agisse du Juge administratif, dont on a mesuré le rôle pionnier dans les arrêts Grande Synthe📎!footnote-2976du Juge pénal, par l'arrêt sur la transmission de l'aptitude pénal en cas de fusion des personnes morales📎!footnote-2978, ou du juge civil, qui visa les Buts Monumentaux de la Compliance permettant de donner une interprétation simple et unifiée des obligations techniques de vigilance dans la décision dite TotalOuganda📎!footnote-2979, c'est toujours la même culture de compliance qui est exprimée par le Juge, voire qui est expliquée par le Juge.

 

IV. DES JUGES DEMEURANT DISTINCTS MAIS CONVERGEANT DANS UNE CULTURE COMMUNE DE SOUTIEN À L'EFFECTIVITÉ DE L'OBLIGATION DE COMPLIANCE  

38. Une convergence juridictionnelle requise pour apaiser un fonctionnement du Droit de la Compliance parfois présenté comme l'emprise d'une "guerre des systèmes" dont les juges seraient les soldats⚖️Le thème de la "guerre" est familier à la description du Droit de la Compliance, par exemple ce qui serait la guerre entre les Etats-Unis et l'Europe, les premiers ayant comme inventé la compliance, à travers notamment le FCPA ou les embargos à effet extraterritorial pour faire plier à leur volonté politique de domination des entreprises étrangères, notamment européennes.  Cela exprimerait ce qui serait comme la guerre du système de Common Law et du système de Civil Law,  relayé par le Juge (et le procureur) américain et les juges européens. 

Cette image n'est pas exacte. S'il doit y avoir insertion des techniques de compliance dans les systèmes juridiques📎!footnote-2938cela n'est pas par la victoire d'un système sur un autre, l'Américain sur le Français, ou le Chinois sur l'Européen, mais par et grâce aux Juges qui  rappellent chacun en ce qui les concerne une dimension du Droit de la Compliance, principalement la préservation des systèmes afin que les personnes qui y sont de gré ou de force impliquées n'en sont pas  broyées mais en bénéficient maintenant et à l'avenir. Ce souci de protection des systèmes et des personnes est la base du mouvement de "juridictionnalisation de la compliance"📎!footnote-4349.

Pour parvenir à unifier une jurisprudence qui, par nature, doit intégrer les jurisprudences étrangères puisque le Droit de la Compliance est lui-même relativement indifférent aux frontières📎!footnote-4350, les juges ne doivent pas s'isoler, par exemple dans ce qui serait une compétence non plus seulement spéciale mais exclusive notamment en matière d'Obligation de Vigilance📎!footnote-4348, ne doivent pas non plus se fondre et cesser d'être spécifiques en raison du contentieux qu'ils prennent en charge par ailleurs :  ils ne doivent pas  apprennent des autres juges. 

 

39. Pour favoriser une convergence juridictionnelle et au-delà du dialogue des juges, prendre chez chaque archétype de juge son aptitude d'adéquation au Contentieux systémique de la Compliance⚖️Dans cette construction de convergence, les différents juges, juge administratif, juge civil, juge pénal, juge arbitral, ne doivent pas effacer leurs spécificités, et donc ce qui à première vue apparaît comme des oppositions. Au regard, et comme l'a montré le Droit processuel de la Régulation, dont le Droit processuel de la Compliance est le prolongement, le contentieux de la Régulation devant la Cour d'appel de Paris emprunte beaucoup aux procédures se déroulant devant les juridictions administratives, notamment parce qu'il s'agit d'un contentieux objectif. C'est dans cet esprit-là et par cette méthode d'inspiration que l'on peut observer les multiples juges qui vont connaitre du Contentieux Systémique Emergent📎!footnote-4351 et sont ainsi impliqués dans la mise en oeuvre effective de l'Obligation de Compliance. 

Les différents juges ne peuvent pas être réduits à une seule fonction mais ils constituent tout de même des "archétypes" au sens wébérien du terme📎!footnote-4352  qui éclairent par une convergence des archétypes des uns et des autres ce que doit devenir un juge adéquat pour l'effectivité de l'Obligation de Compliance.

 

40. Pris comme archétype, le Juge administratif, inspiration du Juge de la Compliance, en ce qu'il traite des systèmes dont l'Etat, système Ex Ante est l'épigone⚖️Le Juge administratif est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce qu'il a par nature l'habitude de connaître des systèmes : l'Etat est un système, donnant lieu à un contentieux objectif, dans lequel l'administration exprimait l'intérêt propre à l'Etat de perdurer dans le temps. Dès lors, la dimension systémique lui est familier, l'internalisation dans des entreprises d'un souci systémique également. Le contentieux administratif en porte la marque. Il a vocation à se répandre fortement au-delà du cercle des juridictions administratives puisque au-delà des parties litigantes c'est un système qui est devant le Juge.

 

41. Pris comme archétype, le Juge civil, inspiration du Juge de la Compliance, en ce qu'il est le juge des contrats, outils ex ante des engagements, et le juge de la médiation⚖️Le Juge civil est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce qu'il résout les disputes entre les parties. Saisi de relations bilatérales dégradées, qui purent être précédemment organisées par des liens juridiquement conçus, notamment par le contrat, le juge civil est le personnage qui devant ce face-à-face qui se prolonge "à l'état de guerre" peut continuer les engagements. La médiation pourra ainsi se dérouler sous sa naturelle ombre portée. Dès l'instant que l'Obligation de Compliance a pour objet l'avenir, les techniques procédurales du juge civil vont se développer.

 

42. Pris comme archétype, le Juge consulaire, inspiration du Juge de la Compliance, en ce qu'il recherche des solutions pour l'avenir⚖️Le Juge consulaire est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce qu'il n'est pas juge à plein temps mais exerce une activité économique, est lui-même un entrepreneur, prend des risques et s'il est confronté à un problème, cherche des solutions avant que de chercher à punir car c'est l'avenir qui est la priorité. L'innovation est alors toujours bienvenue si elle est porteuse de solutions pour l'avenir. Puisque l'Obligation de Compliance a pour objet de prévenir les dommages futurs, l'imagination juridictionnelle va prendre appui sur le contentieux consulaire.

 

43. Pris comme archétype, le Juge pénal, inspiration du Juge de la Compliance, en ce qu'il traite des systèmes et de leurs valeurs fondamentales⚖️Le Juge pénale est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce qu'il exerce son office de sanction afin de restaurer la légalité blessée par l'infraction, ce qui n'est pas admissible car le Droit pénal exprime les valeurs fondamentales de la Société. Dès l'instant que l'Obligation de Compliance a pour fin la contribution à la réalisation des Buts Monumentaux qui se ramènent à la protection des êtres humains impliqués de gré ou de force dans les systèmes, c'est bien de valeurs fondamentales dont il s'agit. C'est sur un office juridictionnel puissant, tel que le contentieux pénal, en donne l'exemple, que le contentieux va se développer.

 

44. Pris comme archétype, le Juge constitutionnel, inspiration du Juge de la Compliance, en ce qu'il garde les piliers du système : peut-être un contrôle bientôt diffus des "principes constitutifs" ⚖️Le Juge constitutionnel est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce qu'il est le gardien de l'équilibre des pouvoirs et des droits fondamentaux des personnes. Dès l'instant que l'Obligation de Compliance consiste pour les entreprises, parce qu'elles sont en position de le faire, à respecter les Buts Monumentaux désignés par les Autorités politiques légitimes (ce qu'elles ne sont pas) et à mettre en place selon des modalités qu'elles choisissent les moyens pour contribuer à les atteindre, c'est un équilibre systémique entre deux types de pouvoirs, qui se distribue ainsi entre les fins et les moyens, dont le Juge de la Compliance doit être le gardien.

Cet élément est constitutif de l'office  du Juge de la Compliance et c'est à partir de l'archétype du Juge constitutionnel que l'on peut en pratique le dessiner. Parce que c'est dès la première instance que cette ligne de partage entre les fins et les moyens, puis entre les obligations de résultat (pour la mise en place des structure de compliance) et les obligations de moyens (pour toutes les autres obligations de comportement ou visant à en produire), l'on pourrait considérer qu'il s'agit (sur le modèle du Droit constitutionnel américain) d'un contrôle des "principes constitutifs" diffus.

 

45. Pris comme archétype, le Juge européen, inspiration du Juge de la Compliance, en ce qu'il aide à la construction d'un espace nouveau basé sur un projet politique⚖️Cela mène au Juge européen. En effet,  le Juge constitutionnel est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce que, dans une jurisprudence bâtie par un raisonnement par principe téléologique, il part des buts pour puiser dans l'esprit des réglementations et assure la cohérence du Droit, qu'il soit le Droit de l'Union ou le Droit du Conseil de l'Europe.  L'Europe étant un projet politique conçue et posée pour que la guerre ne revienne pas entre les pays signataires et pour que ceux-ci existent dans le monde par une unité qui dépasse leur addition, le Juge européen par un raisonnement téléologique qui reprend la volonté politique exprimée par ce But Monumental aide à ce que les personnes impliquées (Etats, entreprises, êtres humains) le concrétisent. La dimension politique n'est pas créée par le Juge européen, elle est impliquée par l'Union. L'Obligation de Compliance, notamment dans la dimension que lui a donnée l'Europe, comprend cette dimension politique, que les entreprises assujetties reprennent.

Le Juge de la Compliance en garde l'esprit qui est à la fois celui de la construire l'espace européen et de la protection active des libertés et droits des personnes, les entreprises étant titulaires de libertés et droits dans cet espace européen libéral qui s'articule sur le principe de Concurrence d'une part et le principe de Régulation, prolongé par la Compliance, d'autre part. Le Droit de la Compliance spécifiquement européen va se développer et le contentieux européen, notamment la prévalence systématique du raisonnement téléologique, avec lui.

 

47. Pris comme archétype, l'arbitre international, inspiration en ce qu'il se meut dans un espace à la fois contractuel et global⚖️L'arbitre est une source d'inspiration pour le "Juge de la Compliance" en ce qu'il est tout à la fois le juge naturel du contrat par lequel il naît et le seul juge global, ce qui rend particulièrement adéquat pour des Obligations de Compliance qui ne tiennent souvent pas dans les limites d'un territoire. Cela est particulièrement vrai pour l'arbitrage international. L'Obligation de Compliance se détachant du territoire, et les entreprises allant être de plus en plus assujetties quant aux buts mais de plus en plus libres quant aux moyens, le modèle et la pratique contentieux arbitrale va se développer.

 

48. Conclusion - L'intermaillage des Juges pour qu'émerge le Juge de la Compliance, tuteur de la branche naissante du Droit de la Compliance, branche du Droit naissante⚖️L'on se dirige ainsi non pas vers ce qui serait comme l'élimination de juges au profit d'autre, ou même de la mise en hiérarchie de juges sous d'autre, mais vers un intermaillage entre les juges.

L'émergence d'une culture commune autour de ce qu'est l'Obligation de Compliance de la Compliance, qui n'est pas l'obligation d'obéir à la lettre et à l'aveugle à toutes les réglementations applicables mais l'Obligation pour les entreprises, parce qu'elles sont en position de le faire, de contribuer à la réalisation des Buts Monumentaux de préservation des systèmes et des êtres humains qui y sont impliqués, buts qui leur sont imposés et qu'elles visent selon des moyens qu'elles déterminent, est un élément essentiel pour le déploiement de cette branche du Droit que nous voyons naître sous nos yeux : le Droit de la Compliance.

_______

 

 

 

1

V. par ex. 🕴️M.-A. Frison-Roche📝Le Droit de la compliance, 2016. Article qui déclencha des publications pour affirmer que la définition proposée du Droit de la Compliance, définition substantielle ancrée dans les Buts Monumentaux de cette nouvelle branche du Droit, n'était pas la bonne. V. dans ce sens, 🕴️M.-E. Boursier, 📝Qu'est-ce que la compliance ? Essai de définition, 2020. Depuis, 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022, notamment les articles de la première (🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Les Buts Monumentaux, cœur battant du Droit de la Compliance) et de la seconde (🕴️M.-E. Boursier, 📝Les buts monumentaux de la compliance : mode d'expression des États).

Cela n'est pas sans rappeler une bataille qui s'était déroulée plus de 15 ans avant à propos de ce qui allait devenir le Droit de la Régulation. Voir tout d'abord 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le Droit de la Régulation, 2001. Puis 🕴️E. Boy, 📝Réflexion sur le "droit de la régulation". A propos du texte de Marie-Anne Frison-Roche, 2001.

2

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, 2021.

5

🕴️O. Douvreleur, 📝Compliance et juge du droitin 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023.

6

Sur la proposition de la notion de "cause systémique", 🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧L'hypothèse de la catégorie des causes systémiques portés devant le juge, 2021.

11

Le plus souvent, cela concerne les lignes directrices des Autorités publiques, juridictions, parquets ou autorités de régulation. Mais cela peut concerner aussi ce que l'on peut désigner plus largement comme de la "doctrine institutionnelle", un exercice académique comme l'est une contribution dans un ouvrage universitaire en relevant. Cela l'est également de tous les actes des entreprises elles-mêmes, chartes et déclarations de toutes sortes qui peuvent constituer des "engagements", les engagements unilatéraux étant des mécanismes de plus en plus important dans le Droit de la Compliance.

12

Conseil d'État, 📓Mesurer l'inflation normative, 2018.

13

🕴️J. Carbonnier, 📝L'inflation des lois, in 📗Essai sur les lois, 1995.

15

Pour ne prendre qu'un exemple entre l'application du RGPD et le Droit de la concurrence, 🏛️CJUE, 4 octobre 2024, ND c/ DR🕴️M.-A.  Frison-Roche🎬Articulation Droit de la Compliance (RGPD) et Droit commun : illustration par la décision de la CJUE du 4 octobre 2024, Surplomb du 20 octobre 2024.

20

Sur l'espace de justice , voir le cycle de conférences  bâti par Sylvaine Peruzzeto à la Cour de cassation;  dans ce cadre, voir par exemple les contentieux qui concerne l'avenir, ce qui est notamment la marque des contentieux systémiques de Compliance, et de leur pointe avancée que sont les contentieux systémique de Vigilance : mafr (dir.), ...., déc. 2024.

21

🕴️A. Supiot, 📗La gouvernance par les nombres2015 ; l'oeuvre d'Alain Supiot est souvent citée dans mes travaux car c'est une oeuvre essentielle. Tout travail croisé étant profitable, v. par exemple, 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Les "entreprises cruciales" et leur régulationin 🕴️A. Supiot (dir.), 📗L'entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, 2015. V. dans le même sens🕴️D.-R. Tabuteau, interventionin 🧮De la régulation à la compliance : quel rôle pour le juge ?, 2023.

22

🕴️B. Frydman, 🎤L'obligation de compliance en Droit global, in 🧮Compliance : Obligation, devoir, pouvoir, culture, 2023.

23

🕴️B. Frydman, 🎤L'obligation de compliance en Droit global, in 🧮Compliance : Obligation, devoir, pouvoir, culture, 2023.

27

mafr, premier article, in L'obligation de compliance

28

🕴️I. Grossi (dir.), La société vigilante, à paraître.

29

mafr, Concevoir le pouvoir, 2021.

30

🕴️G. Canivet, 📝Autorités de régulation. Encadrement constitutionnel : le point de vue du jugein 📗Dictionnaire des régulations, 2016.

32

🕴️N. Cayrol, 📝Des principes processuels en droit de la compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023.

Pour des analyses menées à partir de la nature des choses, 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Ajuster par la nature des choses le Droit processuel au Droit de la Compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023.

34

Sur les "Buts Monumentaux négatifs", v. 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Les Buts Monumentaux, coeur battant du Droit de la Compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022.

35

mafr, Obligation sur obligation vaut, ....

36

V. d'une façon plus générale, mafr, A quoi engagent les engagements ?

38

Concernant plus particulièrement l'Obligation de Vigilance, v. mafr, Compliance, Vigilance et Responsabilité civile : mettre en ordre et raison garder, ....

39

mafr, Compliance, Vigilance et responsabilité civile, ..., spéc. n°37 et s.

41

mafr, A quoi engagent les engagements,

42

Cette distinction est particulièrement importante pour l'Obligation de Vigilance, qui comprend non seulement des obligations de dire mais encore des obligations, sur un nombre restreints d'entreprise et pour un nombre restreint de thèmes, notamment via la CS3D, tandis que la CSRD ne vise que des obligations de dire (informations extrafinancières), mais sur des thèmes plus larges et visant plus d'entreprises. Si l'on confond les deux types d'obligations (obligation de dire et obligation de faire), si l'on déduit l'obligation de faire de l'obligation de dire, alors cela reviendrait à glisser la CS3D dans la CSRD, et à étendre le champs d'application de l'Obligation de Vigilance. Le juge est gardien de la distinction entre l'obligation de faire et l'obligation de dire. 

Sur cette distinction, v. mafr, 

43

mafr, Compliance, Vigilance et responsabilité civile, ..., spéc. n°37 et s.

44

🕴️M.-A. Frison-Roche et 🕴️J.-Ch. Roda, 📕Droit de la concurrence, 2022.

45

V. dans le même sens🕴️P. Nihoul, interventionin 🧮De la régulation à la compliance : quel rôle pour le juge ?, 2023

47

V. not. R. -O. Maistre, Quels buts fondamentaux pour le regulateur dans un paysage audiovisuel et numérique en pleine mutation?, in Les Buts monumentaux ,2022 ; ..., , Contentieux systémique émergent, 2025. 

48

. Pour plus de développment, v. mafr, ....(contribution dans le colloque sur les noms de domaines....).

49

Cette organisation institutionnelle et substantielle illustre ce qu'est l'Obligation de Compliance dont la définition est développée dans l'étude "(premier article)"....

50

Pour la démonstration de cela, mafr, L'Obligation de Vigilance, pointe avancée et part totale de l'Obligation de Compliance, ...

51

Pour la démonstration de  cela et plus de développements sur la durabilité, essentiel pour expliquer l'orginalité du  "Contentieux systémique" qui émerge et les règles qui le gouverne, v. mafr, ..., in Contentieux systémique émergent. ; v. aussi F. Ancel, .... in La juridictionnalisation de la Compliance ; mafr, La Vigilance, pointe avancée et part totale..., in L'Obligation de Vigilance, n°00 et s.

52

🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧La vigilance, pièce d'un puzzle européen, 2023 ; 🕴️M.-A. Frison-Roche, 🏛️Audition par les rapporteures de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée Nationale, Sophia Chikirou et Mireille Clapot dans le cadre de l'élaboration du Rapport sur devoir de vigilance des entreprises, 2023.

53

mafr, Pour un droit européen de la compliance, dans les tradition humaniste;.., in Pour une Europe de la Compliance, 2019.

54

Le Droit de l'Union européenne d'une part et le Droit de la concurrence d'autre part pourraient ainsi moins maltraiter l'activité économique agricole  (🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Appliquer le droit de la régulation au secteur agricole, 2005).

La Commission européenne dans sa nouvelle conception qui s'appuie davantage sur la Régulation et moins sur l'exclusif principe de la Concurrence, va "de la ferme à la table" (Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2021 sur une stratégie «De la ferme à la table» pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement) et utilise le Droit de la Compliance en matière de déforestation (ce qui constitue un But Monumental négatif) avec non seulement un effet extraterritorial mais avec une barrière à l'importation : règlement (UE) 2023/1115, du 31 mai 2023, relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010.

Un jour le Droit régulera en Ex Ante les forets et la filière bois. Il faudra pour cela que le Droit économique se détache de l'abstraction du Droit de la concurrence et accueille la perspective industrielle. L'Europe s'y achemine sur les nouvelles technologies. Un jour, elle pourrait y venir pour les anciennes industries comme les industries forestières. Le souci environnemental pourrait en être le chemin.

55

Sur ce vaste sujet, 🕴️M.-A. Frison-Roche et 🕴️J.-Ch. Roda, 📕Droit de la concurrence, 2022, n°688 et s.

56

mafr, "L'Obligation de Vigilance, pointe avancée et part totale de l'Obligation de Compliance", in 

57

V. les développements in mafr, Compliance, Vigilance et responsabilité civile : remettre de l'ordre et raison garder, in 

58

Selon la définition générale et abstraite de ce qu'est l'Obligation de Compliance (mafr, premier article), dont l'Obligation de Vigilance est ainsi la pointe avancée et la part totale (mafr, ....).

60

🏛️Colloque de la Cour de cassation (direction scientifique 🕴️M.-A. Frison-Roche), 🧮L'office du juge et les causes systémiques, intervenants : 🕴️Ch. Soulard, 🕴️F. Raynaud et 🕴️F. Ancel, 2022.

61

mafr, Le Droit processuel, prototype de l'Obligation de Compliance, 

63

🕴️A. Touzain, 🎤La compliance, le juge et l’assurance : vers de nouveaux risques assurables ?, in 🧮Le juge face aux clauses et aux contrats de compliance, avril 2023.

65

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝L'hypothèse de l'interrégulationin 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les risques de régulation, 2005 ; à la suite, 🕴️I. Falque-Pierrotin, 📝L'Europe des données ou l'individu au coeur d'un système de compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Régulation, Supervision, Compliance, 2017.

67

Sur les conséquences probatoires de ce principe de liberté, v. mafr, "Compliance, entreprise, et système probatoire" ; J.-Ch. Roda, "....", in L'obligation de compliance.

68

mafr (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022.

71

Sur le droit de se constituer une preuve à soi-même dans les contentieux systémique de compliance, v. Th. Goujon-Béthan, ... (voir s'il en parle dans sa contribution à cet ouvrage  ; sinon renvoyer au seul ouvrage sur le Contentieux systémique émergent, de toutes les façons citer celui-ci.

72

🕴️N.  Cayrol, 📝L'amicus curiae, mesure d'instruction ordinaire, 2022.

73

🕴️Arrighi de Casanova, 🕴️G. Canivet et🕴️M.-A. Frison-Roche📝Experts et procédure : l'amicus curiae, 2012.

74

Sur cette articulation, notamment en ce que le procureur est l'interlocuteur légitime dans des causes civiles, en ce que la victime a sa place dans les instances pénales, tout s'agençant dans la perspective du débat contradictoire, 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📕Généralités sur le principe du contradictoire. Étude de droit processuel, 1988.

75

🕴️N. Notat et 🕴️J.-D. Senard, 📓L'entreprise, objet d'intérêt collectif, 2018.

76

Sur la notion pertinente d'arrière-litige proposée par Thibault Goujon-Béthan, v. Thibaut Goujon-Béthan, .....

77

Sur la "place économique et financière" comme partie à l'instance et le fait que cela n'entame pas le principe de l'impartialité du juge, 🕴️M.-A.  Frison-Roche, 🎤L'attractivité économique de l'impartialité, in 🧮L’office du juge, les enjeux économiques et l’impartialité. Penser l'office du juge, 2020  ; voir dans la même manifestation, 🕴️F. Ancel, 📝Conférences (Cour de cassation) : office du juge, enjeux économiques et impartialité, 2020.

79

La procédure civile pour le droit civil, procédure commerciale pour le droit commercial, procédure pénale pour le droit pénal, contentieux administratif pour le droit administratif, etc., cette conception étant appauvrissante. Elle demeure admissible pour le couple "Droit pénal / procédure pénale" parce que le Droit pénal ne peut, pour des raisons constitutionnelles, s'activer que par un procès.

80

V. d'une façon générale, mafr, Les contentieux dont l'objet est le futur..., 2024.

81

Sur la place de l'avenir dans tous les outils du Droit de la Compliance, notamment les programmes, les formations, les alertes, les évaluations des risques, etc., v. mafr (dir.), Les outils de la compliance, 

83

Sur la place naturelle, et non pathologique, du Juge, et de l'Avocat, dans le Droit de la Compliance, v. mafr, "La place du juge et de l'avocat...", in La juridictionnalisation de la compliance, ....

84

Sur cette question plus spécifique de la procédure arbitrale, et l'inutilité d'adoption de nouveaux textes car c'est avant tout une question culturelle dont il s'agit, v. mafr, ... ;

⚙️voir aussi infra⚙️ n°00. 

85

Sur la question de l'obligation de compliance et des droits humains, v. J.-B. Racine, ..., in L'obligation de compliance ; sur le bénéfice qu'en aura la place, mafr, ..., ibidem ; sur l'évolution de culture que cela suppose du coté des entreprises publiques, P.-M. Duhamel, ..., in Arbitrage et personnes publiques : pourquoi tant de haine ? 2025. 

89

Voir supra 

90

Sur ce mouvement général, son origine, son évolution et ses perspectives, mafr (dir.), La juriditionnalisation de la compliance, 

91

Ce qui renouvelle l'usage que le Juge fait du Droit international privé. Voir sur ce point L. d'Avout, ..., in L'obligation de compliance, 2025.

92

Sur la question des compétences juridictionnelles dans la connaissance du contentieux de la Vigilance ratione materiae et ratione loci, v. mafr, Compliance, Vigilance et Responsablité civile, ....

93

mafr, Contentieux Systémique Emergent, 2025.

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Un "archétype" selon Max Weber est un personnage qui dans la réalité n'existe pas (par exemple le "français moyen") mais renvoie à une typologie abstraite dont les traits sont cernés et qui permet d'appréhender correctement la réalité. Max Weber a ainsi construit des "idéaux-types" pour restituer des organisations sociales ou des évolutions, par exemple l'évolution du capitalisme par l'archétype protestant. La construction des archétypes est un travail de construction abstraction qui permet de se saisir du monde (et non pas une traduction directe de celui-ci). Dans un seconde temps, les études empiriques viennent valider les archétypes. On peut encore se référencer à l'archétype du "technocrate". Le Droit économique est construit sur des archétypes, dont les premiers sont l'entrepreneur et le consommateur (on se souvient que les pensées de Max Weber et de Schumpeter sont proches).

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