1 septembre 2021

Compliance : sur le vif

📧 Le Droit n'a-t-il pas à intervenir quand la technologie vise à capter les pensées en faisant l'économie du média de la parole ? Cas de l'implantation d'une puce cérébrale inscrivant directement les pensées sur l'écran d'un ordinateur

par Marie-Anne Frison-Roche

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  Un article publié le 14 juillet 2021 par The Wall Street Journal, "Brain Implant Lets Man ‘Speak’ After Being Silent for More Than a Decade",  relaye l'information comme quoi il est désormais possible, à titre expérimental, d'implanter dans le cerveau un dispositif permettant à une personne privée par un accident neurologique de la parole de pouvoir s'exprimer de nouveau en inscrivant ses pensées directement sur un écran d'ordinateur, les mots pensés s'affichant en phrases sur celui-ci.

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Voilà plusieurs années de recherches dites "fondamentales", notamment de la part de Facebook, qui, notamment en subventionnant le professeur de neurosciences Stanislas Dehaene, dans une comparaison entre le développement d'apprentissage du cerveau et le développement du "deep learning", aboutissent à permettre à des personnes qui ont perdu l'usage de la voix à écrire directement sur les écrans sans ce medium vocal en allant directement de la pensée à l'écriture.


Cela conduit à trois réflexions, qui mettent le rapport entre le Droit et la Technologie au centre :


1. A première vue, la parole n'étant  qu'un media entre la pensée et l'expression, il serait concevable d'en faire l'économie ;


2. L'on peut cependant faire le parallèle avec la technologie nouvelle de la "reconnaissance émotionnelle" par laquelle les pensées sont accessibles aux tiers, ce qui contrarie le droit fondamental de rendre ses pensées inaccessibles à autrui ; 

Mais l'actualité a précisément montré que cette technologie qui permet de saisir les pensées véritables d'autrui malgré des expressions faciales feintes pose problème au regard du droit fondamental de mentir ou de se taire (v. à ce propos 📧 MaFR, "Compliance et Ethique. Des technologies peuvent être inadmissibles "en soi" et concevoir leur "usage éthique" n'est donc pas admissibles : cas pratique sur le contrôle des émotions des travailleurs").

3. En anticipant l'usage possible de cette nouvelle technologie et la réaction juridique face à cette potentialité, l'on peut pareillement se demander si en soi une telle implantation d'un outil de "captation des pensées directement dans le cerveau" pour obtenir leur "translation directe sur un écran" ne devrait pas être considéré comme l'équivalent d'une captation des pensées, tout aussi attentatoire au droit fondamental de chacun de garder ses pensées inaccessibles.

Là encore, le fait que dans un ou deux cas, cela ait permis de guérir une personne ne légitime pas la technologie en soi (v. sur les règles bioéthiques, telles que le Droit français les a transcrites dans l'article 16 du Code civil par la loi de 1994, Marais, A., Droit des personnes, 2021).

De la même façon, le fait que la personne concernée "consente" ne suffit pas à légitime ce qui peut être une atteinte per se à la dignité de la personne humaine si la technologie a pour effet de capter les pensées avec une perte de contrôle de la personne concernée. Pour l'instant, dans la description qu'en donnent les chercheurs selon l'article qui relate l'innovation, c'est l'émetteur qui contrôle la technologie mais l'élimination du média qu'est la parole ou l'écrit mérite d'être pensée dans la perte d'isolement de l'individu, isolement auquel la tradition occidentale a souvent associé la liberté. 

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