26 février 2016

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La GPA, c'est l'opposé de l'adoption. Les entreprises bâtissent une sophistique juridique pour faire admettre la GPA en l'associant faussement à l'adoption

par Marie-Anne Frison-Roche

Les entreprises construisent le marché de l'humain, nouvel eldorado.

Elles procèdent à la "création d'un marché par l'offre" : dans un premier temps elles fabriquent d'abord une offre, à savoir des bébés disponibles sur plan (GPA), du matériel génétique pour les fabriquer sur mesure (gamètes, ovocytes, etc.).  Ensuite, elles suscitent la demande. Elles dépensent beaucoup d'argent en publicité, mettant en photo sur les sites des personnes âgées qualifiées de "futurs parents", ce qui suscite effectivement une "demande" chez des personnes qui n'auraient pas songé à avoir des bébés, parce que trop âgés pour cela mais qui désormais y pensent, voire en rêvent, voire en souffrent!footnote-454. Et la publicité, partition toute faite de notes de bonheur, de sourires, de joie de vivre et de vie privée réussie dans un cocon familial dans lequel l'extérieur ne saurait interférer (par exemple l’État, cette structure qui serait par essence "totalitaire") construit ainsi dans un second temps la demande. Puis dans un troisième temps, les entreprises conduisent cette demande artificiellement créée vers une offre que les entreprises avaient préalablement établie. Les entreprises dénient avoir exercé tout pouvoir : elles affirment "suivre les pratiques", se contentant de "répondre à la demande". L'effet sophistique est ici l'inversion de la chronologie!footnote-455. Rien n'est plus puissant que ce qu'il convient d'appeler la sophistique du Fait!footnote-456 : les entreprises présentent le "désir d'enfant", même quand on est seul, même quand on est vieux, comme un "fait acquis", auquel elles se conteraient de "répondre" d'une façon "neutre". Alors qu'elles ont construit entièrement le marché par l'offre...

Pourquoi pas. La construction des marchés par l'offre est une façon d'innover, sans doute la meilleure.

Mais les entreprises ont un problème : le Droit.

En effet, le Droit s'oppose à ce dynamisme, pourtant si bien servi par cette stratégie qui ouvre la perspective de tant de revenus financiers pour les entreprises et leurs divers conseils. En effet, c'est l'être humain qui est la matière première de ce grand plan : c'est l'être humain qui constitue le nouvel "or noir".

Ce sont les femmes qui en sont les premières victimes : ovocytes à vendre, ventres à disposition. Ce projet qui sous des couleurs pastels et des sourires se met en place est au sens littéral inhumain.

Le Droit s'y oppose. Il s'y oppose depuis toujours, même sans texte de loi particulier. Il s'y oppose de plus en plus. Les pays dont la population est plus particulièrement victimes des entreprises vampires ont adopté des lois nouvelles pour interdire la pratique de la maternité de substitution (GPA). Les lois sont adoptées les unes après les autres, par l'Inde, par le Népal, par la Malaisie. Mais il ne s'agit pas que de défendre les pauvres, il s'agit de défendre l'idée même de personne. C'est pourquoi la Suède bouge pour lutter contre cette pratique alors que les femmes suédoise sont suffisamment riches pour n'être pas réduites à être "porteuses", c'est-à-dire à n'être plus rien pour l'enfant. C'est aussi pourquoi le Sénat français vient, le 11 février 2016, dans un rapport d'information commun à la gauche comme à la droite, de demander le renforcement de dispositif contre la GPA pour la raison simple que l'esclavage est exclu dans une société civilisée

Comment dès lors convaincre ?

Les entreprises tout d'accord placent leurs propres conseillers comme "experts" auprès des organismes publics. Cela facilite.

Ensuite, elles évitent d'aborder frontalement la question de la GPA.

Car qui peut de bonne foi être favorable à cette mise en esclavage des femmes et à cette cession organisée par avance d'un enfant, même gratuitement ?

Personne.

La tactique de sophistique juridique ici mise en oeuvre consiste à faire un détour en allant du côté d'un mécanisme juridique que tout le monde approuve et veut développer : l'adoption.

Puis à dire que finalement, l'adoption et la GPA, c'est un peu (un peu, beaucoup) pareil.

Comme c'est habile ....

Car, justement, comme cela tombe bien, la Conférence de la Haye est en train de réfléchir sur la question de la GPA. Et que disent les "experts" qui s'y connaissent dans des questions juridiques très techniques que le commun des mortels ne peut pas comprendre ? Ils proposent de "calquer" ce qui devrait être un nouveau régime de la "GPA internationale" sur le régime, déjà établi par une Convention internationale en vigueur, régissant "l'adoption internationale". Car GPA et adoption, cela se ressembleraient et l'on pourrait donc prendre le régime de l'un pour l'appliquer à l'autre. Croyez-en les experts en Droit, ils sont neutres et savants !

Mais la GPA, c'est l'opposé de l'adoption.

Ci-dessous d'une façon plus développée le rappel de la résistance de principe et accrue du Droit face à la pratique de la maternité de substitution (I), face à quoi les entreprises diffusent une stratégie de sophistique juridique pour assimiler GPA et adoption (II), alors même que la GPA et l'adoption sont deux mécanismes juridiques opposés (III).

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Sur la sophistique consistant à faire ainsi passer pour "innocents" les adultes qui mettent en esclavage les femmes, mais qui sont "innocents" parce qu'ils ont eux-mêmes "tant souffert", leur souffrance mise en exergue par les agences effaçant ce qui aurait pu leur être reprocher comme comportement libre et dommageable sur un autre être humain : La sophistique de l'innocence.

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Sur la sophistique juridique mise en place et développée avec méthode et discrétion par les entreprises pour construire le marché de l'humain, v. Frison-Roche, M.A., La sophistique juridique de la GPA, 2016.

3

Dans "l'ordre du discours", la maternité était un fait et l'on était d'accord sur le caractère historiquement construit du Marché. Une stratégie consiste aujourd'hui à transformer le marché en "fait", non discutable à ce titre, tandis que la maternité serait un "fait social", voire un "fait politique", et donc une construction, qu'il conviendrait de "déconstruire" et dont l'on pourrait disposer, par exemple si les femmes y "consentent". Ainsi, les femmes pourraient, par l'exercice de leur liberté individuelle disposer de cette "construction" qu'est la modernité pour aller sur ce fait dont nul ne pourrait disposer qu'est le Marché.

Sur ce retournement de situation, proprement révolution, v. par ex., La Maternité face au Marché, 2014 ; Le Droit let le Marché : une épreuve humaine, 2015.

I. LA RÉSISTANCE DE PRINCIPE ET ACCRUE DU DROIT FACE A LA PRATIQUE DE LA MATERNITÉ DE SUBSTITUTION (GPA)
 
Les entreprises construisent le marché du matériel humain, les riches consommant les pauvres, les pauvres "consentant par l'usage de leur liberté individuelle" - laquelle étant l'instrument du marché - à engendrer des enfants à seule fin de les abandonner à la naissance pour les "céder" à ceux qui en ont désiré la venue au monde et versé à cette fin des honoraires aux divers intermédiaires (agences, cliniques, médecins, avocats).
 
Les entreprises essaient de faire plier le Droit.
 
En effet, le Droit résiste parce que le Droit est fait pour défendre les personnes faibles : les forts ont la force, les faibles n'ont que le Droit. Si le Droit ne défend plus les faibles, alors les faibles sont dévorés par les forts. Par exemple, les femmes consentent à pratiquer la GPA. Elles acceptent de sourire sur les photos. Elles signent les contrats rédigés par d'autres. Elles témoignent devant la caméra le bonheur que cela est pour elles de faire le bonheur de ceux qui prendront le bébé à la naissance. Oui, oui, le faible consent.
 
Mais le consentement de la victime n'est jamais un fait justificatif en droit pénal et le Droit a toujours protégé la personne en situation de faiblesse contre le pouvoir du fort de disposer du premier, notamment à travers son consentement. De protéger l'enfant, pour lequel la notion de consentement n'a d'ailleurs pas de sens puisque son sort est scellé avant sa conception, n'étant fabriqué que pour être cédé, et cette "tradition" (au sens technique du droit romain de la remise de la chose) s'opérant au bénéfice de ceux qui l'ont commandé s'opérant alors qu'il n'a que quelques heures.
C'est pourquoi le Droit français, mais aussi le droit italien ou suisse, prive de toute efficacité de tels "arrangements" et les frappe de nullité absolue, qu'il y ait ou non de l'argent échangé, car ni les femmes ni les enfants ne sont des choses dont l'on peut "disposer" ainsi.
 
Pour parvenir à faire plier le Droit et les institutions qui expriment celui-ci, des discours juridiques savants et expertaux sont tenus. Afin de tenir à distance, ces discours juridiques sont le plus souvent très techniques, tenus par des personnes titrées, ce qui permet de dire à d'éventuels contestataires : "vous ne connaissez pas les techniques juridiques ? Alors taisez-vous, vous ne pouvez pas émettre d'opinion sur la GPA, c'est beaucoup trop compliqué pour vous !".
 
Ainsi, les entreprises sont en train de persuader des organisations internationales, comme la Conférence de La Haye, voire le Conseil de l'Europe, les entreprises n'hésitant pas à prendre les deux en tenailles, qu'il faudrait admettre l'efficacité de la GPA internationale, c'est-à-dire donner pleine efficacité dans les pays où la GPA est interdite à une GPA réalisée dans un pays où elle est légale, licite ou tolérée, en calquant les règles de l'adoption internationale.
 
 
II. LA STRATÉGIE DE SOPHISTIQUE JURIDIQUE POUR ASSIMILER LA GPA À L'ADOPTION
 
En effet, la GPA et l'adoption seraient des mécanismes analogues : deux enfants abandonnées que des adultes recueillent et élèvent avec amour. Cela ferait le bonheur de tous et avant tout de l'enfant, car c'est à lui qu'il faut toujours penser, et puisque l'on admet, organise et régule l'adoption internationale, il conviendrait de faire de même pour la GPA : à savoir, en admettre le principe, tout en veillant à en sanctionner les "dérives", c'est-à-dire les échanges monétaires, la "vente d'enfants". La solution serait donc toute trouvée : c'est la "GPA gratuite". Si l'on ôte le venin de l'argent, alors la GPA deviendrait aussi belle et merveilleuse que l'adoption.
 
Comme le discours est bien tourné, et convaincant !
 
Ajoutez quelques références savantes, historiques, juridiques, avec quelques notions de Droit international privé, branche du droit réservée à l'élite, et tout adversaire a vocation à se taire, soit par incompétence technique, soit terrass par l'éthique de la gratuité.
 
Ainsi, puisqu'il y a déjà une convention internationale pour le bien des enfants innocents dans l'adoption internationale, il faudrait donc établir par analogie une convention internationale similaire pour la "GPA internationale" : admettre et encourager par le Droit la GPA éthique, puisque gratuite et réprimer par le Droit la GPA non éthique, c'est-à-dire avec échange monétaire. l
 
Il s'agit d'une tactique purement sophistique.
 
 
Restons sur la sophistique de l'analogie proclamée entre la GPA et l'adoption.
 
En effet, la GPA est l'inverse de l'adoption.
 
 
III. LA  GPA EST L'INVERSE DE L'ADOPTION
 
L'adoption est un mécanisme juridique que seul l’État peut produire. Il est le mécanisme juridique par lequel un enfant qui est là se voit, par la puissance du Droit public, donner des parents. C'est un acte de puissance publique, plus techniquement de "juridiction gracieuse", par lequel cet enfant qui est là obtient le bénéfice d'adultes qui en deviennent ainsi les parents, adultes qui le prennent comme il est.
 
L'adoption doit être favorisée le plus possible car c'est un mécanisme qui fait le bonheur de tous : l'enfant malheureux qui "reçoit des parents" ; les adultes qui accueillent l'enfant.
 
Il est tout aussi exact qu'il existe des "dérives de l'adoption", par exemple la vente d'enfants sous couvert d'adoption, notamment en matière d'adoption internationale ; Il faut combattre ces "dérives". Le plus efficace est de retirer l'argent qui peut se glisser dans le mécanisme.
 
Il faut en outre superposer à l'adoption le respect des droits inhérents à l'enfant, notamment le "droit fondamental de connaître ses origines", qui se superpose au mécanisme juridique de l'adoption.
 
C'est le doubleee sens de la Convention internationale sur l'adoption internationale. Celle-ci doit être entièrement approuvée.
 
 
La pratique de la maternité de substitution (GPA) est le mécanisme radicalement inverse.
 
Elle consiste à partir non plus d'un enfant qui est là, mais du désir d'un adulte. Celui-ci désire avoir un enfant. L'enfant n'existe pas, mais l'adulte en veut un.
 
Pour que ce désir trouve satisfaction, l'enfant qui n'existe pas va être fabriqué à seul fin que ce désir d'enfant trouve satisfaction;
 
Pour ce faire, une femme apte à engendrer (cette aptitude étant sa "ressource", ce qui permettra d'offrir la "prestation") va s'engager, par le mécanisme juridique du contrat, à engendrer un enfant, à seul fin que cet enfant soit cédé à cet adulte, lequel va ensuite demander à être reconnu comme parent de cet enfant dont il a demandé la venue au monde.
 
Quand on consulte les sites, y compris ceux des agences au Royaume-Uni, qui prennent la forme d'association à but non-lucratif (avec un droit d'entré pour tout candidat), il y a des package dans lequel non seulement l'enfant mais la filiation de celui-ci à l'égard de ceux qui ont un "projet d'enfant" sont proposés. L'un ne va pas sans l'autre. L'enfant pourrait n'avoir plus de mère pour mieux avoir une filiation contractuellement transférée.
 
Comme l'arrangement a précédé la venue au monde de l'enfant, l'enfant est l'objet d'un design : par les contrôles et la réduction embryonnaire, il est débarrassé de la perspective d'un certain nombre de défaut ; par le choix sur des catalogues, l'agence ou la clinique accroît la probabilité de ressemblance avec les adultes qui ont désiré sa venue au monde ; l'on peut choisir le sexe que l'on veut, la couleur de peau que l'on veut, etc. L'adulte veut un "enfant qui lui ressemble, la prestation lui sera apportée.
 
Ainsi, la GPA est l'opposé de l'adoption. Elle consiste à fabriquer un enfant à seule fin de satisfaire le désir d'un adulte de la venue au monde d'un être humain qui lui soit rattaché par un lien de filiation;
 
Dès lors, le processus juridique contractuel de la GPA est l'opposition du processus juridique de puissance publique de l'adoption.
 
 
IV. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES NÉCESSAIRES DE L'OPPOSITION ENTRE  GPA  ET ADOPTION
 
C'est pourquoi d'un côté le Droit considère techniquement que l'adoption,, consistant à offrir par la force du Droit public à un enfant, personne qui est là, des parents, est licite dans son principe, mais peut donner lieu à des dérives. Ces dérives doivent être maîtrisées par le Droit, au moyen d'une régulation, luttant principalement contre l'argent qui vient contaminer le mécanisme.
 
C'est pourquoi de l'autre côté le Droit considère techniquement que la GPA, consister à fournir par la force d'un contrat entre parties privées à un adulte un enfant à naître, en ce qu'il ôte à l'enfant son statut de personne pour le traiter comme une chose cédée, est illicite dans son principe. Poser la question en terme de "dérives" n'a pas de sens.
 
Le Droit en Europe articule la question en ces termes.
 
Le Droit continue à ne faire aucune distinction suivant qu'il y a de l'argent ou non, car la question n'est pas là.
 
Les entreprises cherchent pourtant à dépasser cet indépassable, à savoir que les être humains ne sont pas des choses.
 
Elles gagneraient dès l'instant qu'elles arriveraient, avec la sophistique "éthique" à convaincre que la question est celle de l'argent et qu'il suffirait donc de l'exclure, ou de réduire la place de l'argent (passant d'un "prix" à une "compensation financière régulée").
 
 
Pour l'instant, le discours sophistiques des entreprises continue de buter sur le Droit.
 
Car le Droit continue de considérer que les êtres humains ne peuvent être céder comme des choses. Même par un "élan de don magnifique". Parce que les êtres humains ne sont pas des choses.
 
Sommes-nous dans un moment si dramatique de l'Histoire que le Droit doive le répéter, et le répéter sans cesse ?
 
 

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