Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Interrégulation

par Marie-Anne Frison-Roche

ComplianceTech®

 

La régulation est née de la nécessité de prendre en compte la spécificité des secteurs, souvent en accompagnement de la libéralisation de ceux-ci.

Mais, en premier lieu, des biens de différents secteurs peuvent être substituables. Ainsi, l’on peut se chauffer aussi bien au gaz qu’à l’électricité, la concurrence intermodale rendant moins pertinente la segmentation de la régulation du secteur de l’électricité et la régulation du secteur du gaz, pour revenir à l'idée d'un secteur unique de "l'énergie", qui laisse pourtant la régulation de l'eau et du pétrole hors de son emprise. Pareillement, un contrat d’assurance-vie est à la fois un instrument de protection pour l’avenir, un produit relevant donc de la régulation assurantielle, mais aussi produit financier placé auprès des consommateurs par des entreprises de banque-assurance, relevant donc de la régulation bancaire et financière. Cette intimité de la régulation par rapport à la technicité interne de l’objet sur lequel elle porte ne peut être effacée.

L'interrégulation qui va se mettre en place est d'abord institutionnelle. C’est pourquoi, une alternative s’ouvre : soit on fusionne les autorités de régulation, et  ainsi la Grande Bretagne par la Financial Services Authority (FSA) avait, dès 2000, fusionné la régulation financière et bancaire, ce que la France n’a pas fait (tandis que la France a fusionné la régulation des assurances et la régulation bancaire à travers l’ACPR). Ainsi, la première branche de l’alternative est la fusion institutionnelle, au risque de constituer des sortes de titans, voire de reconstituer l’État. Soit on établit des procédures de consultation et de travaux communes, pour faire naître des points de contact, voire une base de doctrine commune entre les régulateurs, comme c'est le cas dans l'Union européenne entre l'ESMA, l'EBA et l'EIOPA.

L’autre branche de l’alternative consiste à respecter ce rapport initial entre régulation et secteur et de prendre acte des liens entre les secteurs à travers la notion ici proposée de « inter-régulation ». Cela suppose alors de mettre en place des réseaux entre des autorités demeurées autonomes, mais qui s’échangent des informations, se rencontrent, collaborent sur des dossiers communs, etc. Cette interrégulation peut d’abord être horizontale lorsque des autorités de plusieurs secteurs collaborent, par exemple l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (l’ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (l'AMF), ou l’ARCEP et le CSA. Elle peut être aussi de type vertical lorsque les autorités de secteurs nationaux collaborent avec des autorités étrangères ou des autorités européennes ou internationales, comme le prévoit le processus Lamfalussy en matière financière (élargi aux secteurs de la banque et des assurances) ou le processus de Florence en matière de télécommunication ou le processus de Madrid en matière énergétique par lesquels les régulateurs nationaux européens se rencontrent  et travaillent en commun. Cela peut prendre des formes institutionnelles plus achevées, comme en matière de télécommunication, avec le BEREC, ou en matière d'énergie avec l'ACER, avec et autour de la Commission européenne. La technique de la comitologie a généralisé cette formule institutionnelle. 

L'interrégulation qui est ensuite notionnelle, un "droit commun" de la régulation s'élaborant, commun entre tous les secteurs. Ce "droit commun" (droit horizontal) est venu après la maturation des droits sectoriels de la régulation (droits verticaux). Il s'élabore de fait parce que les objets régulés se situent à la frontière de plusieurs secteurs, voire ignorent celle-ci : par exemple les produits financiers dérivés sur sous-jacent agricole ou énergétique. Plus encore, les "objets connecté" engendrent de l'interrégulation dans l'espace numérique. Ainsi, alors même qu'il est possible qu'Internet, donne lieu à une "interrégulation" avant de donner lieu à une régulation spécifique, celle-ci pouvant alors justifier que l'on se passe de la première. Cela n'est pas encore arrivé. Il faudrait que cette régulation propre au digitale soit mondiale. Il est donc possible qu'on en reste à un mécanisme d'interrégulation.

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