Article paru dans la Newsletter Law, Compliance, Regulation
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Exerçant un pouvoir de sanction, le Régulateur doit informer la "personne concernée" de son droit de se taire (cons. const., 26 sept. 2025)", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 27 septembre 2025
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► Résumé de l'article : Le Conseil constitutionnel a rendu le 26 septembre 2025 une décision n°2025-1164 , Société Eurotitrisation et autres qui déclare une disposition du Code monétaire et financier contraire à la Constitution.
Le Conseil déclare, et cela ne surprend pas notamment parce qu'il enrichit une jurisprudence débutée en 2016 affirmant régulièrement le caractère constitutionnel et autonome du "droit de se taire", que le fait pour le CMF de ne pas contraindre la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) à informer une personne concernée de son droit de se faire rend de ce meme fait le dispositif procédural organisé par ce texte (IV de l'art.L 621-15 CMF, qui ne formulait qu'en termes généraux l'obligation de respecter le principe du contradictoire et des droits de la défense, sans viser le droit de se taire) contraire à la Constitution.
Cette sanction, intègre donc la règle dans la loi française, car en censurant à effet immédiat un silence le Conseil injecte immédiatement le droit de se taire dans les procédues en cours devant la Commission des sanctions de l'AMF (I). La solution était prévisible et vaut pour toutes les Autorités de régulations (II). Mais elle montre les tensions entre l'exercice du pouvoir spécial de sanction, qui appelle le droit de se taire au profit des "personnes concernées" et le pouvoir général de régulation, dont la sanction n'est pourtant qu'un outil, régulation qui suppose l'obtention d'informations et supporte mal ce silence (III). Plus largement, c'est l'affrontement entre l'impératif des secrets et l'impératif de l'information qui se déroule (IV).
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📧lire l'article publié le 27 septembre dans la Newsletter MAFR - Law, Compliance, Regulation
Le Conseil constitutionnel a rendu le 26 septembre 2025 une décision n°2025-1164 , Société Eurotitrisation et autres qui déclare une disposition du Code monétaire et financier contraire à la Constitution.
Le Conseil déclare, et cela ne surprend pas notamment parce qu'il enrichit une jurisprudence débutée en 2016 affirmant régulièrement le caractère constitutionnel et autonome du "droit de se taire", que le fait pour le CMF de ne pas contraindre la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) à informer une personne concernée de son droit de se faire rend de ce meme fait le dispositif procédural organisé par ce texte (IV de l'art.L 621-15 CMF, qui ne formulait qu'en termes généraux l'obligation de respecter le principe du contradictoire et des droits de la défense, sans viser le droit de se taire) contraire à la Constitution.
Cette sanction, intègre donc la règle dans la loi française, car en censurant à effet immédiat un silence le Conseil injecte immédiatement le droit de se taire dans les procédues en cours devant la Commission des sanctions de l'AMF (I). La solution était prévisible et vaut pour toutes les Autorités de régulations (II). Mais elle montre les tensions entre l'exercice du pouvoir spécial de sanction, qui appelle le droit de se taire au profit des "personnes concernées" et le pouvoir général de régulation, dont la sanction n'est pourtant qu'un outil, régulation qui suppose l'obtention d'informations et supporte mal ce silence (III). Plus largement, c'est l'affrontement entre l'impératif des secrets et l'impératif de l'information qui se déroule (IV).
I. L'OBLIGATION CONSTITUTIONNELLE POUR LA COMMISSION DES SANCTIONS DE L'AUTORITE DES MARCHES FINANCIERS D'INFORMER EN TEMPS UTILE "TOUTE PERSONNE CONCERNEE" DE SON DROIT DE SE TAIRE
Dans sa décision du 26 septembre 2025, le Conseil constitutionnel rappelle la procédure de sanction suivie devant la Commission des sanctions de l'AMF. Lorsque le collège de l'AMF décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs à la "personne concernée" et informe la Commission des sanctions. La loi impose à la Commission d'appeller et d'entendre celle-ci avant de la sanctionner.
Le Conseil relève que lorsque cette personne est entendue par la Commission des sanctions, elle "peut être amenée, par ses déclarations, à reconnaître les manquements qui lui sont reprochés". Il ajoute que "le fait même d'être entendue peut lui laisser croire qu'elle ne dispose pas du droit de se taire".
Le Conseil en conclut que de ne pas l'informer de son droit de se taire, alors que de fait la personne va croire si elle est entendue, c'est pour dire quelque chose, et donc éventuellement pour dire des choses qui vont conduire à sa sanction, est contraire à l'article 9 de la déclaration des droits de l'Homme, posant la présomption d'innocence, dans laquelle les droits de la défense s'ancrent.
La solidité du raisonnement tient dans sa simplicité et son caractère concret. C'est aussi pour cela que le droit de se taire, en tant que droit processuel autonome, ne cesse de progresser. Et pourtant, il semble qu'en pratique il rencontre des oppositions. Et des oppositions de principe, du fait même de ce qu'est la Régulation.
II. CETTE OBLIGATION QUI VAUT POUR TOUS LES REGULATEURS DANS L'EXERCICE DE LEUR POUVOIR DE SANCTION S'ACCULTURE AVEC DIFFICULTE
De décision en décision, l'on voit que le "droit de se taire" à la fois se répand d'entités dotés d'un pouvoir de sanction, cela vaut pour les juridictions, pour les Autorités administrative indépendantes (comme l'AMF), mais cela vaut aussi pour les organisations privées, par exemple professionnelles.
Le Conseil d'Etat va dans le même sens et sanctionne les textes qui, dans l'organisation des procédures des organes administratifs dotés de pouvoirs répressifs, ne prévoyaient pas le droit de se taire. Là aussi, les deux ailes du Palais-Royal cheminent ensemble.
La même expansion vaut pour les "personnes concernées", qui ne sont pas seulement les personnes qui sont renvoyées et convoquées mais celles qui peuvent l'être plus tard. Le droit de se taire n'étant qu'une émanation des droits de la défense, ces prérogatives de la personnes qui pourrait plus tard d'être punie remontent dans le temps jusqu'au moment où un danger de future condamnation se dessine. C'est-à-dire non pas après les enquêtes mais plus tôt au cours des enquêtes elles-mêmes, au moment où les "personnes concernées" ne sont pas encore "mises en cause", à ce moment précoce où les enquêteurs cherchent alors à recueillir le plus possible d'informations (qui pourraient se retourner contre elles).
Les juridictions le savent. Ainsi la Cour de justice de l'Union européenne a posé, à propos des enquêtes par la Consob, autorité italienne des marchés financiers, dans son arrêt du 3 février 2021, DB c/ Consob, a posé que dès l'instant que des éléments de réponse de la personne apparaissaient comme pouvant l'impliquer par la suite, l'enquêteur doit l'informer de son droit de se taire. C'est donc à celui qui interroge de "circuler dans le temps" pour mesurer les risques que courent la personne pour savoir si elle est "concernée" ou non par ce qui va suivre.
Pourquoi donc est-ce si difficile pour les Autorités de mettre cela en place, les organismes qui, concrètement connaissent ces jurisprudences et ces raisonnement, ayant une réticence manifeste à mettre en place ce droit fondamental à se taire?
Parce que, par leur mission même, les Régulateurs ont pour fonction de collecter de l'information. Tout silence, tout secret, est un obstacle, perçu comme illégitme, manié par des personnes perçues comme coupable ou entravant une mission plus haute et nécessaire. Il y aurait une sorte de contradiction dans les termes.
III. LA DIFFICILE ARTICULATION ENTRE LE POUVOIR SPECIAL DE SANCTION ET LE POUVOIR GENERAL DE REGULATION
Un organisme qui sanctionne doit se comporter comme un juge. C'est ce que pensent en tout cas les juges, c'est ce qui fondent ces jurisprudences successives, unanimes.
Un juge a une culture procédurale qui fait place aux droits de la défense et estimera que le jeu d'opposition entre celui qui cherche l'information (le juge d'instruction notamment, le juge à l'audience) et celui qui, innocent ou coupable, cherche à ne pas donner l'information, est un jeu normal.
Mais les commissions de sanction, si indépendantes fonctionnellement soient-elles, ne sont elles-même que des parts d'Autorités de régulation ou de supervision qui ont en charge de réguler des systèmes, par exemple le système financier, avec la mission d'en assurer la transparence et de le préserver des risques majeurs présents et futurs dont les manquements et divers abus de marché constituent un exemple parmi d'autre.
C'est ainsi que les perçoivent les Autorités de régulation, notamment les collèges de celles-ci, qui décident de l'ouverture des poursuites, et chaque jour dans les services veillent au bon fonctionnement des marchés, par exemple du marché financier.
Pour cela, être informé du manquement, y "remédier", pour que cela n'arrive plus, est une démarche naturelle. C'est pourquoi l'on va trouver en Droit de la régulation, notamment financière, des "composition administrative", des "engagements", des articulations avec des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), parce que ce sont des solutions qui à la fois sont efficaces pour l'avenir du système et fournissent des informations : les personnes fournissant beaucoup d'information, et notamment, voire en premier lieu, sur leurs propre manquement. C'est pourquoi le Droit de la Compliance s'y est si bien installé.
L'on est ainsi à l'opposé du droit de se taire, puisque de fait l'autoincrimination est récompensée, notamment en Droit de la concurrence par les mécanismes de clémence.
La procédure qui est alors mise en place n'est pas construite sur les droits de la défense (et le droit de ne rien dire) mais sur le principe du contradictoire : car celui-ci repose sur l'inverse, à savoir le droit de dire.
Dans la mission du Régulateur qui est conçue par le Droit de la Régulation, le droit des personnes concernées de "dire quelque chose" est bienvenu car il converge vers le besoin d'information, et le principe du contradictoire (souvent confondu à dessein avec les droits de la défense) est loué, alors que les droits de la défense et le droit de "ne pas dire quelque chose" est critiqué.
L'on mesure ici que suivant que l'on conçoit les Commissions des sanctions comme des juges, ce que font les juridictions en titre, ou comme le bras armé de la Régulation, ce que font les autorités et l'administration, cela ne donnera pas la même solution.
Les 2 perspectives sont légitimes.
Elles sont difficilement conciliables. Il faut déjà que chacune soit au moins entendue par l'autre :
Cela renvoie à une articulation plus générale et tout aussi difficile, car la Régulation se nourrit d'informations tandis que le droit de se taire exprime le secret. Et il y a opposition tant que l'on n'admet pas la place des secrets dans le Droit de la compliance, car si celui-ci se nourrit d'information, comme le Droit de la Régulation dont il est le prolongement.
IV. LA DIFFICILE ARTICULATION ENTRE LE SECRET ET LA REGULATION
L'on peut comprendre que les Autorités de régulation perçoivent les secrets comme des sortes d'obstacles à leur mission de service public, affirmant que se taire c'est déjà avouer que l'on serait coupable de quelque chose, affirmant en revanche dans de nombreux documents que s'autoincrimer c'est donc faire "preuve de loyauté" dans un dialogue fructueux avec l'autorité publique.
Nous sommes en train de vivre une mise en cause générale des secrets. Les arguments en faveur de la Régulation avec l'apport des informations et les outils de la compliance sont désormais fortement soutenus et il faut aussi les entendre. Mais le secret n'est pas qu'entrave.
Sans ouvrir cette immense question des secret et pour en rester à la seule question de l'efficacité de la Régulation, la Régulation, par exemple financière, est depuis longtemps internalisée en partie dans les opérateurs par le Droit de la compliance.
Ceux-ci sont en charge de rendre eux-même effectifs les buts monumentaux (globaux et systémiques) de lutte contre le blanchiment d'argent, de prévention et détection des abus de marché, etc. Pour cela, les opérateurs doivent eux-même avoir de l'information, par des enquêtes internes, opérer des possibles licenciements, résiliations de contrat, etc. Ces informations sur de possibles détaillances des entreprises doivent être secrètes, sinon les entreprises préfèreront ne pas savoir. Tous y perdent.
Il est ainsi de l'intérêt commun des Régulateurs et des "personnes concernées" que sont les entreprises que le Droit de la compliance charge de venir aider les Autorités publiques, dont les Régulateurs, à assurer la durabilité des systèmes, que celles-ci aillent chercher des informations qu'elles n'ont pas afin de les utiliser pour remplir leur "obligation de compliance" et jouer ainsi leur rôle, sans que cela entraîne de ce fait une sanction, alors que sans l'obtention par elles-mêmes de cette information, elles n'auraient pas été sanctionnées.
Il est possible que l'impératif d'attractivité et de compétitivité de notre système aide à la compréhension de ces deux enjeux, pas vers une amélioration des pratiques.
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