13 juillet 2015

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Quand le juge se prend pour le législateur : de quelle sorte de "pouvoir judiciaire" les arrêts du 3 juillet 2015 ouvrant la porte aux conventions de maternité de substitution sont-ils le signe ?

par Marie-Anne Frison-Roche

Cet article s'insère dans une trilogie, qui vise à comprendre les  deux arrêts rendus par l'Assemblée plénière le 3 juillet 2015.

Un premier article a procédé à une analyse  exégétique des arrêts. Il faut sans doute procéder ainsi  dans un premier temps, un peu scolairement, pour mesurer "le sens, la valeur et la portée" des deux arrêts-miroirs, qui n'ont pas touché expressément la prohibition française des conventions de mère-porteuse mais qui par leur silence ont levé le pont-levis pour laisser entrer les entreprises sur le marché fructueux du matériel humain et de l'engendrement.

Ce deuxième article prend une perspective particulière : celle du "pouvoir" que ces arrêts manifestent. Depuis longtemps, l'expression constitutionnelle d' "autorité judiciaire" est le masque d'un pouvoir, le "pouvoir judiciaire" n'étant pas critiquable en soi dès l'instant qu'il est en équilibre avec le pouvoir législatif.

Un troisième article prendra une perspective plus factuelle et de sociologie judiciaire et institutionnelle!footnote-205. Quand les arrêts sont si laconiques, l'on se rabat sur les textes environnants, comme le "Communiqué de presse nous y invite, mais c'est à l'audience du 19 juin 2015 que tout s'est joué ... Et de cela, que restera-t-il ? L'on nous dit que la procédure est écrite ? Il faut n'avoir pas assisté à cette audience pour le croire.

Restons sur la deuxième perspective, choisie par ce présent article. Les arrêts expriment un étrange pouvoir : les juges s'attribuent le pouvoir de toucher l'une des questions les plus essentielles de notre système juridique, à savoir la filiation. En cela, il se substitue au pouvoir législatif.

Mais alors, tant qu'à faire la loi, la Cour devrait poser une règle générale. Elle préfère demeurer dans la casuistique. Mordiller dans le talon de la filiation. Rendre l'institution aussi faible qu'Achille sans pour autant établir un autre demi-dieu sur lequel notre Droit, toujours à la recherche de sacré peut se construire. Nous voilà dans les sables mouvants de la casuistique. C'est une seconde raison pour que le Législateur intervienne, afin que des principes servent de repères.

A la lecture de ces arrêts, il apparaît donc que les juges se sont appropriés d'une façon indue un pouvoir illégitime, déformant une institution politique établie hors de leur pouvoir et dont ils n'ont que la garde (I), pouvoir dont ils ont en outre fait un usage casuistique, ôté tout repère dans un Droit qui a besoin de repères, à travers des principes (II).

I. QUI ÉTABLIT LA FILIATION, DU JUGE OU DU LÉGISLATEUR ?

La question qui était posée à la Cour de cassation concernait la filiation (A). Or, la filiation est une institution et en tant que telle, seul le Législateur est légitime à la modifier d'une façon aussi substantielle (B).

 

A. LA COUR DE CASSATION A TRANCHE UNE QUESTION DE FILIATION

L'on est obligé de restituer le sens des arrêts rendus par la Cour de cassation, non seulement à partir de leur contenu laconique, qui ne se réfère qu'aux dispositions du Code civil sur la transcription sur l'état civil français des mentions initialement portées sur l'état civil établi à l'étranger, mais encore à partir de la présentation "autorisée" qu'en donne le "communiqué de presse".

Celui-ci établit un rapport direct entre les 2 arrêts rendus par la Cour de cassation et les arrêts du 26 juin 2014, Labassée et Mendesson rendus par la CEDH. Le Communiqué renvoie en outre au travail du Rapporteur et à l'Avis du Procureur général, qu'un lien hypertexte invite à consulter.

Ainsi dans une première approche,  les arrêts du 3 juillets 2015 si on les considère comme en vase clos semblent régler une affaire technique de transcription d'état-civil. Rien que cela : les mentions écrites sur l'état civil établi à l'étranger doivent être transcrites sur l'état civil français, sans qu'on ait à accorder une pertinence!footnote-196 au  fait que l'enfant dont il s'agit soit né au terme d'un processus de maternité de substituer (appelé souvent "GPA"). Sauf à ce que soit établie, soit l'inexactitude, soit la falsification de ces mentions, soit la discordance entre celles-ci et la "réalité";

Mais même dans cette approche de scribe, en premier lieu, une telle discordance entre les mentions et cette mystérieuse "réalité" évoquée par les juges vise certainement l'hypothèse où la personne mentionnée comme le père ne "serait pas en réalité" le père. Cette discordance justifierait alors le refus de transcription, tandis qu'inversement si l'homme mentionné sur l'état civil établi à l'étranger est "vraiment le père de l'enfant", alors rien ne peut s'opposer à la transcription, dès l'instant qu'elle n'est pas par ailleurs falsifiée ou inexacte.

Il faut donc admettre que d'une façon irréfragable celui qui a un lien biologique avec l'enfant est au regard du droit français le père de l'enfant.

En second lieu, ce faisant et par prétérition, les juges ont implicitement "appliqué" les arrêts de la CEDH du 26 juin 2014. L'application est silencieuse dans les arrêts, qui ne se réfèrent pas dans leur lettre aux articles de la Convention européenne des droits de l'homme mais explicite dans l'avis émis par le Procureur général, avis dont on ne peut douter qu'il ait porté. 

Ces arrêts du 26 juin 2015 ont affirmé que l'enfant avait un "droit à l'identité", découvert dans son droit au respect à la vie privée, droit à l'identité qui implique selon les juges de la CEDH que son lien de filiation à l'égard de son père biologique soit reconnu, soit "acté", par le système juridique de l’État signature de la Convention européenne des droits de l'homme, quand bien même cet État signataire prohibe la convention de mère-porteuse.

Ce faisant, l'absence de pertinence de la convention de maternité de substitution pour l'établissement de l'état civil est monté d'un cran, par un saut qualitatif : désormais par les arrêts du 3 juillet 2015, la convention de maternité de substitution est elle-même sans pertinence à l'égard de l’État lui-même qui devient impuissant à opposer aux contractants de cette convention la prohibition de celle-ci. La prohibition devient transparente. Elle perd sa pertinence.

Il ne s'agit pas ici de faire de faire une analyse substantielle de cette solution mais d'observer simplement ici qu'en affirmant cela!footnote-197, les juges ont quitté les rivages calmes de l'état civil pour aller sur celui de la filiation. Même s'ils ont passé sous silence le fait qu'ils entamaient ainsi le droit de la filiation, ils l'on nécessairement fait.

En effet, l'état civil recueille ce qui est le cœur de l'état des personnes, leur "identité", les liens avec les autres personnes, à la fois horizontaux (par exemple mariage) et verticaux (filiation). Coucher ainsi sur un papier authentique l'emplacement de la personne dans le maillage du groupe permet à l'individu de se situer. Cela explique que la CEDH rattache le dispositif au "droit à l'identité de l'enfant" et que le Communiqué de presse rattache l'ensemble aux arrêts de la CEDH et à l'article 8 de la Convention.

Mais ce rattachement de l'individu aux parents, ce lien vertical, cette filiation, regarde aussi éminemment l’État qui situe ainsi l'individu dans le groupe familial et social. Lorsque l’Église avait un rôle tutélaire sur e groupe social, elle tenait les registres. Comme on le sait, le Droit Intermédiaire a ôté ses registres des mains de l'Eglise pour les remettre dans les mains de l’État afin que celui-ci est le monopole d'écrire pour chacun d'entre nous l'institution politique majeure qu'est la filiation.

La filiation est une institution politique. La concevoir comme une affaire privée est une erreur profonde, voire une faute ou  un accaparement politique.

 

B. LA FILIATION, UNE INSTITUTION SUR LAQUELLE SEULE LA PAROLE DU LÉGISLATEUR EST LÉGITIME

En imposant à l’État français de neutraliser la prohibition de la convention de la maternité de substitution, ce qui constitue la portée des arrêts du 3 juillet 2015, portée sur laquelle on ne s'interrogera même pas, la Cour de cassation a imposé une nouvelle conception de la filiation.

En effet, cela est désormais clair : s'il y a un "lien biologique" entre l'homme qui déclare l'enfant à l'état civil et l'enfant déclaré, alors l’État français n'a, selon la Cour de cassation, plus rien à dire.

L’État français n'a donc plus la parole : la parole du père biologique a voix prépondérante sur l’État et son ordre public!footnote-198.

Les juges de la Cour de cassation, suivant en cela le Procureur général qui a expliqué que "l'on ne pouvait pas ne pas" suivre les arrêts de la CEDH a posé qu'il fallait reconnaître comme "enfant" du déclarant l'enfant l'enfant déclaré par le donneur de gamètes.

Ne nous interrogeons pas sur la question de savoir si la Cour de cassation était ou non à ce point "obligée". Cette question du "droit à l'identité" ainsi interprété ayant pour conséquence la suppression de toute pertinence de la prohibition des conventions de maternité de substitution par le droit national est en discussion devant la Cour, un cas analogue étant portée par l’État italien devant la Grande Chambre de la CEDH!footnote-199

La Cour de cassation, en s'appuyant sur l'autorité d'un autre juge, dans le grand concert de ce qui est parfois présenté comme le "dialogue des juges", a modifié la notion même de filiation.

De deux façons.

En premier lieu, la filiation est présentée comme une affaire privée ; en second lieu, la filiation est présentée comme un lien biologique.

Ses deux assertions sont très critiquables. Elles sont pourtant acquises à la lecture des arrêts et de la doctrine institutionnelle qui les entoure.

 

1. La conception juridictionnelle de la filiation, comme un lien biologique unissant deux personnes dans la sphère  privée

En effet, les arrêts de la Cour de cassation, puisqu'il faut les lire à la lumière des arrêts de la CEDH, conçoivent la filiation comme une sorte de reflet d'un droit subjectif fondamental, d'un droit de l'enfant, d'un "droit à la filiation".

Ce "droit à la filiation", qui fait partie du "droit à l'identité" a pour racine le "droit à l'épanouissement personnel" du descendant, lequel est né du "droit au respect de la vie privée" visé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi, par cette succession de droits subjectifs,  comme on descend des marches, on en arrive à l'affirmation que la filiation est un lien entre deux personnes privées (le père et le fils) dans un espace privé (la famille). 

Ainsi, le droit de la filiation est, comme les autres droits de l'homme, une prérogative contre l’État, afin que l'individu, ici l'enfant soit armé contre l'intrusion de l’État afin de s'épanouir, notamment en ayant une identité, un "sentiment d'identité", qui lui permet de se situer lui-même dans ce groupe très restreint qu'est la famille.

Dans la conception européenne, dont on ne peut nier la cohérence, la filiation est une prérogative de la personne, la filiation cristallisant ainsi un lien d'affection, de volonté et de désir de "vivre-ensemble" sur une dimension principalement contractuelle, dans laquelle la dimension violente et extérieure de l’État ne peut être qu'inappropriée. Cela renvoie à une conception d'une "famille à sa main", dans laquelle l'individu construit lui-même sa famille, non seulement dans ses relations horizontales (mariage et démariage et remariage et multimariages) mais encore verticales (parentalité, multiparentalité, maternités partagées, etc.). L'essentiel devient alors la qualité du lien et l'association de la volonté des individus concernés et l'affection qui sous-tend ces liens!footnote-200.

Il n'est pas question ici d'apprécier une telle évolution. On relèvera simplement qu'elle conduit à construire le "lien de filiation" sur la volonté des personnes, le "projet d'avoir un enfant" de la part des adultes, le "projet d'avoir des parents" de la part de l'enfant si on lui demande  son avis.

Or, ce n'est pas à cette conception que les arrêts du 3 juillet 2015 conduisent. En effet, alors même que l’État a été congédié de la question de la filiation puisque celle-ci a été remise dans la vie privée, la filiation n'est pas pour autant l'oeuvre de la volonté des personnes : elle est la transcription juridique du lien biologique.

Ce n'est rien ajouter aux arrêts que d'affirmer : la filiation en droit est désormais le constat pur et simple d'un lien biologique entre l'adulte et l'enfant. Lorsqu'il est certain, ce qui était le cas dans les deux cas sur lesquels la Cour d'appel de Rennes avait statué, la filiation devient inattaquable et l'état civil qui mentionne l'adulte comme étant le "père" de l'enfant est bien en "concordance avec la réalité", ce qui oblige donc à transcrire les mentions portées sur l'état civil établi à l'étranger sur l'état civil français.

Mais quand on se souvient de ce qu'était par ailleurs La loi du sang!footnote-201, de ce qu'est un droit qui prend comme critère simple et suffisant la biologie, après avoir réduit la perspective à la seule vie privée, l'on mesure l'effondrement de la filiation qui s'est produit.

En effet, la filiation est une institution, une institution politique, qui doit demeurer dans les seules mains du Législateur.

 

2. La filiation est une institution politique, posée par le Législateur

La filiation est une institution politique, en ce que la structure des liens verticaux est une institution majeure du groupe social. L'anthropologie et la science politique ont montré que les structures sociales profondes sont construites sur les techniques de filiation, depuis les filiations royales jusqu'aux filiations bourgeoises ou paysannes;

Les Révolutions ont d'abord mis à bas les filiations et ce qui lui est étroitement corrélé, à savoir la dévolution successorale des noms, des titres et des biens.

Le lien vertical que constitue la filiation enracine le maillage social dans son entier. Le dessin que le Politique en fait est une œuvre politique.

C'est donc le Législateur qui doit tenir la plume. Même s'il doit être modeste et sa plume être tremblante, même s'il doit être attentif aux mœurs et aux appels des uns et des autres, c'est au Législateur d'écrire.

Or, par les arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de cassation a pris la plume à la place du Législateur.

Certes, comme l'a souligné le Procureur général, en premier lieu, le juge est bien obligé de répondre lorsqu'un justiciable lui pose une question!footnote-202. Le juge masque donc sa prise de pouvoir derrière l'ordre général que le législateur lui aurait lui-même donné de statuer.

En second lieu, comme l'a également souligné le Procureur général, le juge national est bien obligé de suivre ce qu'a dit avant lui le juge européen, hiérarchie des normes oblige, articulation des interprétations contraignantes lui brisant toute volonté d'autonomie. Il aurait peut-être bien aimé, mais ... S'il n'avait tenu qu'à lui, alors ça ... Mais le sens du droit s'exprime avant tout par le sens de l’obéissance ...

On lit clairement ces arguments dans le rapport et l'avis qui éclairent les arrêts technique du 3  juillet 2015.

Cela est faux.

Le Législateur Français a posé que la filiation est un lien qui unit l'enfant et la femme qui lui a donné naissance. Le père présumé est le mari de la mère. Est ainsi constitué une cellule politique, partie intégrante du groupe politique général dont l’État a la garde et dont l'état civil est le reflet technique.

Si l'on devait changer le principe même de la filiation, la poser comme étant le reflet d'un lien biologique considérée dans la sphère privée au sein de laquelle évolue les deux personnes qu'il faut considérer (le seul adulte et le seul enfant), alors le changement politique est radical.

Il ne s'agirait plus d'un maillage mais d'une relation bilatéral, il ne s'agirait plus d'une relation poreuse à un système social plus vaste et fixe dans le temps, mais de multiples relations bilatérales, ressemblant davantage au marché, et reflet de liens biologiques, ce qui renvoie à la bio-économie. Il ne s'agit pas ici de savoir si ce changement est opportun ou catastrophique : il exprime en tout cas un tel bouleversement politique que seul le Législateur peut l'opérer.

L'on peut faire toutes les dissertations que l'on veut à ce propos, les juges n'ont de pouvoirs que dans les marges des principes politiques posés par le Législateur. Le Législateur a posé les principes d'une filiation comme une institution politique. Il était de l'office du juge de conserver cette définition de la filiation.

En se réfugiant derrière une lecture technicienne de l'article 57 du Code civil, disposition plate relative aux mentions des états civils établis à l'étranger,  et une autorité attachée à deux arrêts rendus par une simple section de la CEDH,  la Cour de cassation a changé la définition de la filiation.

Cela est inadmissible. Nous revoilà donc dans l'hypothèse d'une jurisprudence qui doit être brisée par la loi!footnote-203.

 

Pour justifier les arrêts du 3 juillet 2015, il faudrait les considérer comme n'étant que des arrêts d'espèce, ne posant aucun principe. Mais c'est aller de Charybde en Scylla, car pour aboutir à l'idée que la Cour de cassation n'a pas modifié la définition même de la filiation - ce qui rendrait alors ces deux arrêts acceptables - il faut les considérer comme n'étant que des arrêts d'espèce. Or, s'ils ne sont que cela, cela est condamnable car en matière de convention de maternité de substitution, c'est de principes, clairs, nets et généraux que nous avons besoin.

 

 

II. LA NÉCESSITÉ DE POSER DES PRINCIPES

 

Il apparait en effet que les arrêts du 3 juillet 2015 ne sont acceptables que s'ils sont des arrêts d'espèces (A), alors qu'aujourd'hui la maternité doit être gouvernée par des principes (B).

 

A. LES ARRÊTS DU 3 JUILLETS 2015 NE SONT ADMISSIBLES QUE S'IL SONT DES ARRÊTS D’ESPÈCE

La lecture doit toujours être "bienveillante"!footnote-204.

Si on lit les deux arrêts du 3 juillet 2015 avec bienveillance, l'on observe que la cassation est prononcée dans le premier arrêt en ce que la transcription avait été refusée alors que l'homme qui avait déclaré l'enfant était le "père biologique" de l'enfant et que la femme mentionnée sur l'état civil établi à l'étranger était la femme du ventre de laquelle l'enfant était né.

Ce même double fait, filiation paternelle entre l'enfant et le donneur de gamète, filiation maternelle entre l'enfant et la femme qui l'a porté, a été relevé aussi dans le second arrêt, de rejet.

Certes, ces deux faits, identiques, ne figurent pas dans une place formellement privilégiée dans les arrêts, mais les juges du droit que sont les juges de la Cour de cassation, reproduisent dans les deux arrêts ce fait de la mention de la "mère-porteuse" sur l'état civil.

Du coup, le lecteur se pose nécessairement la question suivante : il est acquis que si l'état civil établi à l'étranger mentionne à la fois le père biologique et la mère-porteuse, alors la transcription de la filiation paternelle basée sur le lien biologique sur l'état civil français ne rencontre plus d'obstacle (et peu importe la convention de maternité de substitution).

Cela est acquis.

Mais si l'on fait varier un peu le cas ...

Par exemple, si la femme du ventre de laquelle l'enfant est né n'est pas mentionnée sur l'état civil établi à l'étranger (cas non soumis à la Cour de cassation), quelle solution juridique faut-il retenir ? La même ou une autre ?

Les interprétation divergent déjà ...

Comme nous avons perdu la définition politique et institutionnelle de la filiation sans pour autant adopter la définition purement contractuelle et volontariste de la filiation rattachant l'enfant à ses "parents d'attention", si l'enfant est déclaré à l'étranger  à l'état civil à l'égard de l'homme ayant "fourni" des gamètes mais sans rattachement filial avec la femme qui lui a donné naissance, la transcription sur l'état civil français demeure-t-elle possible ?

L'avocat présent à l'audience pour le Défenseur des droits mais qui représente souvent les intérêts de l'association qui milite pour la légalisation des conventions de maternité de substitution en France avait demandé à la Cour de cassation de sauter le pas et de rattacher l'enfant aux deux personnes du couple qui ont eu à son égard "l'intention d'être parents". Ce qui effacerait sa mère, laquelle est, sauf à modifier le Code civil, la femme du ventre de laquelle il est né.

Du fait du silence des deux arrêts du 3 juillet 2015,  il est très difficile de dire si ce second cas a été implicitement visé par la Cour de cassation ou non.

Si le cas a été visé, du fait de la généralité de l'attendu principal qui ne se réfère qu'à la technique des mentions de l'état civil, alors même si l'enfant n'est pas même rattaché filialement sur l'état civil étranger  à sa mère qui l'a portée, la transcription devrait avoir lieu.

L'abstraction de l'attendu devrait conduire à cette interprétation. Mais cette interprétation est inadmissible. En effet, elle conduit à effacer la mère de l'enfant, à annihiler la prohibition des conventions de mère-porteuse, et sans doute la Cour de cassation, en insistant dans chacun des deux arrêts sur la présence de la mère dans les deux états civils étrangers ne l'a pas voulu.

Mais cela signifie alors que, pour être admissibles, les deux arrêts du 3 juillet 2015 ne sont que des arrêts d'espèce : la transcription sur l'état civil français ne serait admise que si l'homme qui déclare est bien le "père biologique" (première condition explicite) et que la mère, c'est-à-dire la femme du ventre de laquelle l'enfant est sorti, est également mentionnée sur l'état civil étranger (seconde condition).

Les arrêts deviendraient alors "admissibles" puisque le lien de maternité ne serait plus effacé, au moins dans un premier temps, entre l'enfant et sa mère. Cette interprétation qui limite les arrêts à l'espèce les rend admissibles. Mais cette interprétation ouvre des grandes difficultés, car cela fait varier les hypothèses et les solutions presque à l'infini.

En effet, l'on peut imaginer que la mère abandonne ensuite l'enfant pour que la conjointe du père biologique adopte l'enfant. L'on peut imaginer que le lien de maternité, qui serait donc implicitement visé par les arrêts, devrait recevoir une définition analogue au lien de filiation paternelle, c'est-à-dire biologique.

Dès lorsque la mère qui porte l'enfant est également la mère  biologique de l'enfant, du fait de l'épigénétique, mais que si l'on réduit la filiation à la biologie, s'il y a implantation d’ovocyte, il peut y avoir des revendications de maternité de la part des mères-porteuses. Elles aussi peuvent avoir des avocats. Les clauses contractuelles par lesquelles les jeunes femmes renonçent à l'intégralité de leurs droits seront anéanties et les revendications de maternité vont être un nouveau marché qui va se développer;

Ainsi, la casuistique dans laquelle les arrêts du 3 juillet 2015 se sont engagés, implicitement mais leur rédaction conduit sans doute à cette lecture, conduit à beaucoup de difficultés.

C'est pourquoi là encore le Législateur doit intervenir car le Législateur manie les principes, si le juge semble que régler des cas;

 

B. LA FILIATION ET LA MATERNITÉ DOIVENT ÊTRE GOUVERNES PAR DES PRINCIPES

Le Droit a besoin de quelques principes.  Même dans les systèmes de Common Law , cela n'est pas contesté. Suivant la légitimité que l'on accorde à telle ou telle source du droit, c'est le Juge qui établit et garde les principes, soit c'est le Législateur.

Si les principes posés par la loi sont respectés par le juge, celui-ci brode au fur et à mesure que les cas se présentent. Ici, la Cour de cassation a imposé une solution qui tout à la fois méconnait les principes posés par le Législateur tout en rendant des arrêts qui, pour être admissibles, ne sont ajustés qu'au cas soumis à la Cour.

Or, ces questions aussi fondamentales que la filiation et la maternité doivent faire l'objet de principe.

Si l'on devait dégager un principe des arrêts du 3 juillet 2015, il serait que l'enfant est rattaché à l'homme du sperme duquel il est né. C'est un principe désormais. L'on ne peut en trouver d'autres.

C'est ce que disait Aristote dans son traité de biologie : l'enfant est engendré par l'homme seul, la femme ne servant que de four pour que le petit croisse avant de sortir une fois le terme arrivé, afin de retrouver son créateur, à savoir son père biologique. L'on comprend que les associations féministes aient lu avec une grande contrariété les deux arrêts.

____

Par ses arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de cassation a fait sans doute le pire.

Elle a tout à fois détruit l'institution politique de la filiation, ce qui doit conduire le Législateur à intervenir pour restaurer celle-ci. Elle a opéré cette destruction par deux arrêts sans doute limités au cas précis d'un état civil étranger mentionnant la mère ayant porté l'enfant, démarche casuistique ôtant tout repère pour la suite, ce qui doit conduire le Législateur pour intervenir.

La présente analyse des arrêts ne les a abordés que sous l'angle du rapport entre le pouvoir juridictionnel et le pouvoir législatif. Si l'on regarde les solutions en elles-mêmes, le Législateur est également requis, parce que le juge semble avoir abandonné les femmes et les enfants à leur sort, devenus matériel humain à la disposition de plus riches d'eux. Ce fût pourtant la Cour de cassation qui en 1991 les protégea en frappa de nullité absolue les conventions de mère-porteuse, parce que les êtres humains ne peuvent être cédés comme des choses. C'est aujourd'hui au Législateur de restaurer les principes élémentaires par lesquels les personnes et les choses ne sont pas interchangeable suivant la fortune de chacun.

 

1

La "pertinence" est à prendre au sens technique que lui donne le droit probatoire : le fait, qu'il existe ou non, qu'il soit démontré ou non, d'une convention de maternité de substitution (appelée par certains "GPA") n'aurait désormais plus d'influence sur l'issue du litige ; il n'a plus de pertinence.

2

Pour une analyse substantielle du choc que le système juridique subit du fait de l'accueil de fait que les juges font de la pratique fait des conventions de mères-porteuses, dès l'instant qu'elles se déroulent à l'étranger, v. Frison-Roche, M.-A., Le droit à l'épreuve des contrats de maternité de substitution, 2015.

3

Pour une analyse plus ample, v. Frison-Roche, M.-A., Droit et Marché : une épreuve humaine, 2015  ;  L'ordre public économique, 2015.

4

Les arrêts du 26 juin 2014, Labasséee et Mendesson n'ont été rendus que par une section de la Cour européenne et c'est le gouvernement français qui a choisi de ne pas porter le cas devant la Grande Chambre de la CEDH. L'Etat italien a fait le choix inverse ; la question de l'autorité des arrêts de la CEDH est très discutée, comme celle de la conformité du droit des États signataires ;  la France a depuis ces arrêts modifié son système juridique. Mais laissons cela.

5

Pour une description plus ample de cette évolution, V. Frison-Roche, M.-A., Une famille à sa main, in Archives de Philosophie du Droit, La famille en mutation, 2014.

7

C'est même un office auquel il ne peut se soustraire, obligé à la fois par l'article 12 du Code de procédure civile et l'article 4 du Code civil. V. par exemple Frison-Roche, M.-A., L'accès au droit et à la justice, 20012.

8

Malaurie, Ph., La jurisprudence combattue par la loi,

9

Pour reprendre l'un des conseils de méthode de Descartes.

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