10 mars 2008

Publications

Publication : monographie

La responsabilité des magistrats, comme mise à distance in "La responsabilité des magistrats"

par Marie-Anne Frison-Roche

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, La responsabilité des magistrats comme mise à distance, in La responsabilité des magistrats, Entretiens d’Aguesseau, Limoges, 2008, PUL, p.229-239

Dans cette synthèse d’une série de contributions particulière, il est souligné que très peu de décisions et de textes ont produit pourtant beaucoup d’affrontement, car c’est le Droit et le Politique qui s’affrontent, la responsabilité pouvant entamer l’indépendance des magistrats. Pour éviter cela, la responsabilité peut être conçue alors qu’on ne distingue pas le juge et le jugement, mais il faut alors en conclure l’immunité du premier. Il convient plutôt d’affirmer que le juge doit garder distance par rapport à son pouvoir de juger . De cela, il doit rendre des comptes, qui dépassent son for interne et sa conscience, pour justifier l’usage qu’il fait de ses pouvoirs au regard de l’office pour l’exécution duquel la loi les lui a conférés. Cette discipline est internalisée par le Conseil Supérieur de la Magistrature.

Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, La responsabilité des magistrats comme mise à distance, in La responsabilité des magistrats, Entretiens d’Aguesseau, Limoges, 2008, PUL, p.229-239.

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Il s’agit de la synthèse d’une publication écrite d’un colloque. 

De l’ensemble des contributions écrites mais aussi des propos oraux échangés, il ressort tout d’abord une grande distance entre les textes et la pratique, soit que les textes soient sévères et tatillon, mais la discipline en réalité tolérante, soit que les textes soient lacunaires et la pratique ait toujours veillé à limiter le pouvoir des juges, qui ne peut s’exercer hors du droit. Il ressort ensuite de la confusion car sur la question droit et politique s’affrontent immédiatement. En effet, le thème met en opposition la responsabilité et l’indépendance, les intervenants cherchant à les réconcilier par le troisième terme qu’est la qualité de la justice. Si l’on devait alors plus loin et poser en principe la responsabilité des magistrats, pourquoi pas, mais il faudrait alors prendre acte que, parce qu’il s’agit d’équilibre des pouvoirs, nous aurions changé de système politique. Mais dans ce qui serait un nouveau paradigme s’imposant au juge tout en préservant son indépendance à l’égard des parties et du Politique, le magistrat doit garder ses distances par rapport au pouvoir dont il fait usage.

La première partie de la synthèse envisage donc la responsabilité comme une "distance entre le juge et le jugement". En effet, si l’on ne distingue en rien le juge et le jugement, alors le juge bénéficie d’une immunité en tant qu’il est l’auteur de l’acte. Cette conception radicale demeure active en common Law. Cette immunité est difficile à supporter car le juge, demeurant un homme, il masque ses défauts et limites, sous un acte dont on a du mal à conserver une perception d’acte sacré. Mais on ne peut non plus livrer le juge à toute critique de son jugement, comme si celui-ci était un acte ordinaire.

La solution est donc de recourir à la notion de "distance" entre le juge et le jugement, la responsabilité ayant pour fonction de veiller à ce que celle-là soit gardée. La médiatisation entre le juge et son jugement est tout d’abord la loi, que le juge doit respecter, puis l’institution judiciaire et l’État lui-même. Un fonctionnement défectueux de ce service public peut aussi justifier une sanction disciplinaire du juge. Une médiation plus nouvelle est celle de la déontologie. Enfin, la médiation plus interne et objective est la procédure et c’est souvent pour incurie procédurale que la responsabilité du magistrat est engagée. Ainsi, est assuré un équilibre entre le juge et son jugement, qui est certes son oeuvre, mais aussi l’oeuvre de toutes ces interférences nécessaires.

La seconde partie de la synthèse présente la responsabilité des magistrats à travers une dialectique "du dedans et du dehors". Si on enferme la responsabilité dans le dedans, alors le magistrat ne répondra que devant sa conscience, dans son for intérieur. Il n’y aurait de responsabilité juridique que concernant un magistrat que l’on pourrait dire "hors de lui", comme celui qui tient des propos injurieux à l’audience, laquelle cesse alors d’être salle de justice. Mais qu’en est-il hors des prétoires ? du juge infidèle ? sado-masochiste ? Attention à l’ordre moral, dont la sagesse judiciaire doit précisément nous préserver. Pourtant, les juges doivent être dignes, même hors de la vie professionnelle, car, dans leur apparence, ils donnent à voir l’institution.

D’ailleurs, ce "dehors" s’est lui-même internalisé, par une sorte d’autorégulation construite autour du Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais on doute souvent de la distance assurée par une régularisation opérée par ceux-là même qui sont contrôlés. C’est pourquoi on se dispute toujours sur la question de savoir si les magistrats doivent ou non être majoritaires dans le Conseil.

Enfin, la synthèse conclut que la meilleure mise à distance prendre la forme de la reddition des comptes (accountability). Elle dit dans le phénomène évoqué par tous : le pouvoir. En effet, la responsabilité est la conséquence du pouvoir. Dès l’instant que les magistrats en exercent un, et combien !, ils doivent non pas en être sanctionnés car il ne s’agit de leur ôter d’une main le pouvoir qu’on leur avait donné de l’autre, mais ils doivent en rendre des comptes, c’est-à-dire, montre le bon usage qu’ils ont fait de leurs pouvoirs au regard de l’office pour lequel ce pouvoir leur a été donné.

En cela notamment, l’évaluation des magistrats va de soi, puisque ce sont des responsables. Dans cette conception plus large de l’accountabilité, alors que la responsabilité juridique est une surréaction ponctuelle, l’accountabilité est une justification paisible et permanente. En cela aussi, elle est préférable.

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