Aug. 19, 2010

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La France dispose désormais d'une Cour suprême, bouleversant l'organisation politique de la Vième République

by Marie-Anne Frison-Roche

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 6 août 2010 concernant une question prioritaire de constitutionnalité sur le mécanisme de garde à vue. Il estime que l'organisation française des gardes à vue n'est pas totalement conforme à la Constitution. L'intérêt de la décision est plutôt de montrer que, comme on pouvait s'en douter, la question prioritaire de constitutionnalité, transforme le Conseil constitutionnel en Cour suprême. En cela, nous avons changé, par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui l'introduisit, de système politique. La mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité et d'autres indices en apportent la démonstration.

- Depuis la Révolution Française, notre système politique n'aime pas les juges. La Vième République est de la même eau, ne visant le judiciaire que comme "autorité".

- Cela s'est traduit par une neutralisation des juges, simple agent d'application des règles de droit, droit objectif conçu par les organes politiques seuls légitimes que sont le Gouvernement et le Parlement. La France est légicentrée. Sans parler du ministère public, composé de magistrats (et non de juges), dans lesquels Napoléon ne voulait voir que des préfets judiciaires.

- Le mouvement a commencé par une révolté. Ce fût par exemple celle des "juges rouges", qui dans les années 1970, revendiquèrent une conception politique des rapports sociaux, qu'ils prirent en considération dans leur jugement.

- Aujourd'hui, le mouvement vient du droit : on passe de la révolte à la Révolution.

- La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit la possibilité pour le justiciable de demander au Conseil constitutionnel d'apprécier la constitutionnalité de lois déjà promulguées et entrées dans l'ordre juridique, alors qu'antérieurement les personnes ordinaires ne pouvaient saisir (même s'il y a un filtre dans le dispositif) le Conseil et le Conseil ne pouvait examiner la conformité que des lois certes votées mais non encore promulguées.

- Donc, toutes les lois tombent sous le contrôle du Conseil constitutionnel, qui par ailleurs se juridictionnalise, et chacun la désigne désormais comme une "cour constitutionnelle". Voilà le législateur sous le boisseau de celle-ci.

- Or, le contrôle qu'elle exerce de s'accroître. Ainsi, dans la décision dite Taxe Carbone de décembre2009, la décision a apprécié l'efficacité potentielle du dispositif législatif. Autant dire un contrôle au fond. Que devient la notion de volonté générale, si elle doit se mesurer à la notion étrangère d'efficacité, qui pourrait lui faire barrage ?

- Dès lors, nous voilà avec une Cour suprême, puisque des juges portent une appréciation de fond sur l'exercice que les autres organes font de leurs pouvoirs. Les juges constituent un pouvoir et au plus haut, puisqu'il ne reste plus aux autres que le pouvoir de les nommer. Nous voilà dans la situation nord-américaine.

- Richard Posner affirme à propos de la Cour suprême des Etats-Unis qu'elle est un organe politique (How judges think). C'est aussi le cas en France.

- Nous avons changé de système politique.

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