Nov. 20, 2012

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Jérome Cahuzac plaide par avance contre Google

by Marie-Anne Frison-Roche

Dans une conférence de presse donnée le 20 novembre 20012, le ministre du Budget, Jérome Cahuzas, a affirmé qu'il avoir "la conviction la plus sincère" que si Google contestait en justice le redressement fiscal opéré par l'administration, le procès tournerait sans nul doute à l'avantage de l'Etat français. Il est nouveau qu'un Ministre procède ainsi, anticipant et la contestation par la voie de justice, et le résultat juridictionnelle de l'intervention du juge administratif.

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Le journal Les Echos  du 20 novembre 2012-20121120-[s=46137] relatent les propos tenus par le ministre du budget, Jérome Cahuzac à propos du redressement fiscal opéré par son administration à l'encontre de l'entreprise Google.

Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue le 20 novembre à Nantesse, le ministre a affirmé "avoir la conviction la plus sincère" que si Google allait sur le terrain de la justice pour affirmer son bon droit de ne payer que très peu d'impôt en France, ce que l'Etat français conteste en reprochant à l'entreprise une "fraude fiscale" justifiant un très important redressement, alors, dit le ministre, "j'ai la conviction la plus sincère que l'administration dispose des éléments largement probants me semble-t-il pour que la justice confirme ce qui est aujourd'hui l'analyse de l'administration et les conséquences qu'elle en tire".

Le journal présente ces phrases comme un "avertissement" du ministre, contre ce que celui-ci qualifie comme une déloyauté de la part d'entreprises qui se soustraient à leur devoir de payer l'impôt.

 

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Peu importe de savoir qui a raison et qui a tort.

On sait que la théorie de la fraude est d'un maniement délicat et casuistique, en matière fiscale comme dans d'autres branches du droit, puisque cela consiste à se mettre dans une situation licite à seule fin d'en obtenir des avantages que l'on n'aurait pas du obtenu, l'intention de fraude corrompant alors le caractère initialement licite de la situation.

La part d'appréciation par le juge est alors grande, l'optimisation fiscale étant la ligne de crête sur laquelle essaient de se situer les entreprises.

Par ailleurs, l'Etat peut vouloir, par le biais fiscal, faire "payer" Google, l'impôt sur les bénéfices prenant alors la place de la "taxe Google" qui n'a pas été adoptée.

Mais l'essentiel n'est pas là. Ce qui paraît remarquable et inédit, c'est qu'un ministre, avant qu'un redressement fiscal doit émis, en cours d'une enquête fiscale, lance un avertissement à l'entreprise car la voie juridictionnelle lui est permis car il "a la conviction" que l'entreprise perdra. Il ne le fait pas dans un rapport bilatéral avec l'entreprise, il le fait en public, relayé par les médias.

Cela montre que "le spectre de la société contentieuse" s'avance de la plus en plus : le juge est désormais toujours présent, avant même que l'acte susceptible d'un recours soit émis par l'administration. Les parties anticipent immédiatement sa saisine. Plus encore, l'Etat se prête à cette rhétorique, comme une partie ordinaire et, sortant de sa réserve (mais en rhétorique, la réserve est sans doute une mauvaise figure), le ministre en personne va dire que le juge administratif donnera raison à l'administration.

Ainsi, si l'entreprise donne des signes comme quoi elle va agir, on peut penser que l'administration va infléchir son comportements dans les relations actuellement en cours. Plus encore, on a souvent souligné les rapports étroits entre l'administration et le juge administratif.

Quelque soit le bien-fondé de l'affirmation, dire haut et fort que le juge administratif donnera raison à l'administration, et lancer cela comme un avertissement pour mieux couper l'issue juridictionnelle à l'entreprise, est-ce bien conforme à ce que doit être le comportement d'un gouvernement ?

En tout cas, cela nous montre que le vrai juge est celui qui, sur l'instant, apprécie et note les paroles du ministre qui plaide sa cause, certes contre forte partie : le vrai juge est désormais le monde médiatique et le ministre du budget va l'avoir bien compris.

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