Sept. 5, 2014

Blog

Considérer l'évolution de l'âge de l'enfant dans l'attribution de l'autorité parentale reviendrait, selon la Cour d'appel de Caen, à re-examiner indéfiniment ses modalités d'exercice. Mais n'est-ce pas l'office du juge ?

by Marie-Anne Frison-Roche

Par un arrêt du 10 juillet 2014, la Cour d'appel de Caen rejette la demande formulée par un père de modifier les modalités d'exercice de l'autorité parentale sur sa petite fille de 4 ans, laquelle réside principalement chez sa mère, dont il est séparé depuis plus d'un an

Pour l'obtenir, celui-ci se prévalait de la modification des rythmes scolaires, opérés à l'époque, ce qui, selon lui, permettait à l'enfant de demeurer plus longtemps chez lui, maintenant que sa fille avait atteint ses 4 ans.

Les juges du fond refusent pour deux motifs.

En premier lieu, ils soulignent que cette modification du rythme scolaire est une décision ministérielle. En cela, elle constitue une "donnée extérieure et collective, s'imposant à toutes les familles". Dès lors, toutes les familles doivent s'en accommoder. Une personne particulière ne peut donc s'en prévaloir.

En second lieu, les juges estiment que considérer l'âge de la fillette comme un élément nouveau en soi conduirait les juridictions à ré-examiner indéfiniment les modalités d'exercice de l'autorité parentale, ce qui serait contraire aux exigences de sécurité et de stabilité requises par le développement d'un enfant.

La demande de modification formée par le père est donc rejetée.

La lecture des décisions des juges du fond est parfois plus instructive que la lecture des arrêts des Hautes juridictions, sur la façon dont les lois s'animent sous la plume des juges apportant des solutions aux cas concrets qui leur sont soumis...

Pour qui veut comprendre la façon dont le droit vit, il convient de lire davantage ce qu'en disent les juges du fond qu'en lire la version asséchée qu'en reprennent les juges du droit.

Ne serait-ce que parce que les juges du fond interviennent plus vite, alors que les juges du droit, ici la Cour de cassation, prendront leur plume pour détruire la situation, comme l'on décrit la lumière d'une planète depuis longtemps éteinte.

Même s'il est vrai que tout contentieux donne une image déformée, puisqu'exacerbée, de la réalité, une ordonnance du Juge aux affaires familiales de Caen du 13 août 2013 puis un arrêt de la Cour du 10 juillet 2014!footnote-33, sont encore "chauds".

Pourtant, le contentieux non seulement donne une image déformée, puisque c'est une image disputée des situations, une image déformée par chacune des parties qui la présente à son avantage, mais c'est une image reconstituée, racontée rétrospectivement. Cela n'est pas "sur le vif", sauf peut-être dans le cas des référés.

Ainsi, il est ici question de l'influence des réformes des rythmes scolaires sur le droit des pères, l'absence d'école le samedi matin pouvant justifier à leur bénéfice des droits plus étendus. Mais le temps que les juges d'appel statuent, la réforme ministérielle qui avait dispensé d'école les enfants le samedi matin était effacée ... Ainsi, la situation examinée en l'espèce est déjà obsolète ...

Mais peu importe, car l'arrêt est intéressant à plusieurs titres.

 

En premier lieu, l'arrêt continue de décrire la situation en termes de "garde d'enfant". Pourtant, le législateur - car le droit n'est fait que de mots - a tenté de supprimer l'effet désastreux d'un tel terme : le parent n'a pas la "garde" d'un enfant. L'enfant n'est pas une chose ou un animal que l'on "garde", dont on est l'heureux propriétaire et dont l'autre parent est privé. Pour briser cet effet néfaste du vocabulaire, le législateur pose que le juge fixe simplement chez l'un des parents qui se séparent le lieu de la "résidence habituelle" de l'enfant. Ainsi, il n'est "gardé" par aucun des parents, pour lui seul et contre l'autre. Il continue d'être éduqué par les deux, qui en prennent soin à deux, qui partagent en principe l'autorité parentale. Cela concrétise la volonté du législateur de tout faire pour que le "couple parental" survive à la disparition du "couple conjugal".

Mais les faits sont têtus. Chacun parle de "garde de l'enfant". Que chacun le fasse, soit. Que les juges eux-mêmes continuent de le faire, c'est plus regrettable.

 

En deuxième lieu, l'arrêt est assez étonnant dans la mesure où il considère que la modification des rythmes scolaires n'a pas à être prise en considération dans la mesure où il s'agit d'une décision "extérieure et collective". Ainsi, toutes les familles la subissent et cela n'est pas au juge de s'ajuster mais aux familles.

 

En troisième lieu, et l'argument est encore plus surprenant, l'arrêt refuse de prendre en considération le fait que l'enfant a grandi. En effet, il semble que la séparation ait eu lieu lorsque l'enfant était nourrisson. Dans un tel cas, les juges ont tendance à laisser très peu de place au père (reste du droit romain, qui laissait l'infans à la mère). L'enfant grandit, a 4 ans. Le père demande donc à la recevoir pendant des périodes plus longues, l'enfant pouvant être séparée plus longtemps de sa mère.

Que l'on soit d'accord ou pas sur l'analyse pédo-psychiatrique que cela suppose, supposant que le bébé ne supporterait pas la séparation de quelques jours de sa mère mais la supporterait bien de son père, le droit faisant souvent peu de chose de la science médicale, c'est l'argument méthodologique qui est surprenant.

En effet, les juges affirment que s'il fallait tenir compte de l'âge des enfants, comme celui-ci change tout le temps, il faudrait changer tout le temps les solutions. Et l'on n'en finirait pas ...

Mais justement, n'est-ce pas cela que l'on demande aux juges ? D'adapter la situation ? Aux enfants qui grandissent, même s'il est de la nature des choses qu'ils le fassent ? D'adapter la situation de fait aux lois nouvelles car pour l'enfant la loi n'est jamais qu'un fait qui change sa "petite vie" qui pour lui est une "grande vie" ?

Oui, dans le droit concret du divorce, il faut sans cesse remettre sur le métier.

Oui, dans le droit concret du divorce, on demande aux juges d'être d'attentives et patientes Pénélopes.

 

 

 

 

 

1None

your comment