Teachings : Grandes Questions du Droit, Semestre d'Automne 2014

Enseignement : Grandes Questions du Droit

Conseils méthodologiques pour l'exercice de dissertation juridique

by Marie-Anne Frison-Roche

A l'occasion de l'enseignement de "Grandes Questions du Droit, aussi lors du "galop d'essai" ou lors de l'examen final, il ne sera pas demandé d'exercices très spécifiques, comme les "commentaires d'arrêt", tels qu'on peut les demander aux étudiants dans les Facultés de droit. Mais le premier sujet proposé sera toujours une dissertation juridique, notamment parce que la dissertation est un genre d'exercice dont la méthode est déjà acquise dans d'autres disciplines, méthode qui garde sa pertinence à propos de la matière juridique. Une dissertation juridique présente pourtant certaines spécificités Le présent document a pour objet de donner quelques indications. Elles ne valent pas règles d'or, mais un étudiant qui les suit ne peut se le voir reprocher.

 © mafr
 
Les étudiants peuvent bien sûr prendre leur distance par rapport à ces conseils. C’est alors simplement prendre davantage de risques et il convient alors d’être plus sûr de soi, avoir davantage de connaissances, développer plus encore d’opinions personnelles, etc.
 
Plus le travail est original et plus la note monte, moins on suit les règles et plus on peut obtenir 19 ou 20/20. Mais suivre les règles ordinaires permet simplement de ne pas s’exposer à des reproches.
Ce qui suit ne constitue donc pas des recommandations pour vous, encore moins l’énoncé de contraintes, mais l’exposé de la construction ordinaire d’une dissertation juridiques.
 
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D’ordinaire, les dissertations sont construites en deux parties.
 
Les titres des parties sont apparents. Il n’y a pas de verbes conjugués dans les titres. En droit, on ne titre pas par une phrase coupée en deux qui se prolonge d’un titre à l’autre.
 
Chaque partie est construite elle-même en sous-parties, elles-mêmes titrées (I.A/I.B puis II.A/II.B.). On peut aller plus loin, en insérant dans ces sous-parties par des 1. et des 2.

L’introduction est obligatoire, la conclusion ne l’est pas.
 
Lorsqu’il n’y a pas de conclusion, c’est le II.B. qui a la fonction "d’ouvrir" le sujet (par exemple vers le futur, ou vers un aspect plus sociologique, ou vers une comparaison vers un autre système juridique, etc.

Dans le corps de la dissertation, il est usuel que le I.A. soit la description de la façon dont "on en est arrivé à l’état où en est le droit positif". C’est alors souvent la chronologie du droit, si vous la connaissez, ou l’évolution sociale et économique, etc. Cela dépend de vos connaissance.

Le I.B. est, avec le II.A., le coeur de la dissertation. Ces deux parties vont développer le sujet posé, donner les argument justifiant l’état du positif, confronter certains éléments du droit positif avec d’autres, formuler des appréciations sur ceux-ci, arguments que l’on trouve dans les décisions qui souvent ne manquent pas de prendre position les unes contre les autres, placer les appréciations de la doctrine et surtout exprimer des appréciation par vous-même (le droit positif n’a pas toujours "raison" et il peut n’être légitime que dans une certaine perspective et pas dans une autre, etc., perspectives que vous pouvez essayer de hiérarchiser, etc.).
 
Il faut bien sûr s’adapter au sujet. Si la question est entièrement résolue, le sujet est "froid" et il s’agit donc avant-tout de le "comprendre". Si le sujet est "chaud" et que le droit ne fait que commencer à bouger, il faut essayer d’anticiper et surtout de prendre une position plus encore personnelle et moins rétrospective (mais le droit est toujours en mouvement et son passé est toujours vivant, comme nous l’avons vu), en prenant en considération les arguments des uns et des autres, en pondérant et en choisissant, tout en justifiant votre choix.

 
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Une fois cette construction faite, il faut mentalement "scanner" tout ce que vous avez vu en cours magistral et en conférence, voire vous souvenir de ce que vous avez vu l’année précédente ou dans d’autres matières et insérer vos connaissances (ne partez pas d’elles, n’ayez recours à elles qu’après avoir construit, sinon votre travail ne sera qu’une restitution de connaissance et vous n’aurez qu’une note passable ) dans le plan.
N’ayez pas d’a priori. Par exemple, une décision de justice du début du siècle peut venir en fin de dissertation si c’est elle qui exprimait la sagesse du droit et si elle conserve sa pertinence, etc.

Le lecteur juriste n’aimant pas être surpris (mais toute règle est là pour supporter des exceptions, si vous êtes très sûr de vous, surprenez votre lecteur, il sortira de l’ennui de la correction de sa énième copie...), il faut que toute partie soit précédée d’une "annonce" simple, du style et par exemple : "Cela a conduit le législateur à poser que ... (A), ce qui a amené en réaction la jurisprudence à ... (B).
Ainsi le lecteur sait où il va.
Il faut toujours aider son lecteur, et le correcteur est un lecteur comme un autre.
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L’introduction est un moment très important dans une dissertation. En effet, c’est la première impression que vous faîtes au correcteur, et la première impression est presque toujours la bonne.

Vous pouvez la construire très librement, mais là encore cela suppose que vous soyez alors très sûr de vous, très savant, etc., car ce qui est dit dans l’introduction (en droit comparé, par exemple), ne pourra pas être redit dans le corps de la dissertation. Il faut donc faire attention à ne pas vider la dissertation pour faire une "belle" introduction,mais il ne faut pas non plus que celle-ci soit trop réduite, car c’est souvent sur elle que vous êtes jugé.
 
Vous pouvez donc construire "mécaniquement" votre introduction. Il est sage de le faire en dernier, la rédaction de l’introduction pouvant se faire directement sur copie alors que le corps de la dissertation aura été construit sur plan et notes brèves sur brouillon. Mais l’écriture de l’introduction vient après ce travail précité sur le corps de la dissertation.

Il faut tout d’abord définir les termes du sujet. Littéralement, grammaticalement, faire attention au singulier ou au pluriel, être attentif à la ponctuation, aux majuscules. (quasiment, une introduction pourrait n’être construite que sur cela).

Il faut ensuite définir ce qui n’est pas dans le sujet : le "hors-sujet", qui est sanctionné lorsqu’il est situé dans le corps de la dissertation, est valorisé lorsqu’il est situé dans l’introduction. Le hors-sujet est vaste (le sujet est une île, le hors-sujet est la mer, vous pouvez laisser aller votre imagination).

Puis, vous allez dans les "sciences auxiliaires", en tout cas celles que vous n’exploiterez pas dans le corps de la dissertation : histoire du droit ou/et histoire générale, sociologie juridique ou/et sociologie générale, philosophie du droit ou/et philosophie générale, psychologie sociale, droit comparé, psychanalyse (Carbonnier citait bien Lacan...), économie politique, sciences politiques, etc.
Dans cette perspective, essayer de vous souvenir des "ouvertures" qui ont été faites en cours magistral et conférence de GQD, mais aussi dans vos autres enseignements qui, par points de contact, abordent ou jouxtent le juridique, par exemple à travers l’Europe, la globalisation, le marché, etc.

Puis, vous définissez une "problématique" : c’est la véritable difficulté, car il faut la faire sortir du sujet et l’introduction cesse d’être savante ou d’être une répétition du cours, pour devenir un exercice d’intelligence. Normalement, les précédentes étapes vous ont suffisamment familiarisé avec le sujet pour que vous arriviez à cet exercice personnel de mise en problématique du sujet, ce qui vous permettra de passer de 14 à 19, car une dissertation ne devrait pas être un simple contrôle de connaissances ordonnées.

Afin, et c’est impératif, vous faîtes une "annonce raisonnée du plan", c’est-à-dire que vous indiquez la construction du corps de la dissertation, en justifiant cette construction en la mettant en perspective de la problématique que vous venez de dégager.
 
 
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