26 octobre 2012

Base Documentaire : Doctrine

FORIERS, Paul

Introduction au droit de la preuve

Référence complète : FORIERS, Paul, introduction au droit de la preuve, in PERELMAN, Chaïm et FORIERS, Paul (dir.), La preuve en droit, Travaux du centre national de recherche logique, Etablissements Emile Bruylant, 1981, p.8-26.

 

Paul Foriers était un grand juriste belge qui avait co-fondé avec Chaïm Perelman le Centre de logique juridique de Bruxelles. On retrouve donc dans ses conceptions à la fois de la technicité juridique, car il était professeur de droit, et une considération forte pour le caractère positif de la "controverse" en droit et comme technique juridique même.

Cet article est très intéressant, synthétique et montre par avance l'évolution que le droit suivra. Sa structure formelle n'est pas très claire, marque du fait qu'il s'agit plus d'une conférence écrite que d'un article construit. Cela le rend plus difficile à lire, cela ne lui ôte pas sa qualité.

 

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Ainsi, il écarte la conception par trop formelle de la preuve (telle que Norberto Nobbio la développe) pour aller directement à la question de la preuve des faits, telle qu'elle se pose dans les procès, dans la controverse judiciaire.

Il consacre la première partie de son article à "la preuve du fait. Pour le droit, même si le fait est évident "en fait", il n'est pas reconnu comme tel par le droit : il doit être établi selon des voies admises par le droit.

Ainsi, lorsque le droit exige des preuves littérales (article 1341 du Code civil), le système ne veut connaître que d'un écrit. Faute de quoi, le fait est rejeté dans le néant du droit. Ainsi, un fait est un "fait" parce que le droit le constitue comme tel, il ne devient "réel" que parce que le pouvoir normatif du droit l'a voulu, ce qui explique que des réalités factuelles n'existent pas dans l'ordre du droit et qu'en symétrie celui-ci fabrique des faits qui n'existent pas hors de l'ordre juridique. Le droit ne commet pas d'erreur : il peut soit s'autoneutraliser (Carbonnier), soit s'autoactiver.  Ainsi, le droit, parce qu'il est système normatif, va souvent faire prévaloir la "régularité par rapport à la réalité", en ce que le fait n'existe en droit qu'en ce qu'il a été prouvé selon les formes préétablies par le droit.

Mais cette étroitesse ne vaut qu'en matière civile et non pas pour les actes de commerce, pour lesquelle tout mode de preuve est admissible, comme l'affirma rapidement la jurisprudence.

Pourtant, lorsqu'on estime les règles en matière de charge de preuve, il s'agit d'un "jeu probatoire", articulation de règles qui vaut en toutes matières. Cependant le juge n'est plus aujourd'hui exactement un arbitre neutre, il intervient et n'est plus seulement "comptable des pièces". La loi a suivi le mouvement, qui lui permet désormais d'obliger toute partie à produire une pièce. Et peut-être n'est-ce qu'un début, le juge ayant vocation à devenir de plus en plus actif.  L'idée sous-jacente est alors de trouver ce qui serait la "réalité objective", c'est-à-dire la réalité des faits et non plus strictement les faits construits par le droit.

 

Mais, et l'on peut considération que c'est le second point de l'article, la preuve des faits ne se comprend que dans un processus judiciaire. En effet, face à un juge, selon la règle de droit, ne pouvoir prouver son droit équivaut à ne pas en avoir. Toute la doctrine reprend la règle, exprimée depuis le droit romain.

Mais l'auteur en conteste la radicalité et la formulation. En effet, pour lui, une telle affirmation suppose que le fait qui engendre un droit existe et que le blocage vient dans l'impossibilité de preuve. Or, pour Paul Foriers, dès l'instant que le fait n'entre pas dans les canons juridiques de la preuve, il n'existe pas pour le droit. Donc, il n'existe pas dans l'ordre juridique. Donc, il n'existe pas.

Il cite Planiel qui définit à son avis le mieux la preuve comme "tout procédé employé à convaincre le juge de la réalité d'un fait". Cela signifie que la preuve est un moyen rhétorique pour faire exister un fait dans le droit, grâce à la conviction du juge ainsi obtenue par la partie, qui aura joué de l'écrit, de la présomption, etc. 

Paul Foriers souligne que ce qu'on appelle la hiérarchie des preuves est inexactes et que les preuves littérales, que l'on place au sommet, sont elles aussi des procédés rhétoriques, car il faut encore interpréter la commune intention des parties à travers l'acte instrumentaire produit.

Ainsi, pour lui, l'écrit est préférable "dans une dimension spatio-temporelle" car il engendre une certaine certitude, mais le meilleur rapport à la réalité est produit par la rhétorique, celle qui entraîne la conviction du juge que la description est exacte, ce qui la fait entrer dans l'ordre juridique comme un "fait".  Cela est aussi vrai pour la présomption (la présomption de l'article 1352 du Code civil étant purement rhétorique), que pour le témoignage, que pour le commencement de preuve par écrit.

Tout cela débouche sur l'intime conviction du juge, c'est-à-dire "une logique du raisonnable... cadre infiniment moins rigoureux que celui qui est exigé par le savant pour admettre la certitude d'un fait mais cadre qui... existe" (p.24).

 

Enfin, Paul Foriers se demande si le droit n'est pas objet de preuve. On enseigne toujours que non. Mais chacun sait que la partie doit apporter le droit au juge. On ne le dit pas, mais c'est "la réalité juridique.

 

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