16 septembre 2010

Base Documentaire : 02. Cour de cassation

Cour de cassation, première chambre civile

Arrêt 16 septembre 2010, dit "Our Body"

En 2009, des organisateurs avaient utilisé des cadavres chinois, disséqués et plastinés, pour exposer des postures, notamment sportives. La Cour d’appel de Paris avait interdit l’exposition car la preuve n’avait pas été rapportée que les personnes avaient de leur vivant donné leur consentement. La Cour de cassation, par un arrêt du 16 septembre 2010, a approuvé la solution, mais adopte un tout autre fondement : non plus subjectif (le consentement, la volonté), mais objectif (la dignité humaine). Cela est radicalement différent.

 

Lire l'arrêt.

L’affaire a fait scandale. A partir du 12 février 2009, la société Encore Events expose dans un local des cadavres humains ouverts, plastinés, l’exposant communiquant sur le fait que nous voyons ainsi ce que nous sommes de l’intérieur. C’est pourquoi que le fonctionnement des muscles est plus particulièrement mis en évidence, les corps simulant la pratique de différents sports.

La société organisatrice est attaquée en justice par deux associations, dont il n’est pas indifférent de noter qu’il s’agit de "Ensemble contre la peine de mort" et "Solidarité Chine", car il s’agit de corps récupérés en Chine.

Les associations agissant en référé, demandent la cessation immédiate de l’exposition, affirmant qu’il s’agit d’un trafic de cadavres de ressortissants chinois, le trafic de cadavres étant interdit par le Code pénal, et que cela constitue une atteinte à la dignité de la personne, dont le respect est imposé par l’article 16 du Code civil. Elles demandent en outre la mise sous séquestre des corps.

On peut d’ailleurs se demander si le traitement chimique dont ceux-ci ont fait l’objet, permet de conserver cette qualification juridique de cadavre, ou si la sorte de vitrification ne les a pas réifiés. Mais c’est précisément contre ce type de manipulation que le droit doit s’élèver : que la technique puisse permettre de disposer de corps en les rendant imputresibles et exposables comme des objets fabriqués.

Ainsi, alors que chaque enfant traditionnel joua avec le squelette de la classe, souvent affublé d’un prénom affectueux, et destiné à lui apprendre si ce n’est l’anatomie à tout le moins la base du corps humain, le juge a fait barrage à l’initiative qui consiste à ouvrir les corps pour que les visiteurs voient "comment c’est dedans".

La réaction peut paraître évidente, mais l’analogie aurait pu être soutenue entre l’affaire litigieuse et le cas précité, car la société organisant l’exposition prétendait elle aussi faire oeuvre de pédagogie, et nous sommes dans une société du savoir. Comprendre son corps du dedans et la façon dont il se meut permettrait d’en avoir une meilleure maîtrise.

On voit bien que le problème est ailleurs, à savoir l’origine des corps : comme l’on dit les associations, ces corps sont ceux des chinois condamnés et exécutés, voire simplement prisonniers et tués pour que leurs corps (et leurs organes) soient vendus à des sociétés commerciales.

C’est pourquoi le juge des référés, puis la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 30 avril 2009, ont interdit l’exposition et ont justifié la mesure sur le terrain probatoire, en affirmant qu’il aurait fallu que la société organisant celle-ci rapporta la preuve du consentement des personnes de leur vivant, dont les cadavres furent par la suite utilisés.

On voit bien "l’astuce" : dans la mesure où il s’agit de trafic de cadavre, de prisonniers chinois, il n’y a aucun consentement.

Mais l’enfer du droit est pavé de bonnes intentions.

En effet, en premier lieu, il faut alors mais il suffit de faire signer à ces malheureux des formulaires de consentements auxquels ils ne comprennent rien ou bien qu’ils n’ont pas les moyens d’écarter avant de les exécuter. En second lieu, et c’est beaucoup plus grave, raisonner ainsi signifier que je peux disposer entièrement de moi-même si j’y ai consenti par avance, par exemple qu’on ouvre mon cadavre pour l’exposer à tous plutôt que de lui offrir une sépulture.

C’est faire grand cas de l’autonomie de la volonté. Or, la volonté comme seul critère de la disponibilité de soi est un juste critère pour les personnes puissantes, celles qui peuvent dire Non, aussi qu’elles peuvent consentir. Mais il existe aussi beaucoup de personnes faibles qui n’ont pas les moyens de dire Non, plutôt que de dire Oui : le travailleur, le prisonnier, l’épouse, l’enfant, etc.

C’est pourquoi l’arrêt que vient de rend la Première chambre civile de la Cour de cassation le 16 septembre 2010 est un grand arrêt.

Il reprend l’interdiction. Mais il ne fait en rien référence au critère du consentement et de la volonté. Il dit simplement et catégoriquement que manipuler ainsi les corps humain, c’est porter atteinte à la dignité de la personne humaine que le droit protège d’une façon générale dans les articles 16 et suivants du Code civil.

Ainsi, quand bien même la personne y aurait consenti, un tel usage de son corps par autrui est une atteinte à sa dignité. La volonté d’autrui est entravée par le droit et la volonté de celui qui voudrait desserrer l’étau protecteur, ici le prisonnier chinois n’y peut rien, quand bien même il le voudrait, par exemple parce qu’il faudrait vendre son corps.

Le remplacement du critère subjectif (le consentement) par le critère objectif (la dignité) est un progrès du droit.

Il protège les faibles, y compris contre leur volonté, car le droit est avant l’instrument de la protection des faibles avant que d’être l’instrument de la concrétisation des volontés.

 

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