16 mars 2016

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L'audition par le Sénat de la personne nommée par le président des Etats-Unis comme juge à la Cour suprême est-elle une "compétence liée" ?

par Marie-Anne Frison-Roche

On connait la situation.

Aux États-Unis, la Cour suprême est composée de 9 juges, nommés à vie.

Lorsqu'un juge vient à manquer, par exemple décède, le Président des États-Unis nomme un successeur. Qui il veut. Mais cette nomination doit encore être confirmée par le Sénat américain.

Les hypothèses jusqu'ici connues et examinées sont celles de l'approbation ou du rejet, voire de la personnalité nommée renonçant devant une hostilité marquée. 

La situation actuelle est nouvelle : le Sénat ne veut pas examiner la question de savoir s'il approuvera ou non une nomination ; il ne veut pas même organiser l'audition (hearing) au terme de laquelle l'approbation sera envisagée.

La raison en est politique : le président est démocrate et peut ainsi faire changer l'équilibre politique de la Cour suprême. L'élément de fait est déterminant dans un système de Check and Balance.

En termes juridiques, la question est de savoir si l'acte de procédure consistant à organiser l'audition et à se prononcer sur une nomination (dans un sens ou dans un autre, mais à se prononcer) par un acte d'homologation est une acte de "compétence liée" ou non.

Le Sénat dit qu'il ne l'est pas. Et qu'il le fera lorsqu'un nouveau Président des États-Unis aura pris place. L'actuel Président Barack Obama affirme qu'il l'est.

Qu'en est-il ?

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Alors même l'affaire se déroule, on peut déjà en tirer quelques leçons.

Tout d'abord, la procédure paraît souvent un pouvoir secondaire. Mais il faut ne pas sous-estimer les compétences procédurales, ici celles du Sénat (I).. Cela doit réveiller bien des souvenirs dans les esprits français : celui de la bataille juridique qui eut lieu toujours du pouvoir de ratification des ordonnances (II). D'ailleurs, la façon dont le Président Barack Obama vient de proposer un juge ayant "toutes les qualités a-politiques requises" tient à accréditer la thèse juridique du Sénat (III).

 

I. MÉFIEZ-VOUS DES COMPÉTENCES "PROCÉDURALES"

La fonction d'approbation de la nomination faite par le Président des États-Unis est souvent présentée comme une formalité. Un hommage que celui-ci rend au Sénat. Une façon pour celui de faire connaissance et d'éprouver les compétences techniques du juge, qui est déjà nommé, même s'il n'est pas entré en fonction.

Mais il faut se méfier des pouvoirs de "pure forme" car la "procédure", ici l'approbation qui n'entame pas la nomination bloque la prise de fonction.

C'est bien pourquoi si la nomination intervient alors que le Congrès ne siège pas, il est prévu que le juge peut immédiatement rentrer en fonction, l'approbation intervenant plus tard et ayant un effet rétroactif.

Dès lors, il faut mais il suffit que l'approbation n'arrive jamais, non pas parce qu'elle serait refusée (acte juridique substantiel), mais parce que la procédure ne sera jamais déclenchée, l'organisation de l'audition n'étant pas faite, pour que la prise en fonction soit différée.

Il suffisait d'y penser : le Sénat y a pensé.

L'attribution d'un pouvoir donne à la fois ce pouvoir mais encore et souvent la dimension négative du pouvoir : le pouvoir de ne pas exercer le pouvoir.

C'est ce que fait le Sénat. Contre le Président des États-Unis.

Le Sénat exerce contre Barack Obama son pouvoir procédural sous sa forme négative (ne pas exercer le pouvoir), afin de pouvoir l'exercer sous sa forme positive (organiser l'audition et choisir d'approuver) au bénéfice de son successeur. La "positivité de la négation", aurait dit Hegel.

Mais le Sénat agit comme s'il avait le pouvoir de choisir d'organiser ou de ne pas organiser dans un délai raisonnable après la nomination une telle audition et de se prononcer sur la confirmation. Comme il s'agit d'une procédure, l'on aurait pu considérer qu'il s'agit d'une "compétence procédurale liée", c'est-à-dire qu'il est obligé d'organiser l'audition et obliger de se prononcer sur la personne nommée par le Président.

Le Sénat peut au terme de la procédure dire ce qu'il veut : confirmer ou ne pas confirmer. Il ne peut pas ne pas organiser la procédure.

Il ne peut pas ne pas.

C'est ce que soutient le Président Barack Obama : la compétence procédurale du Sénat serait "liée" : le Sénat ne pourrait pas ne pas.

Pour un esprit juridique français, voilà une dispute outre-Atlantique qui en rappelle une autre ....

 

II. LE SOUVENIR FRANÇAIS DE LA RATIFICATION DES ORDONNANCES

Dans les affrontements politiques, c'est le pouvoir juridique négatif qui est le plus violent.

Le Droit français s'en souvient. Lors de la cohabitation (car Barack Obama vit en cohabitation face au Congrès américain), le Premier Ministre français de l'époque Jacques Chirac avait adopté des ordonnances.

La Constitution prévoit que ces ordonnances pour entrer dans l'Ordre juridique soient "signées par le Président de la République.

Le Président de la République de l'époque, François Mitterrand, eut une idée : dire Non.

Or, l'on pensait que le Président de la République avait "compétence liée" et ne pouvait pas ne pas.

L'on finit par dire que sans doute pouvait-il le faire ... puisqu'il l'a fait !

C'est tout l’ambiguïté de la lettre, le Droit étant dans les mots et dans les conjugaisons : lorsqu'il est écrit : "le Président signe l'ordonnance", cela signifie-t-il qu'il "doit la signer", renvoyant à une simple procédure, le Président ne donnant qu’imprimatur ? ou bien cela signifie-t-il qu'il "a le pouvoir de la signer ? qu'il en a le pouvoir ? qu'il peut donc la signer, comme il peut ne pas la signer ?, ce qui renvoie à un pouvoir non plus procédural mais substantiel ?

Cela rend à la conception que l'on se fait de ce qu'est le chef de l’État par rapport au Gouvernement. Vaste question ...

C'est à une question analogue et de la même ampleur que les États-Unis sont confrontés aujourd'hui.

 

III. LE PRÉSIDENT BARACK OBAMA AGIT COMME SI LE SÉNAT AVAIT EFFECTIVEMENT LE POUVOIR SUBSTANTIEL DE DÉCIDER QUAND IL SERA BON DE FAIRE ENTRER UN NOUVEAU JUGE A LA COUR SUPRÊME

En France, en admettant que François Mitterrand pouvait refuser à sa guise de signer des ordonnances, l'on a donné à la fonction présidentielle une nouvelle dimension. Pas décisif vers le système politique présidentiel dans lequel la France est désormais.

On comprend que Barack Obama n'ait pas envie de faire le même cadeau au Congrès, alors même que le système de Check and Balance est si délicat.

Mais juridiquement comment faire ?

En effet, quand peut trancher la question ? Si ce n'est la Cour suprême ... Puisqu'il s'agit d'interpréter la Constitution des États-Unis ...

Le Président des États-Unis prend une autre voie que l'exégèse juridique.

En nommant Merrick Garland, Barack Obama insiste sur ses qualités à la fois a-politiques et techniques.

Nommer un grand juriste, cela est de tradition : tous les membres de la Cour suprême le sont. Celui qui est remplacé, Antonio Scalia l'était.

Nommer un juriste a-politique, c'est plus spectaculaire : un président démocrate nomme un juriste démocrate tandis qu'un président républicain nomme un juriste républicain.

Mais pour faire céder le Sénat, c'est pas le Droit qui sera utile, c'est l'opinion savante qui pourra le faire. Comme l'opinion savante de la finance avait pu faire céder Barack Obama lui-même lorsqu'il avait voulu nomme Larry Summers directeur de la Fed et qu'il avait du céder devant l'exigence de l'opinion avertie de la place préférant la n°2 de la banque centrale.

Ici, il s'agit de prendre à témoin le monde averti du droit pour faire plier le Sénat.

Cela peut fonctionner.

Nous verrons si le monde du Droit est aussi puissant et auto-observé que le monde de la Finance et qu'il peut cette fois-ci aller aider le Président des États-Unis et non plus le contrarier dans ses choix de nomination.

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