20 mars 2015

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Publication : article dans la presse

Délit financieres : le virage juridique français

par Marie-Anne Frison-Roche

Le 18 mars 2015, Conseil constitutionnel a rendu sur QPC la décision M. John L.. et autres, que chacun va appeler "la décision EADS".

Il est clair que le cumul de poursuite à la fois pour manquement d'initié et pour délit d'initié est déclaré non-conforme à la Constitution. Enfin.

La question pertinente est celle de la portée de la décision.

La lecture de la décision montre que sa portée est considérable. En effet, la jurisprudence jusqu'ici, Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel confondus, affirmaient per se  qu'une sanction administrative ete qu'une sanction pénale n'ont pas la même nature.

Or, dans la Décision EADS, c'est fini : le Conseil constate que délit d'initié et manquement d'initié ont la même nature. Dès lors, le cumul n'est pas possible.

Il va falloir pour tous les autres cas, devant toutes les autres Autorités de concurrence et de régulation, examiner si la sanction administrative et la sanction pénale ont de fait la même nature ou non. Au cas par cas.

Le droit a donc changé le 18 mars 2015. Le Conseil constitutionnel montre que l'efficacité, socle de ces mécanismes de cumul, n'est pas tout et que les principes de procédure, par exemple non bis in idem, dès l'instant qu'il y a identité de nature, prévalent.

Accéder à l'article de presse.

Voir ci-dessous les liens pertinents vers les décisions et institutions citées citées.

 

La décision du Conseil constitutionnel rendu sur QPC le 18 mars 2015, M. John L. et autres (dites "EADS") est historique.

Bien au-delà de la longue et tumultueuse affaire qu'elle brise en partie en affirmant l'inconstitutionnalité du cumul des poursuites d'une personne devant l'autorité administrative (l'AMF) pour manquement d'initié et devant le tribunal correctionnel pour délit d'initié.

Bien au-delà du droit financier lui-même. En effet, par cette décision, le Conseil constitutionnel opère un revirement de sa propre jurisprudence pour épouser la façon de raisonner de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui a une portée sur la totalité des pouvoirs de sanction administrative dont sont titulaires les autorités administratives indépendantes, comme l'Autorité de la concurrence, l'Arcep, le CSA, la CNIL, l'ACPR, etc., dès l'instant qu'à propos des mêmes faits des sanctions pénales sont par ailleurs prévues.

Jusqu'ici, l'existence dans le droit français d'un droit pénal, dont l'application aboutit à des peines, et d'un droit administratif répressif, qui inclut des sanctions, avait été considérée comme n'enfreignant pas la Constitution pour le motif énoncé par le Conseil constitutionnel en 1981 et repris depuis par le Conseil d'Etat : la peine et la sanction administrative ne seraient pas de « même nature », le droit pénal ayant pour finalité de punir les fautes et le droit administratif répressif d'assurer l'effectivité de l'ordre public d'un secteur. C'est pourquoi le principe constitutionnel selon lequel une personne ne peut être punie deux fois pour un même fait (principe « non bis in idem ») n'était pas même concerné, puisque les deux corps de règles étaient considérés comme n'ayant pas la même nature car n'ayant pas la même finalité. C'est cela que le Conseil constitutionnel vient de détruire.

Brisant sa propre jurisprudence, et au passage celle du Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel affirme que la « répression » du délit d'initié et du manquement d'initié a la même finalité : sanctionner l'atteinte portée à « l'ordre public économique », et que « ces deux répressions protègent en conséquence les mêmes intérêts sociaux ». C'est un coup de tonnerre.

Cette destruction par le Conseil constitutionnel de plus de trente de jurisprudence, qu'il avait lui-même construite avec le Conseil d'Etat, réconcilie enfin le droit français et le droit européen.

En effet, le droit européen affirme depuis 2013!footnote-164 que le cumul des poursuites en matière économique où la personne est poursuivie à la fois ou successivement devant une autorité administrative répressive et devant un tribunal correctionnel est contraire au principe fondamental de procédure « non bis in idem ». L'efficacité ne peut pas tout justifier, la procédure est un élément fondamental de l'Etat de droit.

Mais, surtout, regardons vers l'avenir. L'affirmation portée par la décision EADS du 18 mars 2015 est générale. Elle vaut pour toutes les autorités de régulation dotées d'un pouvoir de sanction. Or elles le sont toutes désormais. Elles sont toutes depuis le 18 mars 2015 « en risque constitutionnel », la moindre QPC annihilant une procédure de sanction si elle est cumulée avec une poursuite pénale, voire si elle peut l'être.

Certes, bon prince, le Conseil constitutionnel a donné jusqu'au 1er septembre 2016 au Parlement pour modifier la loi et la rendre conforme à la Constitution.

Il faut dès aujourd'hui analyser tout le droit administratif répressif, le confronter au droit pénal économique et faire des choix politiques. Ils auraient dû être faits bien avant. Mais, décidément, il semble que l'on ne se résolve à organiser le droit que sous le glaive du juge.

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